sam 17 mai 2025 - 17:05

Les thérapeutes ou l’initiation des autres

Jusqu’à la découverte en 1947 des Manuscrits de la Mer Morte et à leurs traductions et commentaires critiques qui – aujourd’hui encore sont poursuivis – les Esséniens n’étaient connus qu’indirectement par les écrits en provenance de 4 sources : un auteur grec, un auteur latin, un auteur juif latinisé et un commentateur paléochrétien.

La découverte de ces manuscrits dans des grottes et des ruines situées près de la Mer Morte a permis une datation précise et une chronologie parfaite des évènements, objets, sujets et idées en même temps qu’étaient établis la part et l‘ordre des influences reçues ou exercées par le mouvement de pensée ainsi mis à jour. Nombre de points obscurs ont été éclairés quant à la connexion de Jean le Baptiste avec Jésus le Nazaréen, et à celle de celui devenu Jésus-Christ avec

Jean l’Évangéliste.

Jean 1:1. In principio erat Verbum… sont les premiers mots en latin de l’Évangile selon Jean, Évangéliaire d’Æthelstan, folio 162 recto, v. Xe siècle.

Une filiation remontant à la Crète et à Pythagore put être mise en évidence, et des influences mazdéennes et égyptiennes ont été décelées dans les comportements relatés par les textes esséniens. Les esséniens s’inscrivent dans les religions dites « à Mystères », ils peuvent être définis dès l’origine comme constituant un Ordre initiatique avec une composante prépondérante mystique de type messianique et de style apocalyptique.

On ne sait cependant à peu près rien de leurs rituels initiatiques, seuls nous étant parvenues des directives, des règles et des lois ainsi que des apocalypses ou « récits de Révélations finales ». Il apparaît que nos mystères et notre symbolique sont un fidèle reflet de ce que pouvaient vivre les Esséniens.

Loin de traiter ici de « l’initiation des autres », c’est en début et en fin de compte notre démarche initiatique dont nous aurons traité en traçant cette planche ! C’est l’antiquité même de cette Tradition qui permet à chacun d’entre nous de projeter une lumière nouvelle sur notre chemin, d’y déceler des balises cachées et ainsi d’approfondir ce qu’était l’initiation des Esséniens en examinant ce dont nous avons hérité !

LES ÉSSENIENS ET LES THÉRAPEUTES

Nous commencerons par la formule d’Ernest Renan, connue de tous ceux qui s’intéressent aux vicissitudes du fait religieux : « Le Christianisme est un Essénisme qui a réussi ».

Flavius Josèphe

Paradoxale remarque, aventureuse quelque peu à l’époque de sa formulation : les esséniens n’étaient connus alors qu’indirectement par quelques textes de Philon d’Alexandrie, d’Eusèbe de Césarée et de Flavius Josèphe pour le côté favorable, de Pline l’ancien pour la neutralité de l’historien, et d’Hyppolyte de Rome pour le côté défavorable. C’était bien peu pour une très courte période se déroulant du 1er siècle après JC sur l’aire géographique restreinte que constituaient les abords marécageux du lac Maréotis dans la lagune d’Alexandrie ?

Les découvertes faites de 1947 à 1962 changent totalement les choses. Désormais, la chronologie s’étend sur dix millénaires, du néolithique au Moyen-âge avancé alors que la sphère géographique s’élargit à la Mer Morte, à Jérusalem, Jéricho, Samarie, Damas, avec des pointes en Grèce macédonienne et en Perse.

La matière est foisonnante, pleine de méandres et d’impasses pour certains faits historiques énigmatiques. Pour que les choses soient claires, j’aurai d’abord à vous parler du cadre archéologique, tant du point de vue chronologique que géographique. Les choses se préciseront en détaillant par l’histoire les faits et gestes des Esséniens.

Puis, prenant en considération les influences reçues et celles exercées, nous terminerons par quelques remarques sur ce que nous pouvons penser avoir hérité des Esséniens et Thérapeutes dans notre démarche propre !

