sam 05 juillet 2025 - 19:07

Chevalerie et Franc-maçonnerie

Lorsqu’il recevait la collée, au cours de la cérémonie de son adoubement, le chevalier du Moyen-Âge était d’une certaine manière initié à une nouvelle vie, à de nouveaux devoirs : pauvreté, chasteté, défense du faible, générosité, courage, loyauté, miséricorde et fidélité, soumission et humilité, qui pouvaient aller jusqu’au sacrifice suprême.

Alors que les rituels d’initiation dès le 1er degré s’achèvent par ce qui s’apparente indiscutablement à un adoubement chevaleresque, le franc-Maçon se verra explicitement nommé chevalier au cours de sa progression telle que la propose le Rite Écossais Ancien et Accepté, se fondant successivement sur trois référentiels.

Une première fois en effet, au 11ème degré, Sublime chevalier élu, afin de participer à la poursuite des meurtriers d’Hiram Abi dans un premier référentiel salomonien vécu au travers du symbolisme puis de la recherche de la connaissance.

Au 15ème degré ensuite, Chevalier d’Orient et de l’Épée : après le retour de captivité à Babylone, les compagnons de Zorobabel entreprirent de rebâtir le Temple, l’épée d’une main et la truelle de l’autre, car les peuples voisins s’efforçaient d’interdire par la force la reconstruction de l’édifice sacré.

Mais ces degrés font l’objet d’une communication plutôt que d’une véritable initiation.

La cérémonie d’élévation qui associe 17ème et 18ème degrés va, par contre, donner aux devoirs du chevalier leur pleine signification.

Le 17ème degré en effet, Chevalier d’Orient et d’Occident « marque le lien entre l’Ancienne Loi et la Nouvelle » et introduit le deuxième référentiel, la filiation chevaleresque de l’Ordre maçonnique, référentiel au demeurant – et comme le précédent – bien plus symbolique ou mythique qu’historique, faisant des Croisés, et plus précisément de certains Ordres de Chevaliers chrétiens, les ancêtres des Maçons.
Selon la geste maçonnique du 17ème degré, les Croisés d’Occident s’unissent aux initiés d’Orient et y créent un Ordre nouveau, devenu plus tard l’Ordre du Temple.
Les Chevaliers d’Orient et d’Occident qui sont leurs descendants ont pour objectif d’édifier leur Temple spirituel, celui de la Jérusalem céleste qu’annonce, après Ézéchiel, Saint Jean l’Évangéliste dans l’Apocalypse.

Tel était en tous cas le lignage proposé par le chevalier de Ramsay.

Enfin le 18ème degré, chevalier Rose-Croix, va développer le troisième grand référentiel de la tradition maçonnique, volontiers qualifié de Christique, le message d’Amour et l’exaltation des vertus théologales que sont la Foi, la Charité et l’Espérance.

Pour l’essentiel en effet, il n’est pas question à ce degré de Chevalier Rose-Croix d’agir en tant que chevalier d’armes, mais de se comporter en chevalier de l’Esprit.
Pour autant que le combat soit au plan spirituel, il n’en comporte pas moins d’impérieux engagements.

L’initiation au 17ème puis au 18ème degré conduit le franc-Maçon à s’engager plus avant, pour faire régner l’Ordre à la place du chaos et l’Amour plutôt que la dissension.

Ainsi, à l’instar de son devancier médiéval, le Chevalier Rose-Croix est engagé activement au service d’une cause qui le dépasse et le conduira à se dépasser.
La Chevalerie de l’Esprit a certes ses titres, elle a aussi et surtout ses servitudes et ses devoirs.

Quel est dans cette perspective le combat du Chevalier Rose-Croix ? Quels sont ses engagements ?

Tout homme est perfectible. Le premier engagement d’un Franc-maçon, son premier combat, est de redécouvrir en tout homme et d’abord en lui-même l’homme juste et bon vers lequel tendre ensuite concrètement. Mais le connaître, le re-connaître, c’est bien entendu déjà le concrétiser. C’est tout le sens du « Connais-toi toi-même » jadis gravé au fronton du Temple de Delphes.

Le combat du Chevalier Rose-Croix est aussi le combat de tout Maître Maçon : combattre l’ignorance, le fanatisme et l’ambition, les mauvais compagnons qui persistent en lui, embusqués, prêts à ressurgir. Combattre, le mot est sans ambiguïté : il s’agit bien là d’un combat, d’un engagement tel qu’un chevalier peut recevoir ou se donner mission d’en faire l’objet même de son existence…

Ici, au nom du principe selon lequel on ne serait jamais initié que par soi-même, chacun de nous se donne cette mission, la porte en lui. Mais il n’en est pleinement investi que grâce à ses Frères, ravivant son zèle et raffermissant son engagement lors du travail partagé, à chaque rappel auquel, précisément, l’invite le rituel.

