J’ai rencontré Pierrette Dupoyet, Comédienne, écrivaine, globetrotter. Pierrette défend depuis plusieurs décennies la culture française et les valeurs humanistes dans tous les pays du monde, mais également plus près de nous, dans les écoles ou au cœur du milieu carcéral. Elle joue tous les dimanches jusqu’à fin juin : « Dreyfus l’affaire », à 14h30 au théâtre de la Contrescarpe, à Paris, un spectacle soutenu par Ligue des droits de l’homme et la Licra. Elle sera également présente au festival d’Avignon avec deux autres pièces.
450FM : Bonjour Pierrette. Ta longue carrière a démarré très tôt.
J’ai eu très jeune la passion du théâtre. A 15 ans, je courais déjà les routes de France avec ma troupe. En 1975, j’ai créé un spectacle seule en scène et j’ai eu la chance que La Presse me remarque, avec une double page dans « Elle », la couverture de « Pariscope »… Je dénotais au milieu des actrices comme Lavanant, Balasko, car je ne jouais pas de one-woman show comique.
« J’ai joué sur des frontières, pour des camps de réfugiés.[…] J’ai échappé à deux attentats… »
450FM : Dès 1984, tu assumes non seulement l’interprétation mais également l’écriture et la mise en scène de tous tes spectacles et tu commences à jouer au festival d’Avignon : ce sera ton 38ème festival cette année.
Les camarades les plus gentils disent que je suis la plus ancienne. Les autres disent que je suis la plus vieille… (rires) En tout cas, je suis la plus fidèle. J’ai vécu tous les festivals avec la même joie au cœur. En 2003, quand le festival s’est arrêté, j’ai dit « Non, non ! Il existe ! » Donc j’ai fait envoyer 350.000 cartes postales à l’Elysée pour dire « on continue, on joue, on joue ! ». J’étais vraiment sur tous les fronts…
450FM : Et donc en parallèle tu as commencé à jouer à l’étranger, notamment dans les pays en grande difficulté …
J’ai joué en Europe, dans des grands théâtres, mais très vite j’ai fait savoir au Quai d’Orsay que je souhaitais aller là où les autres n’allaient pas : au Liban, au Rwanda, au Bangladesh, au Cambodge… Depuis j’ai sillonné le monde, joué dans 70 pays. J’ai joué sur des frontières, pour des camps de réfugiés. A Beyrouth, j’ai joué sur la ligne de démarcation. J’ai échappé à 2 attentats… A chaque fois ce sont de grandes figures littéraires ou littéraires que j’explore : Colette, George Sand, Rimbaud… le patrimoine français.
450 FM : En France, tu abordes des sujets parfois très durs : le totalitarisme avec « Brûlez-tout », l’antisémitisme avec « Dreyfus, l’affaire », les violences faites aux femmes avec « Acquittez-la !», que tu vas jouer au festival d’Avignon. Également les camps de la mort avec « L’orchestre en sursis », un spectacle d’une grande densité que tu as beaucoup montré en milieu scolaire.
Un des points forts de mon travail : j’écoute les gens. C’est ce que j’ai fait quand j’ai voulu parler d’Auschwitz. J’ai pris mon temps. J’ai écouté beaucoup d’anciens déportés, notamment Sam Brown, qui était franc-maçon. Avec ce spectacle, je voulais rendre hommage aux victimes et dénoncer les bourreaux, mais je n’ai pas pensé tout de suite aux scolaires. Finalement, ce sont des professeurs d’histoire eux-mêmes qui m’ont contacté. Je le joue dans des situations où le thème de la Shoah est un sujet sensible, où les thèses révisionnistes circulent. Mais jamais, en plus de 200 dates, il n’y a eu l’ombre d’un ricanement ou d’un débordement. Les enfants sont confrontés à la réalité d’Auschwitz devant eux. Ils voient comment c’était organisé. Si on leur dit qu’il y a eu 6 millions de morts, c’est trop abstrait pour eux.. Avec ce spectacle, ils peuvent prendre conscience, s’émouvoir, et poser des questions.
« Avec le théâtre les enfants peuvent prendre conscience, s’émouvoir, se poser des questions »
C’est la même chose pour la pièce « Dreyfus l’Affaire » (nota, jusqu’au 27 Juin au Théâtre de la Contrescarpe), dès le début, mon Dreyfus est innocent. A nouveau, on voit la machinerie de l’antisémitisme se mettre en place autour de lui. Au moment du procès, les élèves s’indignent, se révoltent devant l’injustice qui lui est faite. Le spectacle fait une heure et quart et je retrace toute l’affaire depuis le début. Je me suis placée de son point de vue à lui. Je me suis appuyée sur son journal intime et ses lettres. Personne ne l’avait encore fait.
450FM : C’est un spectacle soutenu par la Ligue des Droits de l’Homme ?
Oui, c’est Madeleine Rebérioux (nota : ancienne présidente de la LDH) qui a vu la pièce à Avignon et qui l’a soutenue. C’est un spectacle que je joue absolument partout. Ce qui m’a intéressé une fois de plus, c’est l’erreur judiciaire, mais aussi le manque de jugement et de discernement de ceux qui suivent certains grands mouvements. C’est encore absolument actuel. Voir comment un homme ou une femme peut être broyé alors qu’il est innocent.
