ven 19 avril 2024 - 16:04

La question du mal: l’esprit de l’entreprise.

Trigger warning : ce billet contient des éléments critiques et politiques sur la gestion de crise, avec des éléments marxistes et une articulation relevant de la pire mauvaise foi.

Depuis des décennies, on nous serine à tous les niveaux que le modèle entrepreneurial est le seul qui vaille la peine. On doit tout gérer comme on gérerait une entreprise : le foyer, son association sportive, l’administration, l’État, et même parfois, sa Loge maçonnique. D’ailleurs, tout est orienté vers l’éventuelle insertion dans l’entreprise (je dis bien éventuelle, parce qu’en fait, depuis un moment, l’emploi, c’est pas tout à fait ça…), du moins celles qui existent encore et qui ne sont pas délocalisées là où le coût de l’emploi est moindre. Le coût humain et environnemental aussi, mais c’est une autre histoire. Donc, nous sommes conditionnés depuis une quarantaine d’années à tout gérer comme une entreprise. Sauf que l’État, la collectivité, l’association sans but lucratif, ou la Loge n’ont pas du tout le même but que l’entreprise, qu’elle soit publique ou privée. L’entreprise vend des biens ou des services et réalise des plus-values, c’est la base qu’on apprend en technologie en 6e. Mais bon, il semblerait qu’élever ses enfants relèverait de la stratégie BtoB, qu’organiser un tournoi de pétanque nécessite un business-plan et que la progression initiatique soit indexée sur le bilan trimestriel symbolique… Quant à l’État, son temps n’est pas du tout celui de l’entreprise, ses moyens non plus (d’autant plus que certaines entreprises tendent à oublier de verser leur écot à l’État et aux collectivités, mais ceci est une autre histoire que Cash Investigation racontera bien mieux que moi). Bref, hors de l’entreprise, point de salut. De la même manière, et c’est lié, nous sommes conditionnés pour penser que le capitalisme est fait pour durer et qu’il n’y a pas d’alternative. Les méthodes de management contemporaines et le modus operandi entrepreneurial sont arrivés au sommet de l’État, et nous en souffrons tous.

Et c’est là le point qui me préoccupe. Comme beaucoup de monde, je m’inquiète et m’insurge des mesures toujours plus absurdes de lutte contre la pandémie : fermeture des lieux de culture mais pas des bureaux, fermeture des bars et restaurants mais pas des cantines d’entreprise, fermeture des remontées mécaniques mais pas des transports en commun bondés… Nous subissons également le stop and go qui nous déphase, nous fatigue ou pire, nous casse. Nos gouvernants nous font porter la responsabilité de leurs échecs en annonçant le nombre de morts et de contaminations chaque jour et en nous reprochant de ne pas avoir atteint des objectifs inatteignables. Or, en lisant un ouvrage sur le procès des dirigeants de France Télécomi, j’ai eu une épiphanie. Nos gouvernants appliquent une stratégie de harcèlement comparable à celle mise au point par des apprentis-sorciers pour dégraisser les effectifs de France Télécom, devenue Orange depuis.

Bon, la différence entre l’entreprise et l’État, c’est qu’on peut démissionner de l’entreprise ou l’attaquer en justice. D’ailleurs, je me dois de rappeler l’article L-222-33-2 du Code Pénal sur le harcèlement : « Le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende ». Si nos gouvernants étaient des dirigeants d’entreprise, ils seraient déjà assignés en justice suite à une série de plaintes pour harcèlement !

Néanmoins, j’ai continué de tailler ma pierre et de l’éprouver par l’équerre, mes questions n’ayant pas encore trouvé la réponse : comment en est-on arrivé à cette situation, où des ministres se comportent en harceleurs institutionnalisés d’entreprises ? Ce sont deux articles, l’un lu dans Charlie Hebdo, l’autre dans le Canard Enchaînéii qui m’ont éclairé : le gouvernement, plutôt que faire appel à ses chers hauts fonctionnaires (les X, les énarques, les anciens de l’EHESP etc.), a choisi de faire appel à une société de conseil privée (et étrangèreiii, de surcroît), qui a dépêché ses mercenaires (qu’on appelle également des consultants). Exactement comme à France Télécom, qui a fait appel à des consultants en ressources humaines pour dégraisser le personnel…

Le problème est qu’un consultant aura tendance à (mal) expliquer à un professionnel comment faire son travail, se faire payer très cheriv pour cette tâche et qu’il n’y aura pas de résultats, le consultant n’étant pas là pour résoudre un problème mais pour conforter et rassurer son client. Un peu comme une geisha dans une maison de plaisir… La philosophe Simone Weil avait déjà, dans les années 1930 fustigé la classe naissante des « techniciens », ces gens prétendant expliquer à un ouvrier qualifié comment utiliser sa machine, qu’ils n’avaient pourtant jamais vue…

Bon, outre les retards sur la vaccination et les autres cafouillages, il y a une question grave à laquelle il va falloir répondre: à quoi servent nos hauts fonctionnaires, puisque l’État externalise la décision, le conseil, l’organisation, la logistique, l’orientation stratégique etc. ? D’ailleurs, le fait de faire appel à des mercenaires n’est-il pas l’aveu d’un grave défaut de préparation ou d’anticipation (et de désaveu de la compétence interne) ? A moins que ce ne soit un pantouflage entre amisv (ce qui serait très grave)?

Si faire appel à un consultant peut s’envisager en entreprise, il me semble très hasardeux de faire appel à ces gens pour une crise sanitaire grave, tout simplement parce que leur loyauté n’ira pas vers leur client, mais bien vers leur employeur. De plus, ces gens n’ont aucun sens du service public, ni même d’éthique publique. Ils ne sont pas là pour ça. D’ailleurs, je ne suis même pas sûr qu’ils aient une éthique tout court, à en juger par leur ignorance de ce que peut être le quotidien de tous devenu difficile à cause de leurs clowneries, adaptées en normes de vie. J’en veux pour preuve l’interdiction de se déplacer pour le citoyen lambda après 18h, mais pas pour le livreur de repas, ce qui en dit long sur leur conception de l’humain… et encore plus sur la déconnexion entre les prétendues élites et la population !

L’oeuvre des Mauvais Compagnons au pouvoir, qu’ils soient consultants ou politiques, nous détruit à petit feu au nom de la sécurité sanitaire. Mon ancien professeur a d’ailleurs écrit à propos de la crise que le traumatisme venait du choix qui avait été fait de « privilégier le vivant au détriment de l’humain ». Ces condottieres ont détruit la vie culturelle, la convivialité, et tout ce qui fait la civilisation, au nom de leur idéal d’entreprise. Une vie qu’ils n’ont jamais connue, pris qu’ils sont dans leur emploi déconnecté des contingences du quotidien.

J’en viens à penser que sous couvert de leur prétendu haut niveau d’expertise, consultants et politiques dissimulent une ignorance, un fanatisme et une ambition les amenant, et donc, nous amenant tous à la barbarie et au mal. Même moi, en tant que Franc-maçon, je commence à fatiguer de ces mesures incohérentes, de ces agressions psychiques quotidiennes, de cette lutte aussi absurde que les poursuites de Tom & Jerry ou de Bip-bip et du Coyotevi. Les actes de nos dirigeants ne font que nous rappeler les actes de harcèlement de chefaillons minables d’entreprise. La déshumanisation induite par ces agressions peut avoir des conséquences dévastatrices, à en croire certains signaux faibles. Il va être temps de nous rappeler que nous sommes tous des Hospitaliers, et mettre en pratique nos belles valeurs de fraternité en ces temps sombres.

Le mal qui est dans le monde vient presque toujours de l’ignorance, et la bonne volonté peut faire autant de dégâts que la méchanceté, si elle n’est pas éclairée. (Albert Camus, La Peste).

Ne nous laissons plus faire.

J’ai dit.

iLa raison des plus forts, chroniques du procès France Télécom, éditions de l’Atelier, 2020

iiLe Canard Enchaîné, 13/01/2021, « Les cabinets ministériels envahis par des cabinets de conseil ».

iiiPas de xénophobie de ma part, mais normalement, en temps de crise, on ne fait pas appel à une société privée pour des questions stratégiques, et encore moins à une société étrangère. Ce serait aussi idiot que de demander à un opérateur privé et civil d’aller installer un camp militaire pour une opération extérieure…

ivJ’avoue, j’ai exercé ce métier dans ma jeunesse. Je n’en suis pas fier.

v le Canard Enchaîné du 6/01/2021, « La vaccination a déjà grippé le gouvernement ».

viSentiment inspiré par la lutte contre l’effet apéro que prétendent mener les Cruchot de la santé publique.

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Josselin
Josselin
Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).
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