lun 14 octobre 2024 - 04:10

Du bon usage du symbole

J’étais en Loge hier soir et comme à l’accoutumée, nous avons travaillé sur le sens du symbole. Un bien grand mot, me direz-vous. Une parole prononcée par un Frère a résonné en moi et a provoqué une épiphanie : en réalité, tout est symbole. Avant de vous faire partager le fruit de mes réflexions, je crois important de définir ce qu’est un symbole. Le mot symbole dérive du grec Symbolein, qui désigne un objet fragmenté en plusieurs morceaux, partagé entre plusieurs destinataires. Il y a donc derrière ce terme une idée de rassemblement d’éléments épars.
Pour les linguistes, un symbole est la réunion d’un signe, d’un signifiant et d’un signifié, pour lequel le signifié n’est pas donné arbitrairement mais sujet à l’interprétation ou encore pour lequel le signifiant et le signifié ne sont pas liés. Si l’on s’intéresse à la psychanalyse, on ne pourra pas éviter de travailler avec Iung, dont on connaît le travail sur le symbole. Chez Iung, la rencontre avec le symbole ou l’Autre implique une forme de reconnaissance car chacun porte une partie de ce qui a été brisé. Il est important de noter que pour Iung, la rencontre symbolique nécessite une forme de synchronisation. Autrement dit, il faut que les parties soient prêtes à se rencontrer. On retrouve ici la notion de Kairos, le temps opportun des grecs.

Pourquoi évoquer tout cela, me demanderez-vous. Parce que tout est symbole, et nous vivons une époque où des symboles prennent forme ou s’incarnent et que la portée symbolique de certains actes dépasse l’intention de ceux qui les ont commis. Le symbole peut s’avérer être une arme redoutable, et à double tranchant. Il s’avère également un redoutable outil d’analyse et peut aider à apporter un éclairage sur le monde qui nous entoure. Les communicants et publicitaires, enfants illégitimes des théories de Freudi et des propagandistes nazisii le savent et n’hésitent pas à l’utiliser pour que leurs clients nous vendent à peu près tout et n’importe quoi. Il peut arriver aussi qu’ils jouent avec le feu et ne déclenchent un incendie, surtout à l’époque où la communication devient plus volatile, donc plus inflammable.

Prenons, tout à fait au hasard, l’exemple de nos politiques. Rentrée 2018 : le même jour sont annoncées deux mesures, une par le gouvernement, l’autre par le chef de l’Etat : diminution symbolique des aides prioritaires au logement (5 Euros, tout un symbole, n’est-ce-pas ?) et suppression de l’impôt de solidarité sur les fortunes. La somme de 5 Euros, un petit billet est symbolique, dans le sens où elle n’est pas censée constituer une grosse somme. Mais dans le cas d’un petit budget, 5 Euros peuvent représenter beaucoup : les courses hebdomadaires pour une personne seule, par exemple… Et annoncer en même temps la suppression de l’impôt de solidarité sur les fortunes revient à annoncer symboliquement une double peine : raboter une aide sociale d’une part et renoncer à financer les aides sociales. Car, oui, les aides sociales étaient financées par l’impôt de solidarité sur les fortunes. Nous avons ici représenté tout un symbole : la caste dirigeante qui décide de contribuer à réduire le niveau de vie des plus humbles et d’augmenter le niveau de vie des plus riches.

Pris ainsi, un tel symbole face aux masses peut amorcer un processus de colère, ou plus simplement n’être juste qu’une briqueiii dans la construction d’un édifice de haine collective.

Ce phénomène s’est déclenché lors des émeutes de mars, quand une frange de gilets jaune/casseurs/black blocs s’en sont pris au Fouquet’s, établissement devenu bien malgré lui symbole d’une classe politique arrogante, matérialiste, vulgaire, bref, bling-bling. Il fallait pour la masse détruire ce symbole. Attention, je ne cautionne en aucun cas les dégradations, destructions et tentatives d’incendie de ces manifestants. La violence réelle n’est jamais la bonne solution, surtout dans un affrontement symbolique.

A ce propos, j’ai lu la 4e de couverture d’ouvrages consacrés aux mouvement black bloc, expliquant que ces gens étaient des braves militants luttant contre les symboles du capitalisme outrancier. Et puis, j’ai vu les dégâts occasionnés sur différentes enseignes de banques ou d’assurance. Je ne suis pas sûr qu’attaquer des locaux de franchisés, dans lesquels travaillent des gens salariés de la classe moyenne (qui pour certains souffrent autant que les Gilets Jaunes) ne soit un moyen intelligent d’affirmer sa colère.

Dans le même temps, la boutique où je me procure mes costumes a été dégradée elle aussi. On se souviendra de cette parole malheureuse : « la meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler »… Le costard est devenu le symbole de l’élite privilégiée à abattre, l’affreux col blanc riche et vicieux, opposé au col bleu pauvre et vertueux.
Bon, cette distinction fait fi des corps de métiers mal payés pour lesquels le costume constitue le bleu de travail (au hasard, les vigiles), mais il semblerait que la nuance ne soit pas un mode d’expression des casseurs. Or, utiliser ou communiquer avec des symboles implique nécessairement une certaine nuance ou tempérance dans l’interprétation et dans l’action.

On peut aussi détruire un symbole pour soi-même symboliser autre chose. Prenons l’exemple de l’ENA. L’énarchie, de même que les grands corps d’état, symbolise l’élite arrogante et déconnectée du réel, au service du plus offrantiv. Le chef de l’État, lui-même issu de l’énarchie, lui-même ancien pantoufleur au service d’intérêts financiers revenu dans le secteur public a supprimé cette école. Comme s’il cherchait à effacer le symbole de l’élite honnie pour redorer son blason. Chercherait-il ainsi à symboliser l’homme en quête de rédemption (et reprendre des points dans les sondages) ? Evidemment, cette communication par les symboles risque d’avoir un prix, comme la destruction de l’État, mais c’est une autre histoire.

Ainsi, tout est symbole. En fait, nous n’avons pas d’autre manière de communiquer que le symbole. On n’en oublie qu’à notre époque de communication sans contenu, jouer avec les symboles n’est jamais sans conséquence. Le symbole implique de savoir interpréter son contenu, mais en sommes-nous toujours capables ?

J’ai dit.

i Edward Bernays, neveu de Freud a utilisé les outils créés par son oncle pour les mettre au service des représentants de l’industrie, qui désiraient faire avaler n’importe quoi au grand public.

ii Les nazis avaient bien compris comment s’adresser à la masse qu’ils avaient créé, avec le principe suivant : « plus c’est gros, plus ça passe ». Le média de masse trouve ainsi son origine dans la méthode de propagande initié par Goebbels et ses séides.

iii Toute référence à un groupe britannique connu pour son amour des constructions et des outils, de la maçonnerie et des flamands roses serait purement fortuite…

iv Un haut fonctionnaire doit 10 ans de service dans un grand corps. Au bout de cette période, libre à lui d’aller dans le privé. Il peut également partir plus tôt, sous réserve de « rembourser la pantoufle », c’est-à-dire les années d’étude dans les écoles de service public.

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Josselin
Josselin
Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).

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