ven 04 juillet 2025 - 23:07

La Conspiration judéo-maçonnique à Madrid : Déconstruire un mythe au Centro Sefarad-Israel

De notre confrère espagnol esmadrid.com

À partir du 12 juin 2025 et jusqu’au 31 mars 2026, le Centro Sefarad-Israel, situé au cœur de Madrid, accueille une exposition majeure intitulée La Conspiración judeo-masónica. La construcción de un mito (La Conspiration judéo-maçonnique : La construction d’un mythe). Organisée par la Secretaría de Estado de Memoria Democrática et le Centro Sefarad-Israel, cette exposition ambitionne de démystifier l’une des théories du complot les plus persistantes et destructrices du XXe siècle en Espagne.

À travers un parcours historique et documentaire, elle explore comment le mythe de la conspiration judéo-maçonnique a été forgé, propagé et utilisé comme outil de propagande pour justifier la persécution de groupes spécifiques, notamment les Juifs, les francs-maçons et les républicains, dans un contexte de tensions politiques et sociales. Cet article propose une plongée dans cette exposition, ses objectifs, son contexte historique et son importance pour la compréhension des dangers des théories conspirationnistes.

Origines d’un mythe toxique

Le mythe de la conspiration judéo-maçonnique trouve ses racines au XIXe siècle, dans un climat européen marqué par l’essor des idéologies racistes et antilibérales. Comme le souligne l’exposition, ce mythe repose sur l’idée d’une prétendue coalition secrète entre Juifs et francs-maçons, accusés de chercher à dominer le monde. Cette théorie, née en partie de la publication des Protocoles des Sages de Sion – un faux document antisémite apparu dans l’Empire russe au début du XXe siècle – a fusionné des accusations antimaçonniques et antisémites pour créer un récit conspirationniste puissant. En Espagne, ce mythe a pris une ampleur particulière à partir des années 1930, sous la Seconde République, devenant un outil clé de la propagande conservatrice. L’exposition retrace ces origines à travers une première salle dédiée à la fragua ideológica del enemigo (la forge idéologique de l’ennemi).

Les Protocoles des Sages de Sion
Les Protocoles des Sages de Sion – Serge_Nilus

Elle montre comment des pamphlets, des caricatures et des écrits antisémites, souvent relayés par des secteurs réactionnaires de la société européenne, ont alimenté l’idée d’une menace juive et maçonnique. En Espagne, ces idées ont été exacerbées par des figures comme Mariano Tirado y Rojas, qui, dans son ouvrage La masonería en España (1892), tentait de lier la franc-maçonnerie et les Juifs à des révoltes historiques, comme les Comunidades de Castilla au XVIe siècle, sans preuves historiques solides. Cette absence de fondement documentaire, comme le souligne l’exposition, est une caractéristique récurrente des théories conspirationnistes, qui reposent sur des « inductions » et des récits biaisés plutôt que sur des faits.

Le rôle de la propagande franquiste

Le mythe de la conspiration judéo-maçonnique a atteint son apogée en Espagne sous le régime de Francisco Franco, qui en a fait une justification idéologique pour la rébellion militaire de 1936 et la répression qui a suivi. Franco, obsédé par ce mythe jusqu’à sa mort en 1975, voyait dans les Juifs, les francs-maçons, les communistes et les républicains les responsables de tous les maux de l’Espagne, une « anti-Espagne » qu’il convenait d’éradiquer. L’exposition consacre une salle entière à cette période, illustrant comment la propagande franquiste a amplifié ce mythe à travers des affiches, des journaux et des discours publics.

Un élément marquant de cette section est la reconstitution, dans l’Archivo General de la Guerra Civil de Salamanca, d’une salle maçonnique fictive ordonnée par Franco. Cette reconstitution, remplie d’objets caricaturaux et de mannequins déformés, visait à effrayer le public et à diaboliser la franc-maçonnerie. Ces objets, exposés au Centro Sefarad-Israel, révèlent l’ampleur de la manipulation idéologique orchestrée par le régime. Des documents d’archives montrent également comment le Tribunal Especial para la Represión de la Masonería y el Comunismo, actif jusqu’aux années 1960, a poursuivi et emprisonné des dizaines de milliers d’Espagnols sur la base de preuves falsifiées ou inexistantes.

L’antisémitisme historique en Espagne

Loge maçonnique. / Centre documentaire de la mémoire historique de Salamanque.
Loge maçonnique. / Centre documentaire de la mémoire historique de Salamanque.

Une autre salle de l’exposition se concentre sur l’histoire des Juifs en Espagne, marquée par la persécution, l’expulsion et l’exclusion. Depuis l’expulsion des Juifs par les Rois Catholiques en 1492, la présence juive en Espagne a été marginalisée, mais les préjugés antisémites ont perduré, alimentés par des System: mythes comme celui de la conspiration judéo-maçonnique. L’exposition met en lumière ce paradoxe : alors que les Juifs étaient quasi absents d’Espagne à l’époque moderne, ils étaient accusés d’être à l’origine des troubles sociaux et politiques, une accusation souvent dénuée de fondement mais utilisée pour justifier la violence et la répression. Les documents présentés, issus du Centro Documental de la Memoria Histórica de Salamanca, montrent comment ces idées ont été véhiculées par des publications comme La Civiltà Cattolica ou les écrits du prêtre Juan Tusquets, qui introduisit le mythe en Espagne dans les années 1930.

