sam 24 mai 2025 - 10:05

3 clous 3 vices, le maître a-t-il fondé l’ordre ?

La légende fondatrice de la franc-maçonnerie parle d’un sacrifice et puis d’un héritage. Beaucoup d’autres récits fondateurs sont basés sur le même schéma. Qui est sacrifié et pourquoi ? Est-ce le maître qui a fondé l’ordre par son sacrifice ? Et si ce n’est pas lui, qui est-ce ? 

Trois clous 

Selon les récits du Nouveau Testament, Jésus aurait été crucifié avec trois clous. Des légendes courent à leur propos, ils ont fait l’objet d’un véritable culte : le triclavianisme. Ils  ont été retrouvés, puis conservés dans des sanctuaires disséminés un peu partout dans le monde chrétien, quand on refait le compte : tellement disséminés qu’ils sont maintenant au nombre de onze. Gardons les trois premiers. Chacun d’entre eux représente quelque chose de particulier qui dit une dimension de  la figure du Christ. Le premier des clous représente l’obéissance à Dieu. C’est une symbolique verticale. Le deuxième sgnifie l’amour de l’humanité. C’est une symbolique horizontale. Enfin, le  troisième parle du péché des hommes. Il se situe donc sur une verticale inversée, c’est un refus d’obéissance par rapport au premier. Le sacrifice de Jésus  est dû à une traîtrise, celle de Judas Iscariote. Drôle de traîtrise puisqu’elle semble consentie,  Jésus lui dit, au moment où il va commettre cette trahison «Ce que tu as à faire, fais-le vite!» (Jean 13:27). D’autant plus consentie que son destin est inéluctable, il a été annoncé par les prophètes et c’est justement en accomplissant ce qui est annoncé que le Messie doit se faire reconnaître comme tel. Matthieu rapporte ces propos (Mt 5,17) : “je ne suis pas venu abolir mais accomplir”. Dans un poème de 1458 Jean MICHEL met en scène un dialogue entre Jésus et sa mère. Elle cherche à le détourner du supplice qui l’attend, il lui explique qu’il ne peut pas s’y soustraire et termine son argument sur cette sentence : “Accomplir faut les écritures”.

Vingt-trois coups 

Jules César fut assassiné lors des ides de mars, le 15 de l’an 44 par vingt-trois coups de stilet. L’histoire rapporte que trois fois, avant cet assassinat, il avait tenté de se faire couronner roi, en faisant déposer symboliquement sur ses statues à Rome : une couronne de laurier. C’est cette accusation de vouloir se faire roi  qui justifie le complot et l’assassinat. A sa fondation en 753 Rome était une royauté.  Elle est devenue une république en 509 et depuis s’efforçait d’empêcher que qui que ce soit ne cherche à monter sur le trône. Mais César rêvait d’y parvenir. Le jour de son assassinat, par trois fois, des signes annonciateurs ont tenté de l’avertir pour qu’il échappe à son destin. L’haruspice, maître des oracles, l’avait averti de se méfier des ides de mars.  Le matin même sa femme Calpurnia lui avait parlé d’un rêve prémonitoire qu’elle venait de faire, où elle le voyait mourir. En entrant dans la Curie, un de ses collaborateurs lui avait tendu un message portant le nom de tous les conjurés qui l’attendaient à l’intérieur. César n’a pas voulu le lire. Il était coutumier du fait : défier le destin. Cette fois-là, cela n’a pas marché. Peut-on dire qu’il est allé au-devant de son destin en connaissance de cause ? Vingt-trois coups de poignard. 

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Trois vices 

Le maître de la franc-maçonnerie est tombé lui aussi sous les coups, par  trois compagnons désignés comme traîtres. Chacun de ces coups représente un vice, c’est-à-dire au sens latin du terme : une faiblesse. Le premier de ces vices est l’ignorance. Le deuxième est le fanatisme et le troisième : l’ambition. Dans certains rites, chacun de ces vices est attribué à un officier de la loge. L’ignorance revient au Premier Surveillant, celui qui symbolise la verticale du fil à plomb. Le fanatisme au Second Surveillant, celui qui marque l’horizontale du niveau. Et l’ambition revient au Vénérable Maître, installé lui aussi dans la verticalité. Dans d’autres rites le premier outil est la règle, celle qui impose l’obéissance (1er clou), le deuxième est l’équerre qui donne le carré, base de la construction (2ème clou : l’humanité) et le troisième outil, le maillet, qui décide du verdict : absoudre ou condamner les péchés des hommes (3è clou). Le maître fondateur de la franc-maçonnerie aurait pu lui aussi échapper à son destin, soit en accédant aux volontés des trois mauvais compagnons, soit en négociant, soit en rusant, soit en utilisant la force…il ne l’a pas fait. Faut-il comprendre qu’il a lui aussi accepté son sort, s’il ne l’a pas carrément provoqué ?  

Mais le maître a-t-il fondé l’ordre ? 

