jeu 21 novembre 2024 - 18:11

En grève pour ou contre le climat (2): le renversement transgénérationnel

J’étais en Loge le soir du discours de la jeune militante Greta Thurnberg à l’Assemblée Nationale. Je ne me suis pas intéressé à proprement parler au discours, dont il était possible de deviner la teneur : moins de dégradation de l’environnement. Ce qui est plus intéressant, c’est la réaction des parlementaires face à ce discours. Les plus réactionnaires ont boycotté la séance, arguant du fait que la place d’une adolescente, c’est à l’école et que le rôle des enfants, c’est de la fermer et de ne l’ouvrir qu’une fois devenus adultes. Je ne crois pas utile de gloser sur la personnalité de la jeune Greta Thurnberg, ni sur son apparence aussi lisse que celle d’un technocrate qui ne montre aucune émotion ni aucune prise.

Je serais tenté de penser comme certains que la place de ces jeunes est à l’école et que c’est aux adultes de s’occuper des questions de grandes personnes sérieuses, mais avec mon Maillet et mon Ciseau, j’ai voulu aller un peu plus loin, beaucoup de choses me gênant dans cette histoire. Par exemple, le fait que des enfants donnent des leçons (ou plus précisément récitent des rapports du GIEC), et le fait que nos représentants se comportent comme les gosses qu’ils vilipendent… J’aimerais proposer une analyse basée sur les travaux du psychanalyste Sandor Ferenczi.

Pour résumer, Ferenczi a observé que dans les familles dysfonctionnelles, les enfants très jeunes développaient une intelligence et une maturité intellectuelle dignes d’un adulte (la maturité n’est qu’intellectuelle mais rarement, voire jamais affective) comme défense à un environnement dangereux. La traduction généralement observée est « bébé savant ».
Quand ces enfants deviennent plus grands, il arrive que ce soit eux qui prennent les rennes de la famille, quand il y a un défaut d’autorité des parents. Attention, ce n’est pas tout à fait le même phénomène que l’enfant-roi, c’est-à-dire l’enfant auquel le parent se soumet par culpabilité de ne pas le contenter et par peur de perdre son amour. On parle plutôt de renversement transgénérationnel.
Dans le cas des enfants « bébés savants » devenus grands, la prise de pouvoir n’est possible que parce que le parent est démissionnaire ou à défaut, inapte à sa mission de parent, notamment la protection des plus jeunes. C’est comme ça qu’on peut voir des adolescents diriger les familles et se comporter en adultes face à des adultes dépassés. Ce décalage peut provoquer un sérieux malaise pour un observateur extérieur. Mais il s’explique très bien avec des outils tels que l’analyse transactionnelle : l’adulte se comporte en enfant, l’enfant en adulte, et cette inversion est très dérangeante.

Dans le cas de la jeune Thurnberg et des pouvoirs publics, on peut appliquer cette même grille de lecture. L’institution du pouvoir (législatif et exécutif) est dans ce cas une figure de père défaillant ou démissionnaire, puisque les décisions ne vont pas dans le sens du bien commun, ni dans la protection des jeunes.
Face à cette figure de parent démissionnaire, la descendance (en l’occurrence, les jeunes) développe comme les sujets de Ferenczi une certaine maturité intellectuelle, ou quelque chose s’en approchanti (j’en veux pour preuve leur connaissance des rapports du GIEC), alors que le parent s’enfonce davantage dans la démission ou le déni.

D’où le malaise: une bande d’ados (figure d’enfant, par définition) se révèle peut-être plus mûre et plus responsable que les parlementaires (figures de père).

En Franc-maçonnerie, les choses sont un peu différentes. Les Apprentis ont le devoir de se taire pour apprendre à juguler l’expression de leurs passions. Etre contraints au silence leur permet de développer leur écoute ou leur capacité d’observation. Les rôles sont clairement définis, et il est rare, très rare qu’un Apprenti ou un Compagnon n’ose s’opposer à un Maître. Domination ou soumission volontaire ? Pas tout à fait. La Franc-maçonnerie étant une démarche initiatique, chaque Frère possède un certain nombre de clés que des Frères de degré inférieurs ne possèdent pas. La transmission par l’Initiation invite à la patience et au silence, alors que l’énorme déversoir de savoir que constituent les nœuds de l’Internet n’invite qu’au chaos. Sur le Web, tout est accessible : la doxa, les opinions dissidentes, les avis éclairés ou les brèves de comptoir sont également disponibles, ce qui est intéressant pour qui sait trier l’information, mais dangereux pour des personnes incapables de discernement. A chacun de prendre son Maillet et son Ciseau et de dégrossir la Pierre Brute pour en tirer quelque chose de plus ordonné. Parmi les éléments gênants, c’est l’absence de discernement des différentes parties : les décisionnaires qui confondent intérêts personnels et intérêt général, les contestataires sûrs d’eux-mêmes et n’ayant pas forcément les outils pour étayer leur pensée. J’aimerais qu’un de ces jeunes rétorque un peu de Corneille à nos parlementaires : « je suis jeune, il est vrai, mais aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années ».

Si j’en reviens à ma grille d’analyse, on pourra considérer que nos parlementaires sont en fait des parents démissionnaires et les enfants, par réaction prennent le pouvoir face à la catastrophe à venir. Le malaise est accentué par un problème de reconnaissance : ces jeunes ne sont pas reconnus par les pairsii (attention, zone de jeux de mots lacaniens), contrairement à des experts dans n’importe quel domaine. On ne reconnaît pas ces jeunes comme pairs ni experts, ce qui est normal vu leur âge. Ils sont donc en passe de se passer de cette reconnaissance, de « tuer le père ». Ils nous font ainsi bien comprendre qu’ils n’ont plus vraiment besoin de nous.

Et c’est dérangeant, parce que nous, adultes, savons que nous avons tort de persévérer dans cette voie et que nous avons des choses à nous reprocher, notamment de n’avoir pas protégé nos enfants, qui en retour, nous en veulent, avec une certaine légitimité.
Qui sait si les réactions de rejet dont sont l’objet ces jeunes ne sont pas des manifestations de notre propre sentiment de culpabilité face à la dégradation de l’environnement que notre civilisation post-indstrielle engendre? Nous n’avons pas su protéger nos enfants, qui en retour, se révoltent. Toujours la même histoire depuis l’aube des temps…

J’ai dit.

i Petit bémol : je doute que beaucoup de ces jeunes incollables sur les rapports du GIEC ne sachent résoudre à 16 ans les équations de Lorentz ou de Navier-Stokes, utilisées en modélisation de phénomènes météorologiques. On peut avoir un certain savoir sur la question en se renseignant bien, sans avoir nécessairement la connaissance du fonds du problème, qui nécessite un apprentissage approfondi… à l’école ! Néanmoins, nos édiles et notables, ministres intègres doivent être tout aussi incapables de comprendre les subtilités de la modélisation… Sauf qu’ils le cachent par de la com’. Et prennent le risque de rédiger des politiques publiques sur la base d’erreurs d’interprétation !

ii Dans tout domaine universitaire, la qualité de chercheur est reconnue par les pairs, c’est-à-dire d’autres experts dans le même domaine, qui autorisent le chercheur à publier ses résultats après évaluation des travaux.

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Josselin
Josselin
Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).

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