Rencontre avec la Grande Maîtresse de la Grande Loge Féminine de France, Catherine Lyautey, fraîchement élue par ses Sœurs le 29 mai dernier.
Catherine Lyautey est vive, chaleureuse ; c’est une femme dont les yeux bleus lumineux respirent la bienveillance fraternelle. Mais c’est aussi une femme de combat, engagée dans la défense de la laïcité. Ancienne grande Maîtresse adjointe sous le mandat de Marie-Thérèse Besson, elle assume depuis plusieurs années des responsabilités au sein de son obédience. Catherine Lyautey pense collectif, équipe, solidarité et transmission. L’histoire de la GLFF ainsi que la Fraternité sont au cœur de son projet. Elle utilise plus souvent le ” nous », que le « je ». Une vision collective bien adaptée à cette période de sortie de crise, où toutes les obédiences essaient de remettre les Loges au travail…
Vous avez été élue Grande Maîtresse de la Grande Loge féminine de France ce samedi 29 mai. Comment vivez-vous ce moment ? :
C’est un moment d’une grande émotion que celui de prendre la direction d’une obédience, celle de mon obédience. Je suis consciente de la charge que j’ai reçue. J’ai aussi conscience qu’il va falloir être à la hauteur de la confiance que mes Sœurs m’ont accordée. J’ai donc un très fort sentiment de responsabilité, mais aussi une grande fierté.
Notre obédience a été fondée il y a plus de 70 ans, maintenant. C’est une obédience exclusivement féminine.
Nous travaillons entre femmes, nous acceptons volontiers la présence de nos frères, lorsqu’ils veulent participer à nos travaux. Mais le cœur de notre démarche est une démarche vraiment féminine.
Lors de notre création, c’était la recherche d’émancipation de la femme qui était au cœur des préoccupations de nos pionnières. Posséder enfin une zone de liberté, y compris dans cette quête initiatique, était pour elles absolument essentiel.
La Grande Loge féminine de France compte environ 14 000 membres pour 452 loges. Nous sommes réparties sur l’ensemble du territoire français, y compris dans les Départements et Territoires d’Outre-mer, Europe de l’Est, en Afrique et au Moyen-Orient.
Cela explique certainement pourquoi, avant notre entretien, vous m’avez confié que vous étiez en Bulgarie la semaine dernière ?
C’est tout à fait ça. Nous sommes une obédience adogmatique et nous pratiquons une pluralité de rites. Cela permet aux femmes en quête de spiritualité, de pouvoir trouver le chemin initiatique qu’elles souhaitent.
Quelles ont été vos activités professionnelles ?
J’ai un parcours en deux parties : J’ai commencé ma carrière comme cadre commercial en bijouterie joaillerie durant près de vingt ans. Après une prise d’otage et deux braquages, je me suis dit qu’il fallait peut-être que je change de direction… Je me suis donc reconvertie dans la bureautique. J’ai trouvé un travail dans un cabinet ministériel grâce à une sœur qui m’a donné ma chance. J’ai passé les vingt dernières années de ma vie professionnelle au ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche en tant qu’assistante de direction.
Quel a été votre parcours maçonnique ?
Je suis rentrée en maçonnerie en 1994 et j’ai suivi un parcours maçonnique que je dirais classique. En étant Officière dans une loge, bien sûr, puis Vénérable Maîtresse. J’ai occupé très souvent la fonction de députée parce que très vite, je me suis intéressée à la vie de notre obédience.
J’ai collaboré aux commissions qui existaient à la GLFF. Nous en avons qui travaillent plus particulièrement sur nos rituels ou notre constitution, d’autre sociétales, qui travaillent sur le droit des femmes ou sur la laïcité. Nous en avons aussi une nouvelle sur l’éthique et la bioéthique.
J’ai été très investie dans la défense du principe de laïcité. J’ai donc été présidente de la Commission Nationale de la Laïcité. J’ai aussi été présidente de notre Congrès Régional et j’ai dirigé aussi une fois notre Convent, c’est à dire notre assemblée générale. Enfin, j’ai été conseillère fédérale en 2015 (nota : Avec Marie-Thérèse Besson, qui était Grande Maîtresse à cette époque), et j’ai tenu le plateau de Grande Maîtresse Adjointe en charge des Affaires internes
Comment avez-vous fait pour concilier obligations maçonniques et vie personnelle ?
J’ai surtout donné beaucoup de mes RTT et de mes congés pour l’obédience… (rires)
Est-ce que ce mandat va vous permettre, de prolonger des actions déjà menées ?
Monter au Conseil Fédéral, ce n’est pas gommer ce qui a été fait. C’est selon moi une transmission, une continuité. Donc, ce que j’avais mis en place ou commencé a été continué par l’équipe suivante. Des choses ont été abouties, d’autres ont été abandonnées. C’est une continuité, on ne change pas tout. C’est surtout une transmission.
Quels sont les objectifs que vous avez envie de poursuivre ?
La crise sanitaire a mis entre parenthèse l’ensemble des Loges maçonniques. J’arrive à un moment où on a l’impression qu’ on sort du tunnel avec les vaccins. La première des choses, c’est de faire en sorte que tout le monde retourne en Loge et puisse reprendre son cheminement initiatique au plus vite.
Nous avons également beaucoup de sœurs en devenir qui attendent leur cérémonie d’Initialisation. Elles ont « frappé à la porte du Temple ». Nous allons devoir les recevoir au plus vite parce que ces femmes vont nous apporter une sève nouvelle et un nouvel espoir.
