Pleins de certitudes, vous êtes trop facile à cerner puis à manipuler par les algorithmes, même politiquement. Mais si vous doutez, vous conservez votre liberté.
Notre ordre et ses instructions à chaque grade nous incitent à une étude prudente du réel ; nos chères Lumières dont bien entendu Descartes ont beaucoup fait pour la popularité du doute dans nos sociétés.
Serait-ce alors un sujet tarte-à-la-crème ? La requête Google « citation doute » ramène environ 40 millions de résultats ! En cherchant de même les citations avec « certitude » ou « croyance » on a 20 fois moins de réponses.
Est-ce à dire que nos contemporains pratiquent quasi-tous un doute prudent et suspendent sagement leurs opinions jusqu’à ce que des preuves béton soient présentées ? Nous savons bien que non, et parce qu’entre cœur et raison c’est bien souvent le cœur qui a le dernier mot…les rationalistes restent minoritaires, même chez nos frères et sœurs.
La raison agit d’abord tel un comité consultatif, et après décision l’intelligence se mue en fidèle et efficace exécutant, pourvoyeur de bonnes ou moins bonnes justifications du choix qui a été fait.
Ce lucide pessimiste de Cioran ne s’y était pas trompé lorsqu’il écrivait : il faut une grande maturité pour comprendre que l’opinion que nous défendons n’est que notre hypothèse préférée, imparfaite, probablement transitoire, que seuls les très bornés peuvent faire passer pour une certitude ou une vérité.
Bref, nous avons tous un quota certain de croyances ou certitudes plus ou moins dures, qui correspondent à nos envies ; cela nous permet une certaine efficacité de prise de décision : pas trop d’erreurs, et pas trop de consommation d’énergie pour la prise de décision.
Ceux que nous nommerons fraternellement les « économes en énergie décisionnelle » sont nombreux. Les multinationales et les états, exploitant les Big Data, les connaissent bien. La confidentialité de leurs données leur importe peu, pourvu que la « gratuité » des services ( réseaux sociaux, télévision, etc ) soit présente.
Les multinationales les remercient en les bombardant de publicités taillées sur mesure pour leur profil psychologique, si bien qu’ils achètent pile ce qui est proposé. Elle est pas belle la vie ?
Cette méthode marche aussi en politique. Les publicités ciblées à la personne ont permis l’élection de Beppe Grillo et Matteo Salvini, et Donald Trump aux USA en 2016, pour ne nommer que les gros poissons. Euh, et les principes de la démocratie dans tout ça ?
Une des méthodes utilisées aux USA en 2016 était d’envoyer des mails décourageant d’aller voter à des opposants ( dont des afro-américains ) . Mais quelqu’un qui a réfléchi et a pris une orientation, pour ne pas dire une décision, n’est pas si facile à « retourner » que ça, ce qui augmente sérieusement le coût d’une telle opération, sans compter les risques de se « faire gauler » et démolir médiatiquement pour ces vilains agissements.
Il existe une autre cible tentante à traiter : les indécis. C’est sur cette cible-là que les manipulateurs de 2016 concentraient leurs tirs. Bref, si vous êtes dans le doute, vous êtes en train de devenir un chouchou à séduire, et ceci vaut autant pour vos choix politiques que vos goûts en matière de consommation.
Conclusion : ayez des pudeurs de vierge effarouchée ( comme on disait d’antan ) sur internet, et vous aurez pris de la valeur aux yeux de tous les vendeurs de soupe, qui se plieront en quatre pour vous plaire.
PS : les études comportementales ont aussi montré l’efficacité des récompenses aléatoires : ce qui est prévisible perd son côté addictif, aussi le nombre de « like » que vous obtenez sur vos posts Facebook est éminemment variable, ce qui vous incite à chaque fois à revenir voir si votre blague géniale a plu moins ou plus que la précédente…et vous enfiler encore quelques pubs.
Donc : utilisez ceci dans l’autre sens : soyez imprévisible ! ( tous les séducteurs et –trices savent ça )
Qu’en pensez vous ?
“Je doute, donc je suis”. Pour le critique (de théâtre) de formation, cette phrase se termine par un point, pour d’autres, elles devrait s’achever sur un point d’interrogation.
Ceci dit, le doute est vital: voyez les certitudes passées qui se sont envolées comme le fumée des cheminées d’antan: https://blogs.mediapart.fr/peter-bu/blog/080620/mefiez-vous-de-