450FM : Tu mènes de front un engagement théâtral et un engagement humain très lié à ton engagement maçonnique, qui est connu. Comment a commencé ton engagement maçonnique ?
Ça n’a pas été facile ! je suis passée sous le bandeau 2 fois ! Certains Frères et Sœurs de l’époque étaient sceptiques quant à ma capacité, en tant qu’artiste, à respecter mon engagement d’assiduité avec le travail que je menais. Cela m’a appris aussi la patience et à ne jamais rien considérer comme acquis. Cela fait maintenant trente ans que je suis dans ma loge mère (nota : la Loge qui l’a initiée) et c’est toujours formidable.
« Je suis fière d’être Franc-Maçon »
450 FM Comment vis-tu le rapport entre le Théâtre et la Maçonnerie ?
J’ai toujours aimé la diversité, le débat d’idées. Non seulement je ne cache pas mon appartenance à la Maçonnerie, mais j’en suis fière, même si je ne l’affiche pas. J’ai fait plusieurs spectacles sur des femmes Francs-Maçons : Alexandra David-Néel, Joséphine Baker…
Je glisse dans chacun de mes spectacles les valeurs qui nous tiennent debout : Fraternité, tolérance. Je suis sans cesse en éveil : Quand un sujet m’intéresse, Je le prends et je le joue. Je veux être complètement libre de mes engagements, de mes choix, même s’il m’arrive aussi de jouer lors de commémorations historiques. J’ai interprété mon spectacle sur Jean Jaurès en 2014 dans le grand Temple de la rue Puteaux (nota : le siège de la Grande Loge De France). J’ai joué un spectacle sur Maria Deraisme pour les 120 ans du Droit Humain. J’ai toujours associé les deux dans ma vie : mes engagements et le théâtre. Apporter sa pierre, où qu’on soit et quoi qu’on fasse, c’est capital.
« L’Art : un produit essentiel »
L’art, pour moi, c’est ça. L’art, c’est un produit essentiel. Si on on enlève la culture, on enlève le rêve, la liberté. Qu’est ce qui a permis à des grands auteurs de rester vivant alors qu’on les avait emprisonnés pour leurs idées ? Qu’est ce qui fait que les artistes sont les premiers à souffrir des dictatures ? Les pouvoirs totalitaires veulent bâillonner les artistes parce qu’ils sont porteurs de rêves, de réflexions, et parfois de grandes décisions et de valeurs.
450 FM : Tu vas jouer deux spectacles au Festival d’Avignon du 7 au 31 Juillet : Un sur Léonard de Vinci, et l’autre sur le procès d’une femme qui a tué son mari violent. Tu peux nous en dire plus ?
J’aborde souvent des thèmes de société brûlants. Cet été, je joue un spectacle sur les violences faites aux femmes. « Acquittez-la ! » est le procès d’une femme qui a tué son bourreau. Mon spectacle raconte son histoire, depuis l’histoire d’amour à 14 ans, jusqu’aux maltraitances quotidiennes. Malmenée, humiliée, frappée, elle finira par tuer son mari d’un coup de couteau… La pièce est tirée d’une histoire vraie. Ce n’est pas l’histoire de Jacqueline Sauvage, c’est celle d’Alexandra Lange. Pour l’écrire j’ai appelé les personnes concernées, dont l’avocat général qui a instruit le procès. Alexandra Lange devait être condamnée en principe à vingt ans de prison, mais elle a été finalement acquittée… Dans son histoire se glissent aussi d’autres histoires, d’autres femmes. « Acquittez-là ! » se joue au théâtre Buffon, « à la fraîche », à 11h50.
L’autre spectacle, « Léonard de Vinci, ou l’éternité d’un génie » se joue au théâtre de la Luna, en fin d’après-midi. Je raconte son histoire depuis son enfance en Toscane jusqu’à sa mort au Clos Lucé. J’incarne le personnage de Léonard de Vinci à la fin de sa vie, entouré de ses machines extraordinaires. Je trace le portrait d’un homme envahit par la crainte de se faire voler ses écrits et ses inventions. Un homme diminué, paralysé d’un bras, qui oubliait ses propres codes secrets… C’est très touchant.
450FM : Merci Pierrette pour cet entretien. Si vous allez au Festival d’Avignon, vous aurez le plaisir de découvrir Pierrette Dupoyet sur scène ou de la revoir. Et pour l’immédiat, rendez-vous au théâtre de la Contrescarpe, pour un après-midi avec “Dreyfus, l’affaire.”
Propos recueillis par Isabelle Cerclé
« Dreyfus,l’affaire » :
les dimanches 20 et 27 Juin au Théâtre de la Contrescarpe, à 14h30
5, rue Blainville 75005 PARIS
Réservation au 01 42 01 81 88
https://theatredelacontrescarpe.fr/
Pierrette Dupoyet au festival d’Avignon du 7 au 31 Juillet :
« Acquittez-la ! » :
Théâtre Buffon 18 rue Buffon 84000 Avignon
Tous les jours à 11h50
04 90 27 36 89
https://www.theatre-buffon.fr/
« Léonard de Vinci ou L’éternité d’un génie » :
Théâtre de la Luna 1 rue Séverine 84000 Avignon
Tous les jours à 16h45
Réservations au 04 90 86 96 28
https://www.theatre-laluna.fr/
Site de Pierrette Dupoyet : http://www.pierrette-dupoyet.com/
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Bises