Il va falloir continuer à travailler sur notre solidarité car les femmes ont été très impactées par cette crise. La solidarité se vit d’abord dans les loges. C’est pourquoi, nous avons mis en place au niveau national, une aide spéciale Covid. Nous allons proroger ce soutien durant quelques temps.
Nous nous sommes rendues compte aussi qu’il y avait dans notre pacte social (notre règlement maison), des situations que nous n’avions pas envisagé. Il va falloir nous adapter pour faire face à ces urgences.
Ce qui est également important pour moi, c’est d’avoir une connaissance de ce que j’appelle la culture obédientielle. On ne connaît jamais suffisamment sa propre histoire et celle de la Franc-Maçonnerie féminine en particulier. Je voudrais que ce projet devienne collectif.
Quels sont les outils que la GLFF a mis en place pendant la crise ? Est-ce qu’il y a du positif à tirer de cette période ?
Plus rien ne sera comme avant dans notre fonctionnement.
Comme tout le monde, nous avons saisi l’occasion de la visio-conférence : l’équipe précédente a rapidement mis en place, pour toutes les loges qui le souhaitaient, un système de visioconférence. Cela a été un lien essentiel.
Bien évidemment, la démarche initiatique reste dans le Temple, hors du temps. Mais tout ce qui peut être de l’ordre de la relation avec les sœurs a été facilité. Les commissions de travail, par exemple, ont bénéficié d’un dynamisme incroyable grâce aux visioconférences. Auparavant, elles se réunissaient à Paris, avec les sœurs qui le pouvaient. Beaucoup de sœurs à l’international et hors Hexagone avaient la sensation d’être un peu “à part”. Aujourd’hui, elles se sentent pleinement intégrées à la GLFF…
Les Temples sont restés longtemps fermés. Comment les sœurs de la GLFF ont-elles vécu cette situation d’éloignement ? Comment avez-vous maintenu le navire à flot ?
Le navire a été maintenu à flot grâce au système de visioconférence. Bien sûr, tout le monde n’a pas joué le jeu. Il y a eu aussi celles qui n’étaient plus dans “ce temps là”. et des loges qui ne répondaient plus.
Pour celles qui se sont servies de ce moyen moderne, ce fut très constructif pour consolider le lien ; en effet, les Sœurs présentaient des travaux, échangeaient, et discutaient. Ce fut essentiel. Il n’y a pas eu d’épidémie de démissions. Pour celles qui ont pu, grâce à l’obédience, faire de la visio, le lien a même été renforcé.
Que pensez-vous de l’aggravation de la situation des femmes dans le monde en raison de la crise sanitaire ? En France, on a vu que les violences faites aux femmes s’accentuaient. Que fait la Grande Loge Féminine de France pour défendre les droits de ces femmes?
La défense des droits des femmes est dans notre Constitution ; elle fait partie intégrante de ce que nous prônons et de ce que nous voulons défendre.
Nous avons une Commission Nationale des Droits des Femmes qui est toujours très active. Elle interpelle immédiatement l’obédience quand il y a des sujets brûlants. Nous essayons d’intervenir et de prendre la parole dès que cela est possible. Nous répondons aux sollicitations du gouvernement, lorsqu’il nous demande notre avis.
On y travaille, et on va y travailler encore plus. Il n’est absolument pas normal qu’à notre époque, une femme soit tuée parce qu’elle est femme . Une femme est un être humain : il n’y a pas de « sous-être humain ». C’est pour moi une révolte permanente.
D’autres obédiences, le Grand Orient de France notamment au travers de sa Fondation, se penchent sur cette question. A quand peut-être un grand colloque inter-obédientiel sur les violences faites aux femmes ?
C’est une bonne idée ! La Commission des droits des femmes a organisé un colloque sur le coût financier des violences faites aux femmes. C’était un colloque très intéressant. Il soulevait des problèmes, notamment sur les lacunes dans notre système juridique pour que les femmes puissent se défendre. Sous prétexte que cela grevait un budget gouvernemental, des mesures nécessaires n’ont pas été mises en place.
Que pourriez-vous dire à une profane qui souhaiterait rejoindre la Franc-Maçonnerie féminine aujourd’hui ?
Si vous êtes en quête de spiritualité et que vous vous demandez quelle est votre place dans le monde, et si vous cherchez une démarche humaniste : venez frapper à la porte de notre Temple.
Dans un monde d’immédiateté, les femmes se retrouvent entre elles. Elles prennent du temps pour elles, rien que pour elles, dans un espace de déconnexion hors du temps.
La Franc-Maçonnerie, c’est aussi des rencontres intergénérationnelles, un lieu où chacun, et chacune peu s’exprimer sans craintes de jugement.
Dans un monde de “prêt à penser”, nous sommes un lieu perpétuel de questionnement.
Je voudrais terminer notre échange sur une phrase qui vient d’une grande pionnière, savoir, Gisèle Faivre: nota ( Ancienne Grande-Maîtresse de la GLFF) et vous donner une définition des franc-maçonnes :
« Une franc-maçonne est une femme ordinaire, mais avec une exigence en plus. »
(Propos recueillis par Isabelle Cerclé)
Bel interview d’une Respectable Grande Maîtresse de la GLFF souriante, lucide et qui apparaît profondément humaniste …
Un avenir pour la GLFF qui s’annonce prometteur et bien déterminé grâce à ce désir de mettre en oeuvre une responsabilité partagée, tenant compte des points forts et des points susceptibles d’ amélioration pour bien garder le cap !
Bravo !