On dirait que non.  Jésus n’a pas fondé le christianisme, autant qu’on le sache par la tradition, mais aussi par l’histoire. Il était  un prédicateur juif un peu dissident, comme il existait beaucoup d’autres à son époque. Le succès, qui a fait de son enseignement une religion,  est arrivé après, bien après sa mort. Au cours du Iᵉʳ siècle d’abord,  par transmission orale de récits colportés par des témoins, puis par des gens qui avaient entendu les témoins, puis par des gens qui avaient entendu les récits. Les premières communautés embryonnaires se sont constituées au cours de cette période et se sont répandues en diaspora. C’est sous l’empereur Constantin, avec le concile de Nicée en 325 que le christianisme s’est organisé véritablement comme religion, comme religion. Elle a rassemblé ce qui était épars, elle a pris une organisation matérielle et elle a institué son dogme, son premier credo dans lequel tous les chrétiens étaient censés se reconnaître. Il y eut aussi le Concile de Trente de 1545 à 1563 où il a fallu resserrer les boulons du dogme après l’apparition du protestantisme. Ce sont donc les successeurs du Christ lui-même qui ont fait ce travail de construction, pas lui. D’ailleurs, le Christ n’était pas chrétien.

César n’a pas fondé l’Empire Romain 

“Empereur” vient du latin “imperator”, qui ne veut pas dire empereur, à l’origine, mais : général en chef. Pour devenir empereur, au sens où on l’entend maintenant, il a fallu fusionner deux fonctions, celle de général en chef, gouvernant toutes les armées, et celle de dictateur. Dans la République romaine, en cas de crise, on pouvait nommer un citoyen, en général l’un des deux consuls, “dictateur”’, lui donnant les pleins pouvoirs sur la politique, le temps de résoudre la crise Puis les choses reprennaient leur état normal.  César était général en chef, il venait de se faire nommer dictateur, il n’était pas loin du but. Mais il n’y était pas et le titre d’empereur n’existait pas. En son hommage, tous les empereurs romains qui lui ont succédé se sont appelés “César”. C’était leur titre officiel, depuis l’historien Suétone on parle des “12 Césars”. Le terme plus tard a donné le titre de Tsar en Russie ou celui de Kaiser en Prusse. Le seul César qui ne fut pas empereur était César lui-même. Alors qui a fondé l’Empire Romain après la mort de César ? Ce n’est pas Brutus, le fils maudit qui n’était pas son fils. Brutus, le chef des conjurés qui a porté le premier coup mortel, celui à qui est adressé cette dernière parole en grec : Kai su Teknon, qui veut dire : toi aussi mon garçon (et non pas toi aussi mon fils). Le meurtrier du père a continué de mener sa guerre au nom de la République pendant quinze ans contre ceux qui voulaient l’empire, et quand il l’a crue perdue, il s’est fait justice lui-même en se donnant la mort (tu quoque, Abibalc !….). Ce n’est pas Brutus qui a fondé l’Empire mais le fils adoptif de César, Octave. Bien sûr, celui-ci n’avait pas participé au complot. Au contraire, il  a combattu et pourchassé Brutus jusqu’à l’expiation du crime. Puis a mis fin à la guerre civile en montant sur le trône sous le nom d’Auguste, le premier des césars. 

Hiram a-t-il fondé la franc-maçonnerie ?

Bien sûr, le pasteur Anderson ne connaissait pas Freud, mais Freud connaissait le pasteur Anderson puisqu’il semble bien qu’il ait été franc-maçon, initié en 1897 dans la loge Wien qui appartenait à l’ordre de  B’nai B’rith. De là à penser que l’histoire de la horde primitive éclaire celle d’Hiram, il n’y a qu’un pas, un pas de maître, bien sûr. Ceux qui ont conçu cette légende étaient imprégnés de culture biblique, Ancien et Nouveau Testament, et aussi d’histoire antique, grecque et romaine et bien d’autres légendes qui tournent toutes autour des mêmes symboles : il faut que le maître meure pour que son destin s’accomplisse. La mort le fait passer dans l’éternité et les symboles se révèlent alors, au nombre de trois, toujours. 

Dans Totem et Tabou,  Freud raconte l’histoire de ce qu’il appelle la Horde Primitive, qui aurait été une première tribu d’humains, dans lesquels le père se serait accaparé tous les pouvoirs, toutes les ressources, toutes les femmes. Les fils, ulcérés de la tyrannie du père, auraient résolu de l’assassiner. Tous complotistes, tous coupables. Mais une fois leur crime perpétré, ils se seraient trouvés saisis de remords et de crainte. Si l’un d’eux venait à occuper à son tour la place du père, il risquait de finir comme lui. Ils résolurent de changer de régime et de mettre en place une sorte de république des frères, à l’horizontale, à égalité. Quant au père, il a survécu sous la forme d’une figure symbolique, celle d’un totem, celui qui avait fondé la tribu par son sacrifice et continuait de l’unifier bien après sa mort. L’histoire de la Horde Primitive n’est pas plus vraie que celle d’Hiram. Mais c’est sans doute sur  modèle de ce genre-là que la franc-maçonnerie a été créée.

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Pierre Gandonniere
Pierre Gandonniere
Membre du Grand Orient de France et du Grand Chapitre Général. Journaliste, consultant, enseignant Auteur d’une thèse sur l’Ecologie de l’Information Auteur de : "L'Humanisme en Tablier Vert -L'Ecologie est-elle une question maçonnique ?" Detrad, 2023

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