Si nous conservons des rituels, c’est pour de bonnes raisons initiatiques : transmission et cohésion. Mais y aurait-il, par ailleurs, des côtés négatifs ?
Nos rituels ont été créés à l’époque historique dite moderne, à laquelle les temps contemporains ont succédé. Le changement d’époque justifie-t-il qu’on vire l’eau du bain maçonnique avec son bébé initiatique ?
Tout de même, l’usage de rituels date de bien avant, c’est-à-dire du temps des religions animistes, antérieures aux religions théistes du temps présent.
Problème : les rituels des temps anciens étaient souvent violents et coûteux. Les aztèques allaient jusqu’à sacrifier des milliers de jeunes chaque année. Et, si on en croit la bible, Abraham acceptait d’égorger son fils aîné sans sourciller. Puis un premier substitut fut le sacrifice d’animaux. L’idée est que le sang doit couler : le sacrifice est la preuve de l’amour porté à la divinité, laquelle peut alors, si elle est bien disposée, accepter l’alliance avec les humains et accorder quelques faveurs comme une bonne récolte, peu de maladies ou catastrophes naturelles, etc. Dans le christianisme, c’est Jésus qui est sacrifié, et il reste des souffrances imposées dans certains ordres religieux, souvent associés au mysticisme.
Les rites et rituels ont deux fonctions principales.
La première est de servir de preuve de la justesse de la croyance placée dans les divinités . L’homme est un animal social, et beaucoup d’actions humaines, depuis l’enfance mais aussi bien plus tard, sont fondées sur l’imitation pure et simple des gestes d’autrui. Et, si l’autrui en question est désigné comme une autorité, comme le sont les parents, l’imitation devient presque automatique. C’est pourquoi la religion des parents est le premier déterminant, et de loin, de la religion d’un jeune partout sur la planète.
L’adoption de croyances s’appuie plus sur les actes que sur les paroles. Et plus les actes sont forts, douloureux, coûteux, spectaculaires, plus ils entraînent l’adhésion. La souffrance est indissociable de l’initiatique, remarquaient Freud, Lévi-Strauss et Eliade.
Si les actes sont incompréhensibles, c’est la preuve de l’ existence mystérieuse de la divinité et de sa puissance.
Une cérémonie de passage frappante s’inscrit de manière indélébile dans l’esprit des nouveaux convertis, qui deviendront naturellement prosélytes : le buzz des réseaux sociaux avant l’heure, quoi, surtout si on ajoute des récits de terribles martyres ou de merveilleux miracles. Les djihadistes en attentats suicides d’aujourd’hui provoquent une admiration virale très proche de celle des saints martyres d’antan.
Bref, nous avons là une fonction de transmission et stabilisation/ancrage des religions et autres croyances.
Une seconde fonction des rituels est de créer et cimenter la cohésion du groupe. Depuis le néolithique et sa sédentarisation, les villes sont apparues, avec leur cortège de tentations de transgressions grâce à l’anonymat et son impunité. Une manière d’intégrer l’inconnu, qui parle parfois un autre idiome, dans un groupe est la pratique en commun des rites. Le rituel réunit, et on finit par s’appeler sœur ou frère. La pratique devient le signal que l’on adhère aussi aux valeurs culturelles et morales du groupe. Mais l’inconvénient, indissociable, est l’envie d’exclure celui qui ne pratique pas le même rituel , voire de l’agresser ou de l’ostraciser. Certaines apostasies sont toujours punies de mort.
Mais revenons aux aspects positifs, démontrés par moult études psychosociologiques récentes.
La synchronie des gestuelles et les paroles identiques créent un sentiment d’affiliation très puissant et accroît la sensation de fusion avec le groupe. En chantant ou dansant ensemble le niveau de confiance mutuel croît fortement ; il en va de même pour les solidarités actives. Le collectif créé éprouve un important plaisir et un sentiment de fusion. Certains gourous s’en servent, parfois négativement.
Et la franc-maçonnerie, dans tout ça ?
Née au 17e siècle ( Kilwinning etc. ), elle a bénéficié des efforts civilisationnels accomplis jusque-là : les sacrifices sanglants sont remplacés par du symbolisme . Des souffrances imposées il semble ne rester tout au plus que quelques obligations d’apprendre des rituels entiers par cœur dans certaines loges ( comme dans les écoles religieuses ), et le silence de l’apprenti . Nous avons donc perdu un peu en force de frappe des esprits. Nous nous raccrochons un peu aux branches grâce à la force évocatrice des récits et mythes : les cérémonies de passage restent pour le moment gravées dans nos mémoires …espérons que les réalités virtuelles du monde numérique, toujours plus performantes, ne créeront pas des jeunes blasés, ringardisant nos rituels d’initiation tels qu’hérités de nos anciens .
Bref, la première fonction, celle de la transmission, doit être l’objet de toute notre vigilance, et nous avons sous les yeux la chute raide des effectifs dans le monde anglo-saxon.
La seconde fonction, celle du renforcement de la cohésion, me semble toujours bien présente , y compris l’accueil et l’intégration des « étrangers », le plaisir de partager les valeurs, d’être ensemble et de se soutenir.
Oserais je dire que la franc-maçonnerie a réussi à retenir les avantages des rites et à repousser, dans la majorité des cas, les points négatifs ? Si c’est bien le cas, ils ont toujours leur place dans notre société.
Qu’en pensez-vous ?
“Les rites et rituels ont deux fonctions principales. La première est de servir de preuve de la justesse de la croyance placée dans les divinités”. “Une seconde fonction des rituels est de créer et cimenter la cohésion du groupe.”
En maçonnerie de 1723 que nous pratiquons toujours, il n’y a pas de divinités, donc les rituels ne peuvent pas “servir de preuve de la justesse de la croyance placée dans les divinités”
L’initiation a, et avait toujours, un autre objectif: faire passer un (jeune) humain de l’état de “l’individu – centre de (son) univers” à un individu faisant partie de l’humanité (comprise à une échelle plus ou moins vaste: la tribu, la religion, la nation… l’humanité entière).
J’explique mon point de vue en détail dans mon livre “Les francs-maçons arrêtés au milieu du gué”, ECE-D, 11/2020.