L’archéologie et la stratigraphie des Grottes de Qûmran sur les rives de la Mer Morte ont permis de mettre en évidence 4 grandes périodes d’occupation :

  • Une première période néolithique qui nous importe peu ici ;
  • Un deuxième période dite « époque israélite » qui va du 8ème au 4ème siècle avant JC, dont l’événement majeur est le massacre par les soldats d’Alexandre le Grand des Samaritains rebelles porteurs d’enseignements anciens venus de Perse. Inférer une influence de ces évènements sur l’occupation ultérieure est justifié dans ce ite désertique où des bâtiments avaient été édifiés, des citernes creusées alimentées par un aqueduc ; ils ont été récupérés, réhabilités et redistribués par les Esséniens lors de leur retrait de Jérusalem. Dire -en revanche- que ces évènements apparaissent directement dans les textes de ces mêmes Esséniens, et découverts sur place stockés dans des jarres scellées, c’est vraiment aller trop loin dans les supputations et faire une trop grande confiance à la tradition orale qui n’aurait pu agir qu’aux conditions exclusives, soit d’une permanence d’occupation dont le contraire est démontré, soit d’une volonté et d’une capacité d’interprétation des traces discrètes par les nouveaux occupants peu soucieux de fouilles curieuses et par leurs scribes dont les préoccupations étaient manifestement trop éloignées de l’esprit critique, historique et archéologique qui est le nôtre.
  • Une troisième période, dite « essénienne » qui va de l’an 150 avant JC à l’an 68 après JC. C’est elle qui nous intéresse au premier chef aujourd’hui. Elle se subdivise en 2 périodes séparées d’un laps de temps de 4 décennies. Détailler les péripéties des découvertes dues à l’instabilité politique et stratégiques moderne de la région nous amènerait à faire de nombreuses digressions ; en établir la critique nous ferait commettre l’inexpiable crime de nous évader du sujet dans de longues paraphrases, d’usurper le métier d’historien et surtout de vous lasser par des cascades d’arguments exégétiques ne pouvant intéresser que des jurys de thèses…
Jesus

Précisément, la thèse du caractère essénien des bâtiments réhabilités et des documents découverts en 1947, soutenue par Dupont-Sommer – à l’époque controversée vivement- est maintenant admise par les savants, mais encore âprement discutée dans certains cercles d’érudits religieux, notamment en ce qui concerne les connexions des Esséniens avec Jean le Baptiste, Jésus le Nazaréen et Jean l’Évangéliste.

Onze grottes ont été fouillées, de nombreux bâtiments communautaires ont été mis à jour et explorés. Les restes de 600 manuscrits, constituant une véritable bibliothèque essénienne ont pu être rassemblés, restaurés, comparés et complétés puis traduits pour la plupart.

Il est possible de la classer grosso modo en 3 sections :

  • La section des textes bibliques représente un quart de cette bibliothèque où l’on trouve notamment une copie presque complète du « livre d’Isaïe » d’un millénaire antérieur à sa plus ancienne transcription hébraïque connue. L’extraordinaire conformité de cette copie avec les copies plus récentes ou même actuelles témoigne de la rigoureuse fidélité des copistes au cours des siècles, ce qui permet de postuler la quasi-similitude des documents découverts avec les documents antérieurs originaux dispersés puis disparus : toutes les indications recopiées sont donc réputées exactes, et les datations modernes s’en trouvent précisées, et les chronologies confortées. Les sources vétérotestamentaires sont ici presque en totalité réunies : tous les livres de la Bible canonique juive sont là, à l’exception du « livre d’Esther », rejeté par les esséniens car dépourvu d’enseignement et portant mention de la fête non reconnue du Pourîm.
  • Un peu moins d’un autre quart de l’ensemble est constitué de livres dit apocryphes par les juifs orthodoxes et par les Catholiques qui les rejettent, et pseudépigraphiques par les paléochrétiens et les Protestants de toutes obédiences qui lui confèrent une valeur d’enseignement de la tradition.

Parmi eux, se trouvent le « livre d’Enoch » et plusieurs livres attribués à Noé, outre le « livre des Géants » incorporé dans le canon manichéen. Il s’agit de textes pour la plupart de style apocalyptique propre à frapper les esprits primaires peu cultivés et épris de merveilleux. Les diverses « apocalypses » sont porteuses d’un message révélé d’espérance pour les temps futurs : contenu eschatologique concernant les « fins dernières ».

