jeu 31 octobre 2024 - 09:10

Levons le voile et fichons la paix aux femmes!

J’étais en Loge hier soir et nous avons évoqué la mise sur le marché du nouveau produit d’un fabricant d’articles de sport: un hidjab de course à pied (je me refuse à écrire running, en grand conservateur de la langue française que je suis). Evidemment, toute l’intelligentsia médiatique a poussé les cris d’orfraie de circonstance: guerre de civilisation, grand remplacement, offensive de religieux mahométans et tout le bazar. Rien de bien nouveau, en somme.
Une chose m’a cependant intrigué: pas une seule fois, je n’ai lu, vu ou entendu un point de vue féminin sur la question. Dommage, il eût été intéressant d’avoir l’avis des premières concernées. Peut-être auraient-elles expliqué qu’elles n’ont pas le choix et que pour être tranquilles, elles sont contraintes d’une manière ou d’une autre de se couvrir. La contrainte venant bien évidemment des hommes, qui bien entendu sont victimes de la tentation et de la chair que représente la femme coupable d’être tout simplement.

Comme toujours, les hommes imposent aux femmes leurs comportements et la tenue vestimentaire qui leur convient. Dans les cités ou les banlieues tenues par les communautés religieuses, le plus souvent musulmanes (parce que le phénomène existe aussi dans les beaux quartiers tenus par les catholiques), dès qu’une femme sort de chez elle, elle est vilipendée, insultée, agressée, battue, parfois tuée parce que sa tenue ne plaît pas aux mâles. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le voile devient l’instrument de leur liberté. Liberté de sortir, liberté de circuler, liberté de courir…

Notre culture humaniste ne peut bien évidemment pas tolérer ça, dans la mesure où nous l’interprétons comme un avatar de communautarisme. Mais nous en oublions le vrai problème: malgré toutes les avancées en matière de droit (qui sont sans cesse remises en question par les intégristes de tout bord), les femmes ne sont pas libres de faire ce qu’elles veulent dans notre pays, et rien n’est fait pour leur donner les moyens de s’émanciper dans certains territoires.

Notre attachement à la laïcité nous incite à nous méfier, souvent à juste titre de vêtement que nous prenons pour des symboles interprétés comme une tentative de prise de territoire. Ainsi, le hidjab est présenté comme une offensive d’invasion d’une communauté refusant nos valeurs républicaines. Certes. Mais dans le cas du hidjab de course à pied, si la grande enseigne le commercialise, c’est qu’il y a une demande de la clientèle. Les hommes pour voiler leurs femmes? Ou bien les femmes pour avoir le droit de courir sans risquer de se faire harceler (sachant qu’une femme voilée sera enquiquinée parce qu’elle sera voilée mais harcelée aussi si elle ne porte pas le voile…) ?
Peut-être se trompe-t-on de combat : l’adversaire n’est pas forcément l’enseigne, mais bien le repli communautaire, suffisamment installé pour faire commercialiser ce produit, repli lui-même orchestré par des “prêtres ascétiques”, ceux décrits par Nietzsche dans sa Généalogie de la Morale, en général minoritaires mais qui veulent imposer au reste du monde leur vision de leur vérité. Et toutes les religions sont concernées par ce type d’individus. 

Certains disent que le voile est dangereux. Je ne puis qu’être d’accord, surtout en repensant à l’accident qui a coûté la vie à la danseuse Isadora Duncan… Mais ce qui est dangereux, c’est le repli communautaire, qui naît des inégalités territoriales, et qui est aggravé par l’ignorance entretenue par les institutions dévoyées, ignorance menant tout droit au fanatisme et à l’ambition démesurée. Les trois fameux Mauvais Compagnons, que tout Maître Maçon se doit de combattre et de pourchasser. Commençons déjà par combattre notre propre ignorance en ouvrant les yeux sur le monde qui nous entoure. La lucidité nous ramènera au discernement nécessaire.

Dans le fond, je rirais de ces polémiques si je ne savais pas qu’une femme n’était pas tuée toutes les 48 heures sous les coups d’un homme violent. Au delà de la polémique sur un couvre-chef, le problème est là, et bien là. Une violence dont les pouvoirs publics se rendent complices en ne donnant pas un moyen d’hébergement lors d’un dépôt de plainte par exemple, ou lors d’un rendu de décision . administrative, comme dans l’affaire Aïda, au Mans (https://www.franceinter.fr/emissions/la-revue-de-presse/la-revue-de-presse-03-janvier-2019). Cette triste affaire montre quelle place notre société fait aux femmes, et plus particulièrement aux femmes victimes de la violence. Pire, nos institutions semblent rendre (dans le cas d’Aïda) les femmes responsables de leurs malheurs.

Avant de donner des leçons de laïcité vestimentaire, je crois qu’il faut avant tout protéger les droits des femmes, comme le droit de circuler sans se faire enquiquiner par des mâles en rut, des obsédés ou des pervers.

Freud expliquait que le principe de base de la civilisation est le contrôle des pulsions (ou refoulement pulsionnel), et j’ai bien l’impression, quand je vois mes semblables, que nous régressons, à moins que le problème n’ait toujours existé chez nous et qu’il soit plus visible maintenant que la parole se libère…

Dans un vieux rituel, il est écrit que «la civilisation n’est que partiellement civilisée». Nos ancêtres avaient plutôt bien cerné le problème. Le but de la Franc-maçonnerie est de réaliser la concorde universelle, et chaque jour nous montre combien la tâche est ardue, surtout quand on se déchire pour un morceau de tissu sur lequel on étend des valeurs qui ne sont que des tentatives d’appropriation de territoire. La seule arme que nous ayons étant notre exemplarité, je crois important de rappeler au civisme dans la cité, et que tous, Frères commes Soeurs, restent vigilants sur les droits des femmes.

Dans le fond, ces polémiques ne sont qu’une vaste tartufferie de la gent masculine. Molière l’avait si bien mis en mots:

Couvrez ce sein que je ne saurais voir.

Par de pareils objets les âmes sont blessées,

Et cela fait venir de coupables pensées.

On en oublie la suite, très édifiante, qui n’a pas pris une ride, la réponse de Dorine à Tartuffe:

Vous êtes donc bien tendre à la tentation ;

Et la chair sur vos sens fait grande impression !

Certes je ne sais pas quelle chaleur vous monte :

Mais à convoiter, moi, je ne suis point si prompte :

Et je vous verrais nu du haut jusques en bas,

Que toute votre peau ne me tenterait pas.

En d’autres termes, le problème ne vient pas des femmes, mais bien des hommes…

J’ai dit.

1 COMMENTAIRE

  1. Une petite mise à jour: pendant que nous glosons en Occident, une femme en Iran, Nasrin Sotoudeh, a été sanctionnée et condamnée par un tribunal à une lourde peine de prison (33 ans) et à 148 coups de fouet. Parmi les motifs, le tribunal a invoqué entre autres la “propagande contre l’Etat” et la “présentation devant l’autorité sans le hidjab islamique”.
    Nous n’en sommes pas encore là en France, mais cela ne doit pas nous empêcher de rester vigilants , de garder un oeil ouvert, ni de veiller au seul rempart contre l’obscurantisme religieux (quel qu’il soit) et ses conséquences désastreuses. Et ce rempart, c’est la laïcité.

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Josselin
Josselin
Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).
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