Le rôle de l’Église catholique et des partis conservateurs

L’exposition aborde également le rôle de l’Église catholique dans la diffusion de ce mythe. À une époque où l’Église jouait un rôle central dans la société espagnole, des publications jésuites et des sermons ont contribué à associer Juifs et francs-maçons à une menace contre les valeurs chrétiennes et nationales. Cette rhétorique a trouvé un écho dans les cercles conservateurs, qui voyaient dans la franc-maçonnerie et le judaïsme des forces subversives menaçant l’ordre établi. À travers des affiches et des extraits de presse de l’époque, l’exposition montre comment ces idées ont été amplifiées par les partis conservateurs dans les années 1930, servant de justification idéologique à la rébellion militaire de 1936. Cette « croisade » pour la défense de la patrie, comme l’appelaient les franquistes, s’appuyait sur l’idée d’une lutte contre une « anti-Espagne » composée de Juifs, de francs-maçons, de communistes et de républicains. L’exposition démontre comment ces récits, bien que basés sur des mensonges, ont réussi à convaincre une large partie de la population grâce à une propagande massive.

Une réflexion sur les dangers de la désinformation

L’exposition ne se contente pas de retracer l’histoire de ce mythe ; elle invite également à une réflexion contemporaine sur les dangers des théories conspirationnistes. À une époque où les fake news et la désinformation se propagent rapidement via les réseaux sociaux, le mythe de la conspiration judéo-maçonnique apparaît comme un cas d’école. Les organisateurs, dont le Secrétaire d’État à la Mémoire Démocratique, Fernando Martínez López, et le directeur du Centro Sefarad-Israel, Jaime Moreno Bau, soulignent l’importance de comprendre comment de telles idées peuvent manipuler les émotions, notamment la peur, pour diviser les sociétés.

Le parcours, divisé en cinq salles, utilise des documents originaux, des photographies, des affiches et des vidéos pour offrir une analyse critique de ce chapitre sombre de l’histoire espagnole. Le commissaire de l’exposition, Leandro Álvarez Rey, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Séville, guide les visiteurs à travers ce récit, montrant comment la désinformation a servi à justifier des persécutions et des violences de masse.

Le Centro Sefarad-Israel, un lieu de mémoire et de dialogue

Le choix du Centro Sefarad-Israel pour accueillir cette exposition n’est pas anodin. Ce centre, créé pour promouvoir le riche héritage séfarade et renforcer les liens entre l’Espagne, Israël et les communautés juives du monde entier, est un espace dédié à la connaissance et à la tolérance. Depuis sa fondation, il organise des expositions, des conférences et des événements culturels pour faire connaître la culture juive et déconstruire les préjugés. En accueillant cette exposition, le Centro Sefarad-Israel réaffirme son engagement à promouvoir les valeurs de coopération, de solidarité et de non-discrimination, en particulier auprès des jeunes générations.

L’exposition s’inscrit dans une série d’initiatives du centre, comme la récente exposition « Por vuestra libertad y la nuestra » sur le rôle des Juifs dans les Brigades internationales pendant la guerre civile espagnole, ou encore Del dolor a la esperanza, qui donne la parole aux victimes hispanophones des attaques du 7 octobre en Israël. Ces initiatives témoignent de l’engagement du centre à explorer les facettes complexes de l’histoire juive et à lutter contre l’intolérance.

La Conspiración judeo-masónica. La construcción de un mito est bien plus qu’une exposition historique ; c’est un appel à la vigilance face aux dérives de la désinformation et des théories conspirationnistes. À travers un parcours riche en documents et en analyses, elle met en lumière les mécanismes de propagande qui ont alimenté l’antisémitisme, l’antimaçonnisme et l’intolérance en Espagne, tout en offrant une réflexion universelle sur les dangers de la manipulation idéologique. Ouverte du lundi au vendredi de 10h30 à 20h00 au Centro Sefarad-Israel, Calle Mayor 69 à Madrid, cette exposition est une invitation à comprendre le passé pour mieux construire un avenir de tolérance et de vérité. Comme le souligne le Centro Sefarad-Israel, il s’agit de « tendre des ponts » entre les peuples et les cultures, pour que les erreurs du passé ne se répètent pas.

Informations pratiques

  • Dates : Du 12 juin 2025 au 31 mars 2026
  • Horaires : Lundi à vendredi, de 10h30 à 20h00
  • Lieu : Centro Sefarad-Israel, Calle Mayor 69, Madrid
  • Entrée : Gratuite
  • Métro : Sol (lignes 1, 2, 3), Ópera (lignes 2, 5, R)
  • Cercanías Renfe : Sol (lignes C3, C3a, C4 et Regional)

Cette exposition est une opportunité unique de plonger dans une page sombre de l’histoire, tout en réfléchissant aux enjeux contemporains de la vérité et de la tolérance dans nos sociétés.

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Alice Dubois
Alice Dubois
Alice Dubois pratique depuis plus de 20 ans l’art royal en mixité. Elle est très engagée dans des œuvres philanthropiques et éducatives, promouvant les valeurs de fraternité, de charité et de recherche de la vérité. Elle participe activement aux activités de sa loge et contribue au dialogue et à l’échange d’idées sur des sujets philosophiques, éthiques et spirituels. En tant que membre d’une fraternité qui transcende les frontières culturelles et nationales, elle œuvre pour le progrès de l’humanité tout en poursuivant son propre développement personnel et spirituel.

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