  • La moitié de cette bibliothèque est constituée de textes propres aux Esséniens. On trouve : « les Règlement de la guerre des Fils de la Lumière contre les Fils des Ténèbres », des « Hymnes », une « Règle » appelée aussi « Manuel de Discipline » qui décrit la sévère discipline de la Communauté, « l’Écrit de Damas » qui précise l’esprit de la communauté en jetant les bases de sa diffusion exotérique et populaire, et enfin le « Commentaire » destiné à donner aux textes bibliques une interprétation actualisante, ce qui permet à l’auteur de découvrir dans les « prophéties » la prédiction des évènements que vit la secte…Le « Commentaire d’Habacuc » est symptomatique de cette volonté de transpositions de luttes réelles quoique pacifistes du côté essénien en luttes spirituelles (ce qui justifie ce pacifisme parfois suicidaire comme le montre la suite des évènements).

Le cadre archéologique est tracé : remplissons-le d’Histoire !

Vers l’an 150 avant JC, un prêtre sadducéen (d’où vraisemblablement l’appellation « fils de Sadoq » que se donnent les Esséniens) se sent investi par dieu d’une mission de réforme. Il quitte Jérusalem suivi d’un petit nombre de disciples. Il est choqué par les errances des prêtres qui servent le Temple : il fuit le luxe et stupre pour s’en aller se purifier dans le désert, ce lieu où les Anciens subissaient les Épreuves et recevaient la Parole (en hébreu, parole et désert sont 2 mots ne différant que par une voyelle non écrite). Il s’installe dans les ruines abandonnées aux bords désolées de la Mer Morte. Il rédige là une Règle -fort sévère- d’un mysticisme poussé, donnant à la communauté un caractère quasi-monastique.

Ce prêtre, de la famille sacerdotale de Gemül, n’est connu que par les appellations cryptées que lui conférèrent les scribes esséniens ultérieurs : « Maître de Justice », « Messie de l’Esprit », « Dernier Prêtre ». A l’opposé, Jonathan et Simon, prêtres et frères dans la dynastie hasmonéenne, sont nommés « prêtres impies », « vases de violences » à la suite des persécutions qu’ils menèrent contre le « Maître de Justice ».

Ce prêtre meurt vers 110 avant JC. Les Esséniens sont alors un vaste groupe dont certains membres vivent en communauté et d’autres en ermites isolés dans les grottes de la région. Un immense cimetière découvert témoigne de l’effectif de la secte ainsi que de la pratique d’un certain symbolisme : 1100 squelettes étaient disposés tête vers le nord, d’où l’estimation de la présence d’un effectif permanent de 400 personnes un siècle de demi durant. Une partie des occupants migre vers Damas pour y fonder ce qu’on appelle une « Thiase » essénienne. Un autre groupe important, constitué d’anachorètes juifs, nommés « Thérapeutes », s’établit dans la lagune d’Alexandrie aux alentours du las Maréotis.

La première phase de la première occupation essénienne à dominante idéologique s’achève alors. Une deuxième phase marquée par l’afflux pléthorique de candidats et l’appauvrissement concomitant de l’élan mystique se termine en 38 avant JC, lors de l’invasion des Parthes.

De grands travaux de viabilisation avaient été accomplis : creusement de citernes, réseau de canalisations pour l’eau, synagogue, exploitations agricoles, ateliers divers, notamment de potiers, de tisserands, de teinturiers, de forgerons, de cuisiniers ; ce qui modifie profondément la physionomie du site. La pratique religieuse est orientée vers le rigorisme rituel bien connu des Pharisiens, vide de toute spiritualité contre le formalisme matérialiste contre lequel s’élèvera Jésus de Nazareth. Hérode le Grand favorise alors les Esséniens : ils se répandent en Israël, formant des thiases, symposiae ou collegiae, à l’imitation des religions à mystères nées du brassage consécutif aux conquêtes macédoniennes de l’orient. Ils abandonnent presque totalement le site jusqu’à l’an avent JC, moment où les désarrois de ce qui deviendra la Palestine font revenir les anciens habitants accompagnés de jeunes disciples dans leurs monastères.

