sam 23 novembre 2024 - 08:11

Tout ce pognon de dingue!

Il y a quelques années, j’ai travaillé au sein d’un groupe maçonnique, qui cherchait à joindre éthique et finance et à formuler des propositions de nouvelles mutualités pour poursuivre le progrès social alors que l’État-providence était supposé être en phase d’implosion. Question si fondamentale qu’à l’époque, il avait semblé opportun à un certain nombre de Francs-maçons, de tous rites et de toutes obédiences, d’y réfléchir et de produire des propositions. En effet, le solidarisme et les mutualités sont des idées très importantes, issues des valeurs de fraternité qui nous sont chères.

Le problème est que pour penser et réfléchir, il faut savoir se débarrasser de ses métaux, et donc de ses préjugés. Chose difficile, dans un cénacle maçonnique, la parole étant parfois confisquée par des vieux boomers plus avides de parler d’eux que de questionner l’assemblée et bien sûr, incapables de se défaire de leurs certitudes, au point d’en asséner des travaux qui auraient justement besoin de remise en cause desdites certitudes. Trop souvent, ces certitudes libérales d’anciens soixante-huitards sont un amour du libéralisme et un désir de liberté, qui se sont pervertis en néolibéralisme et ressentiment envers l’autorité que représente l’État. Pour ces gens qui ont voulu faire la révolution, l’État est un oppresseur et empêcherait l’émancipation de l’individu. Notons que cette idée est également présente chez tous les grands patrons de la Silicon Valley, qui prétendent vouloir supprimer l’État pour augmenter leurs seuls profits. On la retrouve de manière plus structurée chez tous les prophètes du néolibéralisme : Alan « Starve the Beast » Greenspan, Milton Friedman et d’autres fous du dollar.

Le point commun entre tous ces braves gens, passés, actuels et à venir est la destruction de l’État et de tous les systèmes de solidarité existants depuis le Conseil National de la Résistance (et même avant pour d’autres). Qui plus est, cette idée se retrouve dans la représentation du patronat français.

L’idéologie qui se cache derrière le fatras de slogans contre « la dette », « les assistés », « la gabegie », ou encore l’aspect « socialo-marxiste » des français est une idéologie d’ultra-individualisme, selon laquelle seuls les plus forts peuvent vivre et les plus faibles à peine survivre. Dans ce monde là, l’État devrait se plier aux desiderata des grands groupes, qui feraient leur propre loi. Un peu comme si un réseau social de micro-blogging grand pourvoyeur de contenus haineux décidait de censurer un homme politique en fin de course (qui aurait pourtant bien contribué à rendre ce réseau populaire), au mépris de toute décision judiciaire. On se croirait presque dans un western !

Tous ceux qui prônent ce far west contemporain sont les premiers à fustiger toute tentative de redistribution des richesses par l’État et ses assurances sociales, au motif que toucher ces assurances inciterait à la débauche et à la paresse. Ben voyons. C’est ainsi qu’on a entendu nos dirigeants expliquer qu’il ne faut pas aider les jeunes mis en difficulté par la crise au motif qu’ainsi aidés, les jeunes n’auraient plus envie de chercher un emploi et qu’ils doivent apprendre à se débrouiller seuls. Bon, les personnes proférant ce genre d’âneries n’ont visiblement jamais connu un réfrigérateur vide le 15 du mois, ou l’angoisse du loyer impayé. Ce serait plutôt le genre Auteuil Neuilly Passy… De la même façon, le parti majoritaire tente régulièrement d’empêcher le nouveau calcul de l’allocation adulte handicapé (actuellement calculée sur la base des ressources du conjoint), préférant ne pas faire jouer la solidarité nationale, mais celle du couple. Bon, pour l’émancipation de la personne, la dignité humaine etc., on repassera.

Et pourtant, même si ceux si prompts à dénoncer les assistés, la culture de la défaite, cette ignominie qu’est la fameuse dette sont les premiers à expliquer que l’assistanat, le salariat, la solidarité, c’est dépassé, ils sont paradoxalement les premiers à réclamer de l’aide à l’État en cas de coup dur, par exemple sous forme de réduction d’impôts, crédit d’impôts etc. Des mesures coûteuses pour nous tous, mais qui ne rapportent rien… Ces self-made-men tentent de faire croire qu’ils ont bâti leur fortune seuls, sans dépendre de personne. Sauf que non. Entre les héritiers de grands groupes ou de la boite de Papa, ou d’autres qui ont simplement eu de la chance dans ce grand jeu qu’est la bourse, peu ont eu à investir vraiment, ou prendre des risques. Par contre, beaucoup ont bénéficié de soutiens familiaux, voire, si j’ose dire, de solidarité de classe. Seraient-ils d’accord avec le solidarisme, du moment qu’ils en bénéficient eux, mais pas les gueux ?

Ah, si on pouvait concilier le fameux ruissellement et le solidarisme. D’ailleurs, ce serait le moment ! L’association ATTAC a recensé quelques uns des profiteurs de la crise. Peut-être qu’avec leurs bénéfices records, ces braves gens pourraient contribuer davantage à la société, en laissant ruisseler quelques subsides, plutôt que d’organiser la faillite de l’État-providence avec des mécanismes d’optimisation fiscale privant l’État de ses ressources, et l’obligeant à renoncer à ce ciment de la société que sont les services publics, comme les hôpitaux, les écoles ou les infrastructures de transport. Mais visiblement, leur priorité reste les dividendes au détriment du reste. On ne va pas payer des impôts non plus, laissons cela aux pauvres. Et surtout, n’allons pas fustiger les plus riches, ce serait passer pour un antilibéral, voire un réactionnaire, ou pire, un marxiste…

Le néolibéralisme est une valeur anti-maçonnique, dans le sens où il implique la création d’une société barbare, où seuls les forts survivent. Dans cette société antisociale appelée des vœux des plus riches, la justice serait rendue par tel ou tel trust, ne pourraient se soigner ou être éduqués que ceux qui en ont les moyens, et tant pis pour les autres. Il n’y aurait plus que la guerre de tous contre tous, sous un Etat à la botte des plus riches. Tiens, ça me rappelle l’Angleterre de Mme Thatcher, ça.

Est-ce un tel monde, le Béhémoth de Hobbes que nous voulons laisser à nos enfants ? Voulons-nous réellement de la fin du solidarisme, pourtant porté par le Frère Léon Bourgeois ? Il ne m’appartient pas de juger les idées des uns et des autres, mais j’ai du mal à comprendre que l’on puisse défendre le néolibéralisme (et l’idéologie putride associée) et en même temps, adhérer aux valeurs humanistes de la Franc-maçonnerie.

J’ai dit.

2 Commentaires

  1. L’état de la planète et la robotisation en marche obligeront nos sociétés à changer complètement, sinon la feront crever. Les ultra-riches lucides (il y en a) savent qu’ils n’échapperont pas aux conséquences de leur “le libéralisme totalitaire”.
    Puis-je t’inviter à lire mes dossiers sur “l’intelligence artificielle” et “le libéralisme totalitaire”
    https://blogs.mediapart.fr/peter-bu/blog/100620/sommaire-tout-ce-que-vous-ne-voulez-pas-savoir
    Fraternellement PB

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Josselin
Josselin
Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).

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