dim 13 octobre 2024 - 10:10

Le néolibéralisme, valeur antimaçonnique (2)

J’étais en Loge hier soir, en ces temps de rentrées scolaire, universitaire, professionnelle et même maçonnique. J’ai une pensée émue pour les bambins qui vont revenir à l’école (du moins ceux qui ne feront pas grève pour le climat…) mais aussi pour les usagers des transports en commun qui vont s’y retrouver, nolens volens, dans cette grande communion entre gens qui ont un emploi et qui ne devraient pas s’en plaindre, parasites et privilégiés qu’ils sont! Car, vous l’ignoriez peut-être, mais d’après deux économistes patentés, Assar Lindbeck et Dennis Snower, les allocataires de sécurité sociale mais aussi les titulaires de contrats à durée indéterminée, seraient des parasites sociaux pour les entreprises, dont les profits seraient grevés par le coût que représentent les cotisations sociales. Ainsi, depuis quelques années (1994, année de la publication de leurs élucubrations dans un rapport de l’OCDE), on enseigne à nos têtes blondes que la stabilité, c’est trop lourd et qu’il faut de la flexibilité parce que c’est mieux pour l’entreprise ou la collectivité.

Bien évidemment, les deux universitaires patentés qui ont écrit ce torchon ont été rémunérés par de l’argent public…

Il est étrange que l’ensemble de cette littérature nauséabonde, ces documents pseudo-scientifiques (car non, l’économie n’est pas une science, elle est un fait politique) et ces idéologies rances, consistant à culpabiliser les victimes du système, dénoncer les coûts faramineux de la sécurité sociale ou appelant à la concurrence des marchés soient bien souvent écrits par des gens rémunérés avec de l’argent public… Mais il est plus étrange de constater que les garants des politiques publiques et donc de l’ordre public acceptent et appliquent sans broncher ces conclusions d’experts qui n’ont jamais eu à prendre le train ou se faire soigner en urgence dans la Creuse ou dans le Périgord, tous ces départements que l’on laisse mourir par mesure d’économies.

En fait, à force de lire des économistes hétérodoxes, des traités d’anthropologie et d’histoire, notamment les travaux de David Graeber ou d’Alain Denault, j’en suis venu à une définition du capitalisme: l’accaparement d’un bien, d’une ressource ou d’une richesse commune ou individuelle par un petit nombre d’acteurs qui n’y contribuent en rien et qui en disposent pour s’en constituer une rente, dont les profits restent répartis entre les accapareurs, avec une éventuelle redistribution, au bon vouloir de ces derniers.

Biais marxistes, me diront les néo-conservateurs. Oui, et entièrement assumés. Les techniques des néo-libéraux sont connues: asphyxier un service, créer un ressentiment qui rendra les usagers favorables à une privatisation, privatisation qui profitera aux acteurs du privé qui le rendront rentables pour eux, souvent au détriment du bien commun. Ceci dit, cela fonctionne aussi du privé au privé: Amazon a anéanti le commerce dans certains pays et est devenu aussi puissant qu’un état, en s’assurant une situation de monopole dans la distribution et de monopsone dans la production.

Il est amusant de voir les acteurs du capitalisme se dévorer entre eux. Pour Marx, il s’agirait de la fin du capitalisme. Restons vigilants, un monopole ou un monopsone privés ne sont jamais garants du bien commun.

Pendant que nous glosons, des biens communs, des services sont anéantis. Je suis las de voir des écoles, des bibliothèques ou des hôpitaux fermer dans des petits villages, las de voir des gares baisser le rideau et des tronçons de voies ferrées pourrir faute d’entretien. Et je suis très inquiet de savoir que tout cela sera confié au privé. Il me semble que nous avons assez de recul pour deviner que le «not a public penny» de Thatcher ne fonctionne pas.

Mais il est un fait plus agaçant encore: le vol de temps de formation caractérisé par les acteurs du privé. En fait, il paraîtrait qu’un certain nombre d’offres d’emploi ne seraient pas pourvues (150 000 en 2017). Outre le problème du sous-emploi concernant 1 200 000 personnes, il y a un autre phénomène plus subtil et très actuel en ces temps de rentrée scolaire: la formation. Lorsqu’un candidat postule à une offre d’emploi, et quand il obtient une réponse1, il lui est souvent opposé son manque de formation comme levier de baisse de salaire.

En fait, j’ai le sentiment que ces grands patrons qui se plaignent du niveau de formation des salariés oublient une chose: c’est à eux de former leur personnel à leurs outils, pas à la collectivité ni au travailleur. Mais il semblerait que ces patrons et autres possédants (qui soit dit en passant, tiennent plus du seigneur féodal que du capitaine d’industrie) ne veuillent pas assumer les responsabilités qui sont les leurs: cotiser aux assurances sociales pour compenser l’usure normale qu’ils imposent aux salariés, investir pour la formation de leurs agents, et redistribuer à la collectivité une partie de la richesse créée2

Si l’Education Nationale devait former des jeunes à un métier donné, avec l’investissement que cela représente pour nous tous, et si ces jeunes devaient être embauchés sans que l’entreprise n’ait eu à contribuer en quoi que ce soit, ce serait tout simplement du vol. Les plus marxistes feraient le parallèle entre vol et capitalisme…

Peut-être suis-je naïf, mais il me semble que le rôle de l’école, du collège, du lycée et de l’université est de former des citoyens instruits, sachant lire, écrire, compter, s’exprimer et raisonner et aussi d’apporter les bases d’une culture commune. Bon, les récents résultats du classement PISA indiquent qu’il y a encore du travail dans le domaine…

Et la maçonnerie dans tout ça, me direz-vous? Nos Loges conservent un héritage de ce que l’on qualifierait actuellement de formation professionnelle. En fait, avant d’être une société de pensée, plutôt bourgeoise3, la Franc-maçonnerie était avant tout une société de métiers où les plus expérimentés partageaient leur savoir avec les plus jeunes dans le métier. Si la Franc-maçonnerie est passé de l’opératif au spéculatif, d’autres organisations, comme les Compagnons du Devoir ou les Compagnons du Tour de France ont gardé ce système de formation des apprentis aux métiers de l’artisanat. De ces sociétés de métiers, nous avons conservé certains héritages: fonds de solidarité fonctionnant comme une mutuelle d’assurance, formation des apprentis, équité du salaire etc.

Fort de cet héritage, je m’inquiète de la marche actuelle de la cité. Et si nous prenions le problème à contrepied? Et si les Frères qui dirigent des entreprises appliquaient ouvertement ce que nous somme censés appliquer en Loge, à savoir accueillir et former des apprentis en leur donnant le salaire qui leur est dû?

Bonne rentrée à tous,

J’ai dit

1 Cas assez rare, les agents travaillant en ressources humaines ne considérant pas un candidat comme un être humain et omettant par conséquent le respect minimal dû à la personne

2 Ou à défaut, payer leurs impôts, car si une entreprise vit, c’est parce que la collectivité assure encore un certain nombre de services: transports, structures, formation etc.

3 Humour marxiste.

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Josselin
Josselin
Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).

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