Les bâtiments ne sont pas réoccupés en totalité et ne sont donc qu’en partie restaurés. L’occupation se poursuivra jusqu’en 68 après JC, date à laquelle le monastère est détruit par la Decima Legio Fretensis car il est réputé être devenu un repère de maquisards ! ! ! Zélotes pénétrés de visions apocalyptiques et d’un anti-romanisme exacerbé et actualisé par l’écrit intitulé « Règle de la guerre des fils de la Lumière contre les fils des Ténèbres ». C’est ce caractère paramilitaire qui explique la totale destruction du site et l’enfouissement des rouleaux manuscrits dans les grottes protectrices du voisinage désertique.

Souvenons-nous de l’épanalepse attribué à Caton l’Ancien vers 150 avant JC : « Carthago delenda est » et de la destruction de la ville jusqu’à répandre du sel sur ses ruines ! Les Romains n’y allaient pas de main morte pour annihiler et effacer tout germe de résistance à leur hégémonie !

La quatrième grande période d’occupation courant de l’an 68 après JC à la fin de ce premier siècle est celle des Romains qui réutilisent la ferme et les champs cultivés et irrigués tout en usant des ruines comme poste de vigie. C’est l’époque à laquelle les Zélotes, après avoir incendié tous les bâtiments à l’exception des réserves de subsistances, se suicidèrent collectivement en se jetant des remparts de la forteresse hérodienne de Masada sur le point d’être investie par la Decima Legio Fretensis ! Equivalent romain des commandos Wagner mercenaires russes en Ukraine et au Mali qui tuent pour terroriser.

L’histoire étant racontée, voyons ce qu’elle nous apporte quant aux textes et personnages.

Les Hymnes, la Règle, l’Écrit de damas montrent que les Esséniens estiment avoir reçu en dépôt la révélation des mystères cachés dans les écritures Saintes. Ces Mystères ont été révélés au « Maître de Justice » qui, à son tour, les a transmis aux membres de la secte. Ils sont donc à la fois élus et initiés, font partie d’un Ordre puisque les mystères ne peuvent être transmis qu’à des individus dès l’origine choisis par Dieu, et communiqués par les supérieurs de la communauté à ceux de ses membres qui se sont soumis à une certaine ascèse, qui ont pratiqué un mode de vie très strict et ritualisé afin d’accomplir un cheminement spirituel les mettant en harmonie avec la Vérité, condition sine qua non de l’avènement glorieux de la Lumière, victorieuse des Ténèbres.

Tous les textes esséniens sont empreints d’un intense dualisme qui tranche avec les écrits contemporains issus d’une orthodoxie plus laxiste. Le plan de Dieu est double : deux Esprits sont en opposition : l’Esprit de Vérité ou Prince de Lumière lutte contre l’Esprit de Perversion ou Ange des Ténèbres. Le Rouleau de la Guerre décrit la fin de ce combat in décis tant que subsisteront des hommes pervers ou non-initiés. Pour hâter cette victoire dont les signes sont annoncés dans certaines Apocalypses, il faut vivre en stricte conformité avec les exigences de la Vertu, pour accéder à la Lumière.

Il n’est que de citer de courts passages des extraits du Manuel de Discipline pour illustrer ces propos :

« Le devoir de l’instructeur est de faire comprendre à tous les fils de la Lumière et de leur enseigner l’histoire de tous les fils de l’homme selon toutes les espèces de leurs esprits, avec les distinctions qu’offrent leurs œuvres dans les générations, ainsi que tous les châtiments qui les frapperaient, ainsi que leurs périodes de récompenses. »

« Il créa l’Homme pour avoir la domination du monde et il a fait pour lui deux esprits afin qu’il puisse être conduit par eux jusqu’au moment fixé de la visite : ce sont les esprits de la Vérité et de l’erreur. »

Outre ce dualisme, les textes esséniens manifestent une espérance messianique très forte. A l’image du Maître de Justice, un envoyé de Dieu se lèvera et mènera le peuple des Élus à la Victoire.

Ce messianisme-aigu si l’on peut dire-car ne concernant que les initiés de la secte, s’adultère en se diffusant dans la population juive qui ne perçoit plus aucune nuance en l’Élu Initié et le Peuple élu de Dