Au commencement était l’oubli.
Bien sûr, avant le début de tout, il y eut un grand souffle, violent, ininterrompu, qui a dissipé les idées en débris et les a plantées de-ci de-là en les tirant comme un soc de charrue, pour creuser un cours d’eau, remplir une mer ou remblayer des montagnes en les accrochant en chaînes. Le charivari, le vacarme furent atroces ! Puis, peu à peu, le calme se fit. Comme toujours.
Pendant ce temps, l’oubli avait attendu son heure, patiemment, humblement presque, en se cachant derrière la porte qui donnait sur le parc aux arbres déjà millénaires. Pour passer le temps – le temps a ici une grande importance -, il avait écrit des mots sur chaque feuille. Et les feuilles, toutes fières d’avoir accès comme ça à la culture, affichaient les mots complaisamment en tournoyant sous la brise du parc pour faire des phrases.
L’air de rien apaisait le monde et tout était comme si de rien n’était. On pouvait maintenant choisir, parmi les mots inscrits sur les feuilles, ceux qui conviendraient.
Certains pensaient même qu’ils résoudraient des situations embarrassantes, par exemple que faire en cas d’écho, ou alors quand on bégaie, ou encore quand on reste coi, bouche bée, quoi… Bref, on leur faisait confiance aux mots.
Alors, les arbres se sont mis à pousser, car ça les épanouit qu’on leur fasse confiance. Leurs branches ont grandi, grandi, et sont devenues de plus en plus longues, avec des feuilles de plus en plus nombreuses, et elles ont entouré la terre.
C’est pour ça que les mots tombent quand il pleut et que, lorsque les feuilles ont envie de se prélasser, de bronzer au soleil, elles laissent passer le ciel bleu. Le reste du temps elles écrivent avec l’encre grise des nuages ; elles préparent les messages de tous nos ancêtres là-haut, pour qu’on les comprenne bien. C’est ça, la tradition.
L’oubli n’est pas en reste. Il recueille l’encre, pourtant indélébile, qui déteint des mots qui n’ont pas fait de phrases. Il en mélange les couleurs et quelquefois ça fait des rêves de kaléidoscope, très colorés mais trop changeants ! D’autres fois ça fait un gros pâté qu’il avale goulûment. Que voulez-vous, il faut bien vivre…
Jean François Maury