Le combat du Chevalier Rose-Croix, c’est ensuite se dépasser. C’est ce que signifie entre autres passer de l’Équerre au Compas, et poursuivre sa quête initiatique vers la Lumière, par l’accès progressif à une spiritualité de plus en plus haute. La recherche de la Vérité et de la Parole perdue n’a pas de terme. Rappelons-nous que la recherche de la Vérité commence par la recherche de sa vérité intérieure : le combat du maçon est donc celui, sans fin, de son propre perfectionnement.

Le 18ème degré ajoute à ces devoirs celui d’un autre combat. Nous sommes ici engagés dans la Chevalerie de l’Esprit. C’est sur ce plan que se livrera le combat qui a pour objet la libération spirituelle du Chevalier Rose-Croix. En cultivant l’Harmonie et l’Amour, il vise à faire régner la paix véritable, la concorde universelle, l’Ordo auquel invite le plan tracé par le Grand Architecte de l’Univers. La Nouvelle Loi s’exprime ici au travers de la Parole retrouvée, là où, à l’intersection de l’Horizontale et de la Verticale, jaillit la Rose mystique.

Le combat du Chevalier Rose-Croix est donc un combat pour l’Amour.

Chevalier de l’Esprit, le Maçon du 18ème degré parcourt le monde armé non d’une épée mais d’une simple baguette, offrant à chacun sur sa route l’occasion de découvrir en lui-même sa part d’Universel, grâce à la pratique des trois vertus théologales, la Foi, la Charité et l’Espérance.
Bâton de pèlerin, bâton de commandement, cette baguette résume finalement la mission du Chevalier Rose-Croix vis-à-vis de ses Frères en humanité.
Lorsqu’il se sentira las devant l’âpreté du chemin à parcourir, il pourra s’appuyer sur cette baguette, qui figure ici l’acquis, la connaissance. Et lorsqu’il aura charge d’âme, dans sa vie maçonnique comme dans sa vie profane, il saura s’en servir pour exercer son autorité « avec vigilance, bienveillance et modestie »

Quels principes guideront cet itinéraire, cette véritable croisade qu’entreprend le Chevalier Rose-Croix ?

Ceux que figurent les quatre roses ornant les quatre angles de la croix sur l’écu héraldique du 18ème degré, les quatre vertus cardinales que sont la Prudence, la Tempérance, la Force et la Justice.
Par « Force » il faut comprendre surtout fermeté d’âme, persévérance et détermination dans la recherche de la vérité, la recherche de cette Parole perdue et retrouvée substituée en attendant mieux.
« Tempérance » évoque « retenue », maîtrise des passions et donc discrétion ou mieux encore humilité, à l’image du Plus Humble de Tous, celui qui a reçu les Chevaliers Rose-Croix et qui était le plus éclairé, lui qui savait que toute inspiration vient d’en haut.

Qu’il soit permis de préciser ici qu’un Maçon élevé dans une tradition religieuse non chrétienne, ou hors de toute religion n’a pas à être gêné par les références Christiques du 18ème degré, ni par les engagements auxquels il appelle. Nul ne saurait en effet contester que le message d’amour universel, inscrit conjointement à l’affirmation de l’unicité du Créateur de l’Univers dans le l’Exode et dans le Lévitique, n’a rayonné au-delà des limites de la Judée antique que grâce au message porté par les disciples du Christ.

De même, qu’il faut espérer que les Frères chrétiens ne sont pas gênés de s’essayer aux hébraïsmes parfois approximatifs des degrés salomoniens du Rite Écossais Ancien et Accepté. Le sens symbolique de l’édification du Temple de Salomon, comme celui de la Parole d’Amour du Christ, ont valeur d’universel, au-delà de toute pratique religieuse spécifique.

On notera qu’à l’instar des anciens Chevaliers, le Chevalier Rose-Croix ne saurait limiter son engagement au seul temps passé à ce degré ni à ses seuls Frères initiés. Les travaux du Chapitre ne sont jamais interrompus, mais simplement suspendus. Plus encore qu’en Loge symbolique, l’œuvre commencée dans le Temple doit être continuée au dehors.

Il nous faut en venir concrètement à l’engagement du Chevalier Rose-Croix.

L’engagement du Chevalier Rose-Croix témoigne de son espérance et de sa foi en la possibilité pour l’homme de construire un monde où règnent la tolérance et l’équité.
C’est bien à un engagement total que le président de l’Atelier appelle les Chevaliers Rose-Croix à la reprise des travaux, lorsqu’il les exhorte ainsi : « Consacrons toutes nos forces en de nouveaux travaux afin de retrouver la Parole perdue. »

L’engagement du Maçon admis au 18ème degré doit s’étendre à sa vie tout entière, à chacune de ses pensées et de ses actions. C’est ce qu’indique sans ambiguïté le Rituel d’initiation qui précise que la Foi, bien plus qu’une croyance aveugle en des dogmes ou en une révélation- dont chacun reste évidemment libre -, est « une tension qui se manifeste dans le cœur de l’homme et le porte à consacrer, sans défaillance, toute son énergie et même sa vie à la poursuite de l’idéal engendré par l’Espérance », poursuivant pas à pas « sa route vers une ère de Vérité et de Lumière, vers le royaume de l’Amour et de l’Esprit ».

Quant à la Charité, dit toujours le Rituel d’initiation, elle doit s’entendre, pour « les Chevaliers Rose-Croix héritiers de la Chevalerie qui s’érigea en défenseur des faibles et des opprimés », comme « le dévouement total à leurs semblables, qu’ils sont tenus d’aider, d’assister et d’aimer ». Se reconnaissant comme une infime partie du tout qu’est le Cosmos dans son ensemble, le Chevalier Rose-Croix est porté à « s’identifier par un acte d’amour à tout ce qui vit. ». Dût-il pour cela se sacrifier, comme le lui rappelle le Pélican symbole du grade.

Parce qu’il a retrouvé la Parole et qu’il a pour mission d’en répandre l’enseignement, il va partager le Pain et le Vin, avec celui qui a faim et soif de cette nourriture spirituelle.
Il devra en cela faire preuve de discernement, en réservant ce don précieux à celui qui saura se montrer demandeur, et prêt à le recevoir. La nourriture spirituelle dont il est question ici ne doit pas être galvaudée ni corrompue faute d’être convenablement partagée et reçue. Ainsi, lorsque chacun a reçu sa part, le reliquat doit être livré au feu qui régénère toute chose.

Alors le Chevalier Rose Croix est prêt à accomplir son devoir, qui est de propager sur la Terre toutes les vertus qui naissent de la Foi et de la Charité.

Comme il s’y était engagé en tant que Chevalier d’Orient et d’Occident, il mettra en effet le meilleur de lui-même à poursuivre l’idéal maçonnique « reposant sur la seule primauté de l’Esprit et qui, conformément à la Tradition, assure la transmission de l’influence spirituelle de l’Ordre ».
Sans doute est-on conduit à imaginer qu’il lui appartiendra plus tard de tendre vers la concrétisation de cet engagement, inspiré et fortifié par son cheminement, éclairé par la loi de l’Amour universel, conscient de ses devoirs, le temporel se nourrissant alors du spirituel.

Mais pour l’instant, le combat du Chevalier Rose-Croix n’est essentiellement qu’au plan de l’esprit.

C’est bien encore dans cette perspective qu’à l’heure où les Chevaliers voient venue l’heure du Parfait Maçon et où les travaux du Souverain Chapitre sont suspendus, il leur appartient d’aller « combattre l’ignorance, le fanatisme et l’ambition et de faire régner à leur place le dévouement, la charité et la vérité », en répandant les enseignements de la Parole telle qu’ils l’ont retrouvée.

Ainsi pourrions-nous être tenté de parler de grade « missionnaire », voire, sans que le propos doive naturellement être pris au sens religieux, d’un rôle « évangélisateur », par la parole et surtout par l’exemple.

S’efforcer d’être exemplaire, être déterminé et loyal, désintéressé, humble, altruiste et généreux : sans doute peut-on faire une analogie avec le « code de l’honneur » que respectaient les chevaliers d’armes. Il s’agit pour le Chevalier Rose-Croix de respecter des règles morales strictes tandis qu’il accomplit son triple engagement : défendre la foi, fortifier l’espérance et répandre la charité.

Telle est la mission dont est investi le Chevalier Rose-Croix, Chevalier de l’Esprit, pasteur de peuple, invité à cultiver la vertu, le devoir, le sacrifice en s’engageant dans une véritable croisade d’Amour, afin de faire rayonner l’idéal de l’Ordre, en son sein comme au dehors.

Et c’est bien cette mission exaltante qui lui fait répondre, lorsqu’on lui demande s’il est Chevalier Rose-Croix, « J’ai ce bonheur. ».

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Jean-Jacques Zambrowski
Jean-Jacques Zambrowski
Jean-Jacques Zambrowski, initié en 1984, a occupé divers plateaux, au GODF puis à la GLDF, dont il a été député puis Grand Chancelier, et Grand- Maître honoris causa. Membre de la Juridiction du Suprême Conseil de France, admis au 33ème degré en 2014, il a présidé divers ateliers, jusqu’au 31°, avant d’adhérer à la GLCS. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur le symbolisme, l’histoire, la spiritualité et la philosophie maçonniques. Médecin, spécialiste hospitalier en médecine interne, enseignant à l’Université Paris-Saclay après avoir complété ses formations en sciences politiques, en économie et en informatique, il est conseiller d’instances publiques et privées du secteur de la santé, tant françaises qu’européennes et internationales.

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