mer 04 décembre 2024 - 06:12

Origines et évolution de nos décors maçonniques

Nous partons aujourd’hui en voyage ! En voyage à travers le temps ! Remontons jusqu’aux origines supposées de la franc-maçonnerie au XVIIIe siècle. Nous sommes à Londres. Les guerres de religions font rage, déchirant les corps et les peuples. Une poignée d’individus se réunissent, cherchant à se joindre dans un climat pacifique.

Ces hommes sont catholiques, protestants et anglicanistes. Ils décident de créer la franc-maçonnerie. Mais pour cela, il faut quelque chose de fondateur, qui rassemble. Ils cherchent alors des récits communs. Hummm … La Bible ! Oui ! Prenons le temple de Salomon ! Ce roi bâtisseur, amateur d’Art, constructeur de temples et attaché à la justice. C’est un bon début mais cela ne suffit pas. Les francs-maçons empruntent alors tout un univers d’objets, de symboles et de rituels aux compagnons, à moins que cela ne soit l’inverse. Les points de vus divergent selon les historiens.

Les francs-maçons se réunissent dans des tavernes, les temples n’existant pas encore à l’époque. Il faut pouvoir dissocier les moments où vous êtes au PMU de l’époque avec vos amis à boire un coup, et puis les fois où vous allez aussi dans un bar, mais pour travailler à l’amélioration matérielle et morale de l’humanité. Que faire ? Eh bien, il suffit d’instaurer des rituels et de refaire la déco. A l’origine, le tapis de loge était dessiné à la craie directement sur le sol, puis effacé à la fin de la tenue. Certains ne devaient pas être très doués en dessin, ou un peu flemmards, ou les deux, et décident de créer des tapis de loge déjà tout prêts ! Merveilleux !

Ce n’est pas tout, mais il nous faut aussi un costume ! Comme nous nous inspirons des compagnons, nous portons le fameux tablier. Je vous rappelle que l’idée est que nous portons ce tablier pour nous protéger pendant que nous taillons des pierres, servant à la construction du temple de Salomon (entre autres).  Il est le symbole du travail opératif. Au début, vous êtes un peu maladroit, on vous laisse la bavette pour protéger votre pull préféré. Et puis l’expérience arrivant, vous pouvez tailler la bavette, expression à présent entrée dans le langage courant.

Initialement, les tabliers étaient réalisés sur peau animale, souvent de chèvre, cette matière étant réputée pour sa souplesse et sa facilité de manipulation. Certains étaient déjà en tissu. Ceux qui nous sont parvenus sont souvent peints. Au XVIIIe et XIXe siècle, les tabliers sont très chargés, dotés d’une composition riche et foisonnante.

Au XIXe siècle les symboles maçonniques se fixent. Autrement dit, vous pouviez trouver l’étoile flamboyante la tête en bas, ainsi que la lune et le soleil inversés. Chaque symbole trouve progressivement sa place. Les maçons quittent les tavernes et les hôtels particuliers au profit de temples plus durables, construits pour. les tenues. Au XVIIIe siècle la lettre I et la lettre J sont considérés comme la même lettre. Par définition, vous pouvez encore voir des assiettes ou des tabliers portant une colonne I et B.

Nous pouvons constater que les tabliers ne sont pas insensibles aux variations de modes, d’époques et de régimes politiques. Les loges d’adoptions dans les années 1740 en France choisissent leurs propres symboles, issus de la Bible : arche de Noé, arbre et serpent, échelle de Jacob …

Sous le Premier Empire, nous pouvons constater en regardant les tabliers exposés au musée rue Cadet que les motifs se simplifient selon les grades. Les Imperia (régalia de l’Empire) se multiplient sur les tabliers, ainsi que les hommages à Napoléon se répandant dans les loges. Les ateliers pouvaient être rebaptisés ou de nouvelles loges se créer, faisant référence dans leur titre à l’Empereur. 

Au XIXe siècle, la peinture sur tablier semble être en déclin, au profit de la broderie. Nous ne pouvons que constater que dans certains cas, peut-être les plus beaux, ceux qui sont parvenus jusqu’à nous, sont une fois de plus très chargés. Parfois, nous pourrions nous demander, si ces tabliers n’étaient pas des signes extérieurs de richesse : à celui qui aurait le plus beau, le plus brodé, le plus chargé en  broderie d’or ou le plus brillant. Cet attrait pour l’ornementation est aussi assez emblématique du XIXe siècle. 

A mon humble avis, il y a une question que ne se posent pas assez les francs-maçons : où sont fabriqués mes décors ? Qui les fabrique ? Dans quelles conditions ?

Revenons une fois de plus aux origines. Selon Pierre Mollier, à l’origine les épouses des frères s’occupaient de confectionner les tabliers. Une deuxième solution était également possible. Je vous rappelle qu’à l’époque le prêt-à-porter n’existe pas, les personnes aisées avaient donc leur tailleur. Ces personnes pouvaient parfois être chargées de la réalisation de tabliers.

Toujours selon Pierre Mollier, la création des décors maçonniques se professionnalise en 1802/1803, avec la création d’une boutique dédiée au Palais-Royal. Brun et Guérin sont des décorateurs spécialisés sous l’Empire. La profession se forme progressivement. Les tabliers étaient d’abord imprimés. Ils comportaient également des estampes. La technique du pochoir peint était aussi utilisée. Le métier se répartissait généralement selon les sexes : les hommes sont tailleurs, les femmes brodeuses. Il est intéressant de noter qu’à la même époque en Bretagne les hommes brodent et les femmes cousent. Dans les grands noms des confectionneurs de décors, quelques-uns ont marqué Pierre Mollier : Tessier par exemple.  En face du GODF, rue Cadet, au niveau de l’actuel fleuriste, Loton produisait des décors. A sa fermeture Gloton a racheté son fonds. Pour les petits curieux, nouveaux passionnés, sachez qu’au GODF, à la bibliothèque, nous conservons un fonds de catalogue de ventes, de dessins allant de 1840 / 1860, recueillant des patrons dessinés à la plume et aquarellés datant de 1860.

Le directeur du musée de la franc-maçonnerie estime que la création de décors brodés main en France s’est arrêtée (ou extrêmement raréfié) dans les années 1980. Depuis, le marché propose des décors brodés à la machine au mieux en France, au pire en Chine, en Inde et ailleurs, dans des conditions certainement bien étranges, compte tenu du prix de vente de ces décors.

© Julie Le Toquin, tablier maçonnique réalisé en 2020, collection particulière
Julie le Toquin
Julie le Toquinhttp://base.ddab.org/julie-le-toquin
Julie Le Toquin est artiste plasticienne, guide conférencière, formatrice, brodeuse de décors maçonniques. Formée à l'EESAB à Lorient, à l'université Paris III en théâtre, à l'école de théâtre Auvray-Nauroy, à l'université de Lille, au CNAM, au lycée Octave Feuillet et au près de Pascal Jaouen. Elle s'intéresse tout particulièrement aux questions liées à la mémoire dans son travail d'artiste. Comme guide conférencière, elle s'est spécialisée dans les publics en situation de handicap (sourds, aveugles, sourds-aveugles ...) et la franc-maçonnerie.

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