mar 23 décembre 2025 - 10:12

De la Planche en Loge maçonnique – Le morceau d’Architecture, art & méthode

Il existe des livres qui transmettent un art vivant. Et il existe des livrets qui, sous couvert d’aider, finissent surtout par expliquer qu’ils sont là – comme une béquille posée au milieu du Temple, non pour soutenir un Frère, mais pour rassurer l’époque. De la Planche en Loge maçonnique – Le Morceau d’Architecture, art & méthode appartient, hélas, à cette seconde famille.

Celle qui prend un geste initiatique – l’offrande d’un Morceau d’Architecture – et le rabat vers une petite industrie de recettes, de rubriques, de “bonnes pratiques”, comme si l’âme d’une planche se réglait au tournevis.

Le point de départ annoncé dit tout : une Tenue “pénible”, une planche vécue comme “supplice”, et, pour réponse, un guide. Voilà le réflexe contemporain dans sa nudité : au lieu de rappeler la maturation, le silence, la lenteur féconde, la justesse qui vient quand la pierre résiste, le livret choisit le mot fétiche – “méthode”. Or la Franc-Maçonnerie, qui porte aussi le nom d’Art Royal, n’a jamais manqué de méthodes. Ce qui manque parfois, c’est le courage d’une voix, et la patience d’un cœur qui accepte d’être travaillé avant de prétendre travailler.

La structure promise – définition, conception, écriture, “traitement maçonnique”, prestation, “divers” – trahit déjà l’erreur d’orientation. Tout est segmenté comme un process : un acte vivant réduit à une chaîne de fabrication, comme si l’essentiel, la nécessité intérieure, la transmutation d’une expérience, n’étaient qu’un item coincé entre “écriture” et “prestation”. Et ce mot, “prestation”, est peut-être le plus révélateur : un Morceau d’Architecture n’est pas une performance. C’est une offrande. Une prestation suppose un public, une attente de validation, une logique de résultat. Une offrande suppose une fraternité, une vulnérabilité, parfois une maladresse lumineuse, mais habitée. À force de vouloir “corriger” l’acte, le livret le dénature ; et l’on obtient ce que l’auteur prétend conjurer : des planches propres, lisses, parfaitement oubliables.

Le nœud du problème tient dans cette expression calamiteuse : “traitement maçonnique”. Comme si l’on pouvait écrire d’abord “au profane”, puis “maçonner” ensuite, par surcouche : trois mots-clés (lumière, Temple, initiation), deux citations remâchées, un vernis symbolique. C’est précisément cette logique qui fabrique les textes les plus faux : ceux qui “sonnent” maçonniques sans l’être, ceux qui imitent le sacré au lieu de s’en approcher. Ici, la pédagogie ressemble moins à une transmission qu’à une domestication : une manière d’endiguer l’ennui par des recettes de clarté, de structure, d’efficacité… comme si la Loge était un amphithéâtre, et la voûte étoilée un décor de conférence.

Et c’est là que le décalage devient accablant quand nous regardons la biographie de l’auteur

Jiri Pragman est journaliste, spécialiste des usages d’Internet, animateur et éditeur d’un important écosystème numérique maçonnique (le Blog Maçonnique, 2004–2014), chroniqueur, auteur de titres centrés sur la franc-maçonnerie et la communication (L’Internet est-il maçonnique ? en 2004 ; Hiram, et après ? en 2007 ; Le testament d’un blogueur franc-maçon en 2014 ; Franc-Maçonnerie et Internet sont-ils compatibles ? en 2016), concepteur de « cahiers de vacances » maçonniques, organisateur et modérateur de salons, initié en 2001 au Grand Orient de Belgique, avec, dans la vie profane, une trajectoire de communicant numérique et de communication IT.

Bref, un CV qui annonce une intelligence du médium, une expérience du terrain, une capacité à saisir l’époque et à en déjouer les pièges

Or, précisément, le texte produit ici donne l’impression inverse : comme si, au lieu d’une pensée de l’initiation, nous recevions une note de service. Comme si l’auteur, fort de sa maîtrise de la communication, appliquait à la Loge les réflexes de la communication : cadrer, scénariser, simplifier, “faire passer”. Mais un Morceau d’Architecture n’a pas vocation à “passer”. Il a vocation à éprouver, à tailler, à ouvrir. La Loge n’est pas un lieu où l’on optimise : c’est un lieu où l’on consent à ne pas maîtriser trop vite.

La sévérité s’impose d’autant plus que ce livret date de 2018

Si l’on le lit en 2021, il aurait déjà fallu qu’une édition revue et augmentée existe – non pour grossir l’objet, mais pour réparer sa pauvreté. Car le problème n’est pas qu’il soit court : le problème est qu’il confond l’outil et l’esprit, la forme et le feu. Trois ans après, une vraie réécriture aurait dû assumer une question simple : pourquoi, au fond, des planches deviennent-elles pénibles ? Et la réponse n’est pas dans le plan en six points. Elle est dans la culture de Loge elle-même : dans la peur du vide, dans l’obsession de bien faire, dans l’imitation, dans la conformité, dans l’angoisse d’être jugé. Un manuel ne guérit pas cela. Au mieux, il masque. Au pire, il l’aggrave en installant l’illusion qu’il existerait une manière correcte de produire du sens.

Dès lors, à quoi sert ce petit opuscule ?

À un lectorat parfois érudit ? Même pas sûr. L’érudition n’est pas ici nourrie. Elle est convoquée comme un décor de sérieux. Aux jeunes Frères et Sœurs ? C’est justement là le danger : leur faire croire qu’une planche est une compétence, et non une épreuve. Or une planche se fait d’abord avec le cœur, oui – mais un cœur discipliné, un cœur qui consent à l’effort, à la rectification, à la pudeur. Et surtout, une Loge n’est pas dépourvue d’instruction : elle a des Surveillants, elle a des officiers, elle a des usages, elle a des traditions d’accompagnement. Quand une Loge ne sait plus former, ce n’est pas un guide “prêt à l’emploi” qui la sauvera : c’est une reprise de conscience, une humilité, une restauration de la transmission vivante.

Au fond, ce livret ressemble à un pseudo roman-feuilleton sur “la chose”

Il raconte la planche comme un objet à gérer, un problème à résoudre, un ennui à éviter. Mais la planche n’est pas un problème : c’est une chance. Une chance d’être déplacé par un thème, contredit par lui, humilié parfois, éclairé rarement – et c’est très bien ainsi. Le travail initiatique n’a pas pour mission d’épargner l’inconfort ; il le transforme en pierre à tailler. Ici, l’“art & méthode” ressemble davantage à un catalogue de consignes qu’à une école de vérité.

Au final, ce livre ne bâtit pas. Il trace des lignes droites sur la pierre pour donner l’illusion de la colonne. Cela fait sérieux. Cela rassure. Cela ne transmet rien d’essentiel. Et l’Art Royal, lui, ne se rassure pas : il s’éprouve.

De la Planche en Loge maçonnique – Le morceau d’Architecture, art & méthode

Jiri Pragman – Numérilivre, 2018, 112 pages, 12 €

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Articles en relation avec ce sujet

Titre du document

DERNIERS ARTICLES