« Tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois […] la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce » (Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte).
J’aurais dû être en Loge hier soir, mais couvre-feu oblige, la Tenue a été reportée sine die. Et avec le nouveau confinement que nous allons vivre en novembre, je pense que je ne vais pas remettre mes décors avant un petit moment. Comme beaucoup de monde, je suis abasourdi par les mesures prises par les guignols aux commandes.
Donc, plus de Loges le soir, ni la journée. On n’a plus guère de choix que d’aller au travail, et encore, avec pas mal de restrictions, des formulaires pour faire plaisir au Ministère de l’Intérieur et des Cultesi. Tout le reste, tout ce qui peut élever la vie, ou la rendre plus belle et plus agréable, mais qui ne rentre pas dans les bilans comptables des sociopathes minables qui nous dirigent, devient un délit. D’ailleurs, en rentrant presque après les 9 coups de 21 heures, j’ai failli être un dangereux délinquant.
Bravo. Bravo pour avoir tiré les leçons de la première vague et avoir mené avec succès l’été. Bravo pour la gestion des tests, dont certains ne peuvent pas être validés pour d’obscures raisons d’homologation. Bravo pour la gestion des stocks stratégiques de masques ou de médicaments qu’on n’a pas entretenus, pour cause de budget. Et bravo pour avoir créé ces situations inextricables. Bref, bravo pour avoir tiré les leçons du confinement de mars avec succès, ce qui explique le confinement actuel. Et bravo pour le plan de relance, grâce auquel les grandes entreprises qui ont tant pleurniché vont pouvoir verser de juteux dividendes à leurs actionnaires. Au fond, des gens essorés, épuisés, qu’on jette comme des merdes, des dirigeants inconséquents qui méprisent les droits les plus élémentaires… Bienvenue dans le paradigme de la start-up adapté à la nation. « Start-up nation ? Fucked up generation ! » chantent les métalleux de Sidilarsen. C’est exactement ça. Et ce monde ne me fait pas du tout rêver.
En attendant, depuis mars, les mesures prises par ce gouvernement de malheur ont provoqué ce que même Pétain n’a pas réussi à faire : bien abîmer la Franc-maçonnerie (de manière involontaire, ce qui est peut-être pire). Dans mes Loges, nous avons perdu du monde. Des frères âgés, qui n’ont pas envie de courir de risques (ce qui se comprend). Certaines Loges sont menacées de s’écrouler, faute de Frères.
Ca peut paraître choquant pour certains, mais pour moi, le couvre-feu et les confinements sont des mesures indirectement anti-maçonniques. En allant plus loin, ce sont des mesures contre la vie et contre la jeunesse. Qu’est-ce qu’on offre à la jeunesse en ce moment ? Juste avoir le droit de bosser entre 6 heures et 21 heures. Et seule. Il me semble que l’empathie, les idées, la pensée, l’humanisation, ça se fait à plusieurs avec le contact. Et le visage aussi. Bon, l’acceptation de l’altérité, le travail de Lévinas, tout cela est hors de portée de nos sociopathes ignorants. En tout cas, j’ai peur de ce que deviendront les jeunes et les enfants à qui on laisse un monde dégueulasse et une société toujours plus individualiste, sans empathie, sans manifestation d’amour. Un monde à la Houellebecq, en somme, mâtiné d’une société à la SOS Bonheur. J’en viens à penser que nos dirigeants ont un amour morbide de la mort : protection des aînés en les faisant mourir de tristesse et de solitude dans ces sordides mouroirs que sont les EHPAD, arrêt et criminalisation de tout ce qui fait la vie, incitation au « métro-boulot-dodo », sous réserve qu’il n’y ait ni grève ni incident technique ou panne d’exploitation…
Hannah Arendt avait défini son concept de banalité du mal comme l’incapacité à penser, à se projeter. Là, on est en plein dedans ! Une bande de sociopathes, d’opportunistes et traîtres à leurs familles politiques originelles, de malfrats dirigés en sous-main par d’autres sociopathes milliardairesii pour qui il n’existe rien d’autre que le travail, la frugalité pour les autres, ou le vol du travail d’autrui (c’est ce qu’on appelle le capitalisme), insensibles à ce qui humanise l’homme. Et ces gens-là sont incapables de concevoir que des familles vivent (par leur faute indirecte) dans 14 mètres carrés, avec moins de 500 Euros par mois. On accorde une certaine confiance à ces gens, sous réserve de leur appartenance à une pseudo-élite, celle des grandes écoles, qui prétend maîtriser les modèles mathématiques et agir rationnellement. Sauf que la rationalité, comme le sommeil de la raison, engendre des monstres, dixit feu l’anthropologue David Graeber. Des gens qui ne sont que chiffres, modèles, sans égard pour l’humanité, et coupés de la réelle pensée. Sans imagination, sans capacité de projection, sans empathie, dévoués à leur corps de hauts fonctionnaires et bouffis de conflits d’intérêts, les guignols sinistres qui nous dirigent pourraient devenir comme l’Eichmann de Hannah Arendt, à se défendre à leur procès avec un argument du type « ah ben, j’savais pô, et pis, j’ai fait qu’mon d’voir », ou avec la fadaise ultime, « responsable mais pas coupable ». On reparle d’Ignorance, Fanatisme et Ambition ?
Nous allons vivre des heures sombres, et je ne sais pas si nous allons nous relever. En attendant, à notre petit niveau de maçons, n’oublions pas d’être des hospitaliers, d’être les lumières qui apparaissent à l’heure la plus noire de la nuit. Soyons plus humains que ces gens-là.
J’ai dit.
iPar les temps qui courent, il me paraît essentiel de rappeler ce petit détail.
iiCf. Crépuscule, de l’avocat Juan Branco, qui raconte les dessous peu reluisants du pouvoir.