ven 29 mars 2024 - 11:03

FRANC-MAÇONNERIE : La mixité c’est déjà dépassé (article 5/5)

FRANC-MAÇONNERIE : La mixité c’est déjà dépassé

Une série d’articles proposée par France Fourcade – S∴ de la G∴L∴F∴F∴

Article 5/5  : …Et si nous passions de la mixité au métissage ?

Vous l’aurez compris sans peine, pour certaines personnes le concept de mixité se résume à : « une cohabitation bon gré mal gré entre les hommes et les femmes au sein d’un espace commun »… sachant bien évidement que les hommes continueront très longtemps à diriger les travaux. Je vous l’accorde, ce cliché peut sembler grossier et provocateur. Pourtant, il résume assez bien la tendance encore à l’œuvre dans le pays des gaulois.

La difficulté actuelle est que nous allons devoir franchir d’un seul bond l’étape égalitaire entre femmes et hommes pour nous rendre directement sur la case « métissage des genres ». Nous n’en sommes plus à palabrer pour savoir si femmes et hommes doivent bénéficier des mêmes droits ou devoirs. Ce débat est déjà d’arrière garde. C’est pourquoi nous sommes passés de femmes/hommes à genres. Par ailleurs, lorsque nous parlons de genres[1], cela inclut sans aucune distinction : féminin/masculin, femme/homme, femelle/mâle, sans genre, transgenre[2]/cisgenre[3], intersexe[4]/dyadique[5], homo/hétéro, etc. Cela nous ramène forcément à la source, dont nous ne pouvons pas faire l’économie des quelques lignes qui vont suivre. J’ai nommé : « l’identité ».

Dès que vous posez la question à une assemblée, les réponses qui sont données sont multiples et variées, mais rarement précises. C’est ce que nous allons pourtant essayer de faire ensemble. Tout d’abord définissons ses champs d’applications. On nous explique que l’identité est du domaine des sciences sociales dans une logique polysémique s’appliquant au collectif ou à l’individuel. Ensuite, pour compliquer la chose, il semblerait que de nombreuses disciplines exploitent le concept, telles que sociologie, psychologie, biologie, philosophie, géographie, psychanalyse… comment voulez-vous retrouver vos petits dans cette jungle ?

En résumé le principe d’identité couvre 5 champs différents : la similitude, l’unité, l’identité personnelle, l’identité culturelle et la propension à l’identification. Nous devons faire un choix et comme le dit l’adage juif : « Entre deux solutions, choisis toujours la troisième. » C’est pourquoi, nous allons sortir des sentiers battus et du conformisme pour nous tourner vers un philosophe de chez nous. Selon mes recherches du moment, le seul intellectuel qui a pu répondre de manière indiscutable à cette question de l’identité est le regretté académicien Michel Serres.[6] Sans entrer dans des détails qui nous éloigneraient de notre sujet, voici son propos concernant la différence entre identité et appartenance :

« Etre un individu de sexe masculin, caucasien, mesurant 1,80 mètre, et s’appelant Michel Durand ne correspond pas à votre identité. Tout ceci est un carrefour d’appartenances. Mais en aucun cas il ne vous donne votre identité. Ainsi, parler d’identité nationale, religieuse, culturelle conduit le plus souvent à des dérives. Si nous devions qualifier notre identité, elle se résumerait à notre code ADN, unique à chacun. »[7]

Son propos résume assez bien cette problématique. Contrairement à ce que pensent de nombreux maçons, nous ne sommes pas ce que nous faisons, ni ce que nous pensons. Nous sommes nettement plus que tout cela. Ce que nous croyons être dans notre identité n’est bien souvent que le produit d’appartenances culturelles, cultuelles, sociales, géographiques, professionnelles… Nous pouvons ainsi mieux comprendre le fameux « Connais-toi toi-même » puisque cette définition de Michel Serres nous ouvre des horizons nouveaux et illimités.

