ven 22 novembre 2024 - 05:11

Dîner de cons

Nos dirigeants sont cons.

Ce n’est pas un jugement de valeur ou un quelconque mépris de classe, mais bien une réalité. Prenons l’exemple de la gestion de la crise sanitaire. Dès décembre 2019, nos dirigeants ont été avertis de la présence d’un virus dangereux en Chine. Ont-ils pris les précautions nécessaires (au hasard commander des tests, du matériel médical adapté ou vérifier le bon état des réserves stratégiques de masques et de médicaments etc.) ? Non. Il faut dire qu’en décembre 2019, la priorité de nos dirigeants était plutôt la gestion du mouvement social de contestation de la très impopulaire (et inutile) réforme des retraites, décidée unilatéralement, passée en force et contre la volonté générale. Alors, la pandémie… « Gouverner, c’est prévoir », dit-on. Visiblement, nous avons porté au pouvoir une clique d’incompétents notoires, incapables de voir à quelques semaines ! C’est bien la peine de vanter les « Grandes Ecoles », la « méritocratie », qui n’est qu’une forme dévoyée d’aristocratie pour en arriver à ce désastre causé par cette incapacité d’anticipation et cet aveuglement, quand il ne s’est pas agi de mentir délibérément au peuple.
Ceci dit, ces braves gens ont quand même été prévoyants : en prévision des plaintes qui ont été déposées contre quelques uns, leurs séides dans les deux Chambres tentent de faire passer un amendementi, qui exonérerait les décideurs et autres édiles de leur responsabilitéii… Un genre d’amnistie préventive, en fait. Affaire à suivre de très près.

Un confinement et une catastrophe économico-psycho-sociale plus tard, nous allons retourner au travail (et pas retrouver une vie normale, j’insiste là-dessus). Bon, je ne crois pas utile d’alimenter la polémique sur le retour à l’école, l’obligation basée sur le volontariat de remettre les enfants à l’école, qui n’est au fond qu’un prétexte pour remettre les travailleurs au travail et contribuer aux dividendes des grandes entreprises du CAC40iii. Là, ce n’est pas de la connerie, mais de la malveillance, voire de la haute trahison. Mais la vraie connerie est ailleurs.

Maintenant que nous allons retrouver une portion de liberté de circuler, les dirigeants d’entreprises de services et d’administrations ont décidé de ramener leurs salariés dans leurs locaux et bureaux. Et visiblement peu leur importe si les conditions de transport ne garantissent pas la protection des travailleurs… Le paradoxe est que dans les services divers (et parfois dispensables, mais c’est une autre histoire), le télétravail a plutôt donné de bons résultats. Donc pourquoi imposer une présence dans des locaux inadaptés (les open spaces et autres déclinaisons du Panoptikonivdestinés à humilier l’Autre sous couvert d’efficacité), quand on a montré qu’elle n’était pas nécessaire ?

J’en viens donc à me demander comment et pourquoi dans les structures entrepreneuriales ou administratives, on en vient à désigner des incompétents, des abrutis ou des malveillants aux postes de management ou de commandement. J’ai donc cherché des réponses et j’en ai trouvé : les biais cognitifs (et je remercie mon Frère et ami Franck Fouqueray de me les avoir fait connaître par son travail à paraître : http://www.lesyndromedupachyderme.com/).

Parmi ces biais, j’en ai trouvé deux dont la combinaison est aussi dangereuse que le sodium et l’eau :

l’effet Dunning-Kruger, ce biais cognitif qui incite les personnes incompétentes à se croire plus qualifiées qu’elles ne le sont, et les empêche de se remettre en question.

le principe de Dilbert, créé par le cartoonist Scott Adams dans son comic Dilbert, qui est une satire de la vie en entreprise. Ce principe consiste à élever les salariés les plus incompétents à un poste plus élevé afin de s’en débarrasser et à empêcher la promotion d’éléments compétents afin qu’ils continuent à faire les tâches qui font vivre l’entreprise.

Ajoutons à cela les intérêts de la classe dirigeante des cadres, qui préféreront avoir à leur disposition des adjoints qui ne remettront jamais en cause leurs décisions pour conserver leurs privilèges minables, sachant que ces cadres sont eux-mêmes des planneursqui planifient des réformes et des restructurations inutiles ou nuisibles, sauf pour les maîtres qu’ils servent. Le problème est qu’on enseigne à ces cadres qu’il faut toujours protéger l’adjoint, pas la victime, ou encore les intérêts de la direction, pas ceux des personnes.

On dispose ainsi de l’ordre social suivant :

  • les plus incompétents (et les plus nuisibles) sont reconnus et promus soit parce qu’ils ont exécuté des ordres sans se poser de questions soit, pour les retirer d’un service, avec une peine d’exil déguisée en promotion.

  • ceux qui tentent de faire leur travail et qui le font avec soin et compétence ne le sont pas et sont amenés à rester à leur poste, sans reconnaissance. Ceux là sont irrémédiablement condamnés à stagner ou plus rarement à se révolter.

  • Ceux qui tentent de protéger leur dignité sont neutralisés d’une manière ou d’une autre.

  • Les managers s’imaginent être des chefs et croient qu’ils vont être obéis en raison de leur simple estampille de chef, ou peuvent en toute impunité humilier ou mettre en danger leur subordonnés parce qu’on leur enseigne que leur hiérarchie les protège. C’est ainsi que des harceleurs sont promus et des victimes neutralisées. En effet, la transgression des règles est permise du chef vers le subordonné, mais surtout pas l’inverse.

  • Enfin, c’est dans cette optique que des incompétents se retrouvent à des postes qu’ils ne méritent pas, et pour lesquels ils ne sont pas aptes et détruisent des vies, parce qu’ils estiment en avoir reçu l’ordre, comme actuellement ces chefaillons qui font revenir leurs ouailles dans les bureaux quand les instructions diverses demandent à maintenir les postes en télétravail pour ne pas saturer les réseaux de transport…

Faire courir un risque inutile pour une vulgaire satisfaction d’exercice d’un simulacre de pouvoir, c’est être con. Ou ignorant. Or l’Ignorance est un mauvais compagnon du Franc-maçon. A ce propos, Camus, dans la Peste nous avertit : « Le mal qui est dans le monde vient presque toujours de l’ignorance, et la bonne volonté peut faire autant de dégâts que la méchanceté, si elle n’est pas éclairée. ». Le problème de nos dirigeants et managers, c’est ce biais, cet effet Dunning-Kruger. Ainsi, sûrs d’eux et voulant contenter leurs maîtres, ils restent sourds et aveugles à la réalité en prenant les pires décisions sans jamais douter. L’ignorance les maintient dans leur bêtise, et leur volonté de plaire les amène au désastre.

Garde à moi de ne pas devenir comme ces gens que je méprise. Heureusement, la Franc-maçonnerie et plus particulièrement le Rite Ecossais Ancien et Accepté me donnent des garde-fous et m’aident à lutter contre l’Ignorance. Ce qui me rappelle le grand secret maçonnique qui m’a été révélé quand j’étais apprenti : « Avant, j’étais con. Maintenant, je le sais. ».

Ne nous habituons pas au désespoir, car comme l’écrivait Camus, toujours dans la Peste : « l‘habitude du désespoir est pire que le désespoir lui-même ».

Ne nous laissons plus faire.

J’ai dit.

ihttps://www.franceinter.fr/justice/responsabilite-penale-des-elus-que-dit-la-loi?

iiLe Canard Enchaîné, 6/5/2020, « Le front de maires effraie ». Il semblerait que la loi d’amnistie ne soit pas de mise, mais restons vigilants !

iiiPetit parallèle freudien :  CAC40 se lit « caca-rente ». De là à penser que ces entreprises sont réellement pestilentielles, il n’y a qu’un pas…

ivConcept de surveillance de prison inventé par le philosophe anglais Jeremy Bentham, permettant à un gardien de surveiller l’ensemble des prisonniers depuis sa place.

Pour aller plus loin:

Christian Morel, les décisions absurdes, Folios Essais, Gallimard, 2002.

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Josselin
Josselin
Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).

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