jeu 21 novembre 2024 - 15:11

Transformer son regard sur la mort par la mort symbolique

Ce texte fut initialement rédigé quelques jours avant les terribles événements du 13 novembre 2015 à Paris et à Saint-Denis. Face au choc émotionnel que chacun de nous avait ressenti, il m’avait semblé utile à l’époque de le relire et de l’éclairer d’un complément.

Apprendre à mourir est un long processus

Notre société occidentale, totalement aveuglée par le consumérisme, se trouve soudainement dépourvue, lorsqu’elle se trouve confrontée à des drames d’envergure, comme ceux que nous vivons actuellement. Cette mort physique, caractérisée par l’absence des êtres chers, aujourd’hui disparus, vient réveiller chez nous les aspects de notre culture qui occultent peu à peu les principes initiatiques de la mort symbolique, celle qui nous sert de chemin sur la voie de la sagesse.

Si la mort n’existait pas, il faudrait l’inventer ! Cette accroche volontairement provocatrice est pourtant bien réelle. Car, imaginez un seul instant, comme le proposent actuellement les dirigeants de Google qui travaillent à la vie éternelle des êtres humains[1], que nous devenions des immortels. La vie deviendrait rapidement un enfer sur terre. Cela correspondrait en quelque sorte à affirmer que la nuit devient inutile, que l’hiver ne sert plus à rien et que nous devons tous devenir des intersexués. Comme le disait le philosophe Vladimir Jankélévitch   : « Si tout est rose rien n’est rose ». Comment le côté pile d’une pièce pourrait-il exister, sans le côté face ? Les deux faces semblent opposées, pourtant elles sont bien complémentaires, car chacune s’appuie irrémédiablement sur l’autre. Le froid n’existe que par opposition au chaud, le masculin au féminin, la droite à la gauche et la vie uniquement par rapport à la mort.

Qu’est-ce-que la mort symbolise dans notre société ?

Si votre conception de la mort se limite à l’énoncé suivant : « la vie commence le jour de la naissance et la mort débute le jour de la fin de la vie », je vous invite alors à élargir votre champ de vision pour envisager d’autres points de vue. Tout d’abord, une question importante : « Votre vie a-t-elle commencé lorsque vos parents on envisagé votre création, ou était-ce le jour où ils vous ont conçu, ou alors peut-être le jour où vous êtes apparu à la maternité ? » Cette question n’est pas banale, car elle entraine une autre interrogation : « C’est quoi la vie ? ». De toutes évidence, la vie de chacun de nous à débuté lorsque nous sommes devenus des désirs (même inconscients) chez nos géniteurs. Cela peut donc remonter à quelques années avant notre premier cri sur terre. Question suivante : « Quand mourrons-nous ? ». Certains vous diront : « Lors de notre dernier souffle ». Pour ma part, j’ai envie de vous répondre : « Lorsque nous n’existons plus ! ». Or tout le monde sait que vivre est une fonction biologique, alors qu’exister est une caractéristique sociale. On peut donc affirmer que certains êtres de cette terre sont bien vivants, mais n’ont aucune existence. Ils n’ont aucune relation avec l’extérieur. D’autres individus, pour leur part, ne vivent plus sur terre depuis très longtemps et pourtant, ils sont encore bien existants. Prenez le Christ par exemple, cela fait vingt siècles que sa vie a cessé, pourtant il continue d’exister au travers des mémoires et des rites qui entourent son passage sur terre. Il en est de même pour tous les grands personnages de l’histoire. Je vais aller un peu plus loin… il en est de même pour tous les gens que vous avez aimé, et qui malgré leur absence continuent de vivre dans votre cœur. On pourrait même ajouter, dans votre sang, pour ce qui concerne vos ancêtres. Les adeptes du Transgénérationnel savent bien que nos ancêtres vivent en nous[2].

On peut donc considérer qu’au-delà des fonctions homéostatiques, la vie ou la mort d’un être est entièrement dépendante de la représentation que les autres s’en font. Le rapport social définit donc la vie et la mort. Pour le Christ, il existait déjà longtemps avant son avènement, puisqu’il semblerait que le messie était attendu depuis de longues années. Quand à son départ de la terre, cela ne l’a pas tué puisqu’il continue à vivre dans les consciences sous une autre forme. Tel que l’enseigne le moine bouddhiste vietnamien Thich Nhat Hanh, l’eau contenue dans sa tasse de thé existait la veille sous une forme de nuage ou de ruisseau. Le lendemain, elle sera encore vivante sous la forme d’une peinture ou d’un poème, ce qui peut la faire exister encore longtemps. Cette notion de vie ou de mort définit autrement notre conception très occidentale du sujet.

Lever le voile sur la mort ne doit pas être un tabou en franc-maçonnerie

L’impermanence de la vie terrestre

Abordons maintenant, une autre facette. Parlons de la mort permanente, celle qui se produit à chaque instant en nous-même. Peu d’individus ont conscience de mourir à chaque seconde de leur vie. Pourtant, nos 100 000 milliards de cellules réparties en 250 types cellulaires différents, naissent, mutent et meurent en permanence. Toutes les secondes, chacune des 20 millions de cellules se divisent en deux cellules filles. Ce qui signifie qu’elles se multiplient. Les cellules ne se reproduisent pas toutes au même rythme, car leur durée de vie est différente. La cellule de peau vit 3 à 4 semaines. Le globule rouge vit environ 120 jours. La cellule de la rétine ne dure qu’une dizaine de jours. Celle du foie ou de poumon vit de 400 à 500 jours… Ainsi, tout cet ensemble se renouvelle au rythme désynchronisé qui est le sien. Votre corps est totalement régénéré tous les 10 ans. Vous aurez donc subit tout au long de votre vie un cycle incessant de palingénésique, qu’on nomme plus communément : Vie/ Mort / Renaissance.

Si l’on considère avec attention cette mort permanente, on peut affirmer que la seconde précédente, mon corps était habité par des cellules maintenant mortes, mais aussi par le potentiel des cellules qui devaient naître dans la seconde suivante. La notion de vie dans le présent prend alors tout son sens. Le cycle de palingénésie prend une dimension différente. Il ne s’inscrit plus nécessairement dans une logique religieuse de la vie après la vie, mais bien dans une logique existentielle de la vie pendant la vie. Il s’agit de l’intensité absolue de notre présence à chaque instant. En effet, on peut constater que notre société judéo-chrétienne, est fortement imprégnée par la préparation de la mort physique durant le passage sur terre et se soucie assez peu de cette mort régénératrice.

La mort symbolique

Pour envisager ce nouveau paradigme, il convient d’exploiter avantageusement les rites de passage qui servent de transition entre les différentes phases. Notre société de plus en plus obsédée par le consumérisme fait tout son possible pour dissimuler ou carrément faire disparaitre toute trace de la mort. La science, la médecine, la chimie et même les religions dominantes, tout le monde est à l’œuvre pour nous faire oublier que nous ne sommes pas immortels. L’obsession générale est de nous faire croire que nous serons éternellement jeunes. Lorsque les médicaments et les maquillages n’y suffisent plus, chacun des anciens consommateurs va se réfugier dans des maisons de retraite dans l’attente de l’échéance finale. Le mot même de retraite, définit l’échec à vaincre ce graal de l’immortalité. On visualiserait presque Napoléon dans le froid, pendant la « retraite » de Russie de 1812, ce froid qui est un avant goût de l’au-delà très certainement ? Toute cette organisation marchande, est destinée à nous faire oublier la finitude de notre vie et peut-être même l’oubli de notre manque de vie. Ce que les illusionnistes du marketing ont oublié, c’est que la nature a une sainte horreur du vide. Plus la mort tend à disparaître, plus l’intensité de la vie subit le même sort. C’est précisément pour cette raison que les sociétés tribales se sont pourvues de rites d’accompagnement pour la vie et pour la mort. Les deux sont fêtées de manière semblable.

Les rituels maçonniques sont destinés à ancrer le maçon dans le cycle de la palingénésie. L’initiation est une façon de mourir à la vie profane et de renaître à la vie spirituelle. Chaque grade de la Franc-maçonnerie est une manière de se reconnecter à l’intensité de cette dimension initiatique. Si le symbole de l’Apprenti est le fil à plomb, ce n’est certainement pas un hasard. Car il rappelle la loi de la gravité, il ramène le pratiquant au principe de la rectitude et indique clairement que la Vérité se trouve au fond du puits, à l’intérieur ou au centre si vous préférez, mais certainement pas en périphérie. Si certains se laissent guider par l’orgueil qui les pousse à s’élever jusqu’au clocher, afin d’être mieux vus, les sages cheminent paisiblement vers la crypte, afin de décrypter ou plutôt dévoiler devrais-je dire, afin de révéler leur vérité. Ce terme de vérité dans son origine du grec ancien se traduit par alètheia qui signifie : « Lever le voile sur ce qu’on a oublié ». Nous sommes bien dans une logique de recentrage et d’intériorisation. Le temps n’a plus de prise puisqu’il ne peut exister que dans une dynamique de mouvement circulaire. Or dans les cérémonies rituelles, le présent devient eternel car hors du temps profane. Demandez à n’importe quel amoureux comment il a perçu cette petite seconde d’éternité en compagnie de son âme sœur. Albert Einstein s’est clairement exprimé sur ce sujet : « Placez votre main sur un poêle une minute et ça vous semble durer une heure. Asseyez-vous auprès d’une jolie fille une heure et ça vous semble durer une minute. C’est ça la relativité ».

Comme le dit le proverbe italien : « La vie est trop courte pour être petite ». Voila pourquoi, il me semble qu’occuper ce temps sur terre à consommer, sans se rencontrer soi-même, sans rencontrer les autres êtres humains que nous croisons, est une futilité qui n’a d’égal que l’inutilité de notre vie. Nous pourrons ainsi devenir des tricentenaires que rien n’y fera à l’affaire. Il devient donc urgent de se réapproprier sa mort, la mort au sens général du terme. Nous ne le savons pas encore, mais plus nous nous engagerons dans cette voie, plus nous donnerons de l’intensité à la vie.

Avant de nous dire adieu, permettez-moi une histoire qui illustre bien le propos de cet article.

Un patient arrive chez son médecin

« Bonjour Docteur. Voila, je veux vivre jusqu’à 110 ans, que dois-je faire ? »

Le docteur réfléchit un instant et répond

« Cessez de boire et de fumer, ne mangez plus de viande, ne faites plus l’amour, couchez-vous à 19h30 tous les soirs, faites deux heures d’exercice quotidien…. »

Le patient est totalement décomposé par tout ce programme de privation. Il reprend aussitôt

« Mais docteur, vous êtes absolument certain que je vais vivre jusqu’à 110 ans avec tout cela ? »

Le docteur enchaine aussitôt

« Ah non pas du tout, mais une chose est certaine, la vie va sembler très très très longue ! »

Pour conclure, comme le disait l’écrivain Elbert Hubbard : « Ne prenez pas la vie trop sérieusement. Vous n’en sortirez jamais vivant. »

Longue vie à vous.

Franck Fouqueray

[1] http://tinyurl.com/vieternelleGoogle

[2] Lire à ce sujet les écrits d’Anne Ancelin Schützenberger sur la psychogénéalogie

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Franck Fouqueray
Franck Fouqueray
Fondateur du Journal 450.fm - Président des Éditions LOL - Auteur de nombreux ouvrages maçonniques. Parmi ses nombreuses activités, on peut noter qu'il est fondateur du réseau social maçonnique On Va Rentrer qui regroupe plusieurs milliers de Frères et Soeurs. Il est aussi le créateur du premier Festival d'humour maçonnique de Paris. Il a présidé de 2017 à 2022, la Fraternelle des écrivains maçonniques.

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