Cette approche à pour mérite de dissocier le genre de l’identité. On peut considérer que le Franc-maçon qui entre en Loge est en recherche de son identité et doit pouvoir effectuer cette mission d’exploration dans le parfait respect de ses choix de genres. Cette nuance trop rarement soulignée mérite d’être explorée, car elle résume dans sa totalité la question posée dans cette série d’articles. Comment découvrir qui nous sommes, si devons porter des masques de genres imposés par la doxa ou par l’autocensure ?

En effet, si ce postulat est juste, on peut considérer que c’est seulement au moment de passer à l’Orient éternel que le maçon est en mesure de répondre à la question de son identité profonde. Durant toute sa vie maçonnique, il cherche, il explore et avance sur le chemin dont l’horizon de sa vie lui sert de boussole.

Quant à la question du genre, elle est nettement plus complexe. Chacun est potentiellement en mesure de faire des choix quant à son/ses genres. Mais de l’autre côté de la barrière, j’ai nommé l’autre, son acceptation n’est pas forcément acquise. C’est ainsi que nous voyons certains Francs-maçons toucher les limites de leur tolérance. Les autres sont des miroirs d’eux-mêmes, donc fatalement des générateurs de blocages psychologiques profonds et parfois inconscients. Ce questionnement donne le plein sens à la question posée dans certains Rituels :

Question : Que venez-vous faire en Loge comme Apprenti ?

Réponse : Je viens apprendre à vaincre mes passions, à surmonter mes préjugés et à soumettre mes volontés aux lois de la Justice, pour faire de nouveaux progrès dans la Franc-maçonnerie.

 On comprend assez rapidement qu’au-delà de la théorie des Rituels, cela vient vite bousculer nos convictions ou nos certitudes sur nos choix de genres. Chacun de nous est certain de bien se connaitre et affirme haut et fort des choix de genres comme des finalités non discutables. Pourtant, il suffit bien souvent de l’arrivée dans un groupe d’un élément de genre différent pour que cela entraine des perturbations et du parasitage dans nos croyances. Nous voyons alors l’édifice des certitudes qui commence à vaciller et l’harmonie de la Loge se rompre. C’est pourtant là que chacun devrait commencer à travailler sur sa Pierre.

Nous le constatons, si l’identité est un chemin presque balisé, le genre est nettement plus complexe. Chaque déplacement de nos croyances, parfois profondément ancrées, entraine des chocs insoupçonnables sur des pans entiers de notre vie (croyances diverses, remise en question psychologiques, religions, sexualité, relations sociales ou familiales…). On comprend mieux pourquoi la Franc-maçonnerie reste campée sur ses positions et peine à suivre la société. Elle n’a toujours pas fait le deuil du patriarcat sur lequel elle s’est structurée depuis 300 ans. Le train passe actuellement en gare et si l’Art royal ne le prend pas, il pourrait devenir un vestige du passé avec des pratiques folkloriques d’un autre temps.

(Fin)

[1] Le genre désigne les processus et rapports sociaux qui divisent, polarisent et organisent l’humanité en différentes catégories de “sexe”, “genre” et de “sexualité”.

[2] Le fait pour une personne transgenre d’avoir une identité de genre différente du sexe assigné à la naissance.

[3] L’adjectif cisgenre est un néologisme désignant un type d’identité de genre où le genre ressenti d’une personne correspond au sexe assigné à sa naissance. Le mot est construit par opposition à celui de transgenre.

[4] Personne « née avec des caractéristiques sexuelles qui ne correspondent pas aux définitions typiques de « mâle » et « femelle ».

[5] Couple de deux éléments d’interaction qui se complètent de façon réciproque. Qui est construit en deux bases ou qui va de paire.

[6] Né le 1er septembre 1930 à Agen et mort le 1er juin 2019 à Paris. Philosophe et historien des sciences. Membre de l’Académie française et de l’Académie européenne des sciences et des arts.

[7] L’intégralité de l’émission de 2007 sur le site Web de l’Académie et de l’Institut de France  https://tinyurl.com/identite-serres

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