Une Vie Marquée par la Controverse
Pierre Athanase Marie Plantard (1920-2000), connu pour ses prétentions à une ascendance mérovingienne et pour avoir orchestré la mystification du Prieuré de Sion, est une figure complexe et controversée. Né à Paris dans une famille modeste – son père était majordome, sa mère cuisinière –, il quitte l’école à 17 ans pour devenir sacristain à l’église Saint-Louis-d’Antin, dans le 9e arrondissement de Paris. Dès ses jeunes années, Plantard s’engage dans des associations d’extrême droite, fondant des groupes comme Rénovation nationale française et Alpha Galates, marqués par un discours antisémite et antimaçonnique, paradoxalement, au vu de son futur parcours.
Une Initiation Éphémère au Grand Orient de France
Le 8 juillet 1951, Pierre Plantard est initié au Grand Orient de France (GODF) par la loge L’Avenir du Chablais, à Ambilly, près de la frontière suisse. Cette initiation, qui pourrait sembler incongrue pour un homme aux idées ultranationalistes, s’inscrit dans une période de sa vie où il cherche à élargir son réseau et à légitimer ses ambitions ésotériques. Le GODF, obédience maçonnique libérale et progressiste, prône des valeurs humanistes et républicaines, en opposition directe avec les idéaux de l’extrême droite. Cette adhésion, cependant, est de courte durée : Plantard est exclu dès janvier 1954, sur décision du conseil de l’ordre, probablement en raison de ses agissements controversés et de ses activités politiques incompatibles avec les principes du GODF.
Un Passé Trouble et des Accointances avec l’Extrême Droite
Le passé de Pierre Plantard est marqué par des engagements troubles, notamment pendant la Seconde Guerre mondiale. En décembre 1940, il se présente comme dirigeant de Rénovation nationale française et propose ses services au régime de Vichy, dénonçant un prétendu « complot judéo-maçonnique » dans une lettre au maréchal Pétain. En 1941, il tente de s’approprier un local appartenant à un juif anglais, avec l’appui supposé des autorités allemandes – une requête refusée. En 1942, il fonde l’Ordre Alpha Galates, un groupe antisémite et antimaçonnique, qui publie la revue Vaincre – Pour une jeune chevalerie. Cette initiative lui vaut une condamnation à quatre mois de prison à Fresnes en 1943, pour avoir défié l’interdiction des autorités allemandes. À la Libération, Plantard tente de réécrire son histoire, présentant ses organisations comme des groupes de résistance, une affirmation qui ne trompe guère les observateurs.
Son engagement dans l’extrême droite ne s’arrête pas là. Dès 1937, à l’âge de 17 ans, il fonde des associations ultranationalistes comme l’Union française, prônant une « révolution nationale » basée sur l’antisémitisme. Ces activités, bien que marginales – Alpha Galates ne comptait qu’une cinquantaine de membres, dont la plupart se désengagèrent rapidement –, révèlent une idéologie en contradiction avec les valeurs maçonniques qu’il prétendra plus tard défendre.
Le Prieuré de Sion : Une Mystification Ésotérique
C’est dans les années 1950 que Pierre Plantard se réinvente en figure ésotérique. En 1956, il fonde le Prieuré de Sion à Annemasse, une association officiellement dédiée à la construction de logements sociaux, mais qui deviendra le socle d’une vaste mystification. Plantard prétend que le Prieuré est une société secrète millénaire, fondée en 1099 par Godefroy de Bouillon, et qu’il est lui-même un descendant de Dagobert II, roi mérovingien, et un prétendant légitime au trône de France. Avec son complice Philippe de Chérisey, il fabrique les Dossiers secrets d’Henri Lobineau, déposés à la Bibliothèque nationale dans les années 1960, pour étayer ses affirmations.
Cette fable, popularisée par le livre L’Énigme sacrée de Henry Lincoln, Michael Baigent et Richard Leigh en 1982, puis par Da Vinci Code de Dan Brown en 2003, a séduit un large public. Mais elle est largement reconnue comme une imposture par les historiens. En 1993, interrogé par la justice dans le cadre de l’enquête sur la mort de Roger-Patrice Pelat, Plantard avoue avoir falsifié des documents, notamment ceux liant Pelat au Prieuré. Il est alors sommé de cesser ses activités frauduleuses.
Une Figure Insaisissable et Controversée
Pierre Plantard reste une énigme. Son initiation au GODF, bien que brève, soulève des questions : cherchait-il une légitimité maçonnique pour ses projets ésotériques, ou une façade pour masquer ses ambitions politiques ? Son passé d’extrême droite, ses condamnations judiciaires (notamment pour abus de confiance en 1953) et ses mystifications révèlent un homme prêt à manipuler les récits historiques et spirituels pour se construire une aura de grandeur. Certains, comme l’écrivain Jean-Luc Chaumeil, qui fut un temps proche de Plantard avant de dénoncer ses mensonges, le décrivent comme un manipulateur habile, mais peu crédible.
Plantard s’éteint en 2000, laissant derrière lui un héritage ambigu. Si son Prieuré de Sion continue de fasciner les amateurs de mystères, il est avant tout le symbole d’une époque où les récits ésotériques pouvaient encore captiver les imaginations, même lorsqu’ils reposaient sur des bases fragiles. Pour les maçons du GODF, son passage dans leurs rangs reste une anomalie, un rappel que même les institutions les plus progressistes ne sont pas à l’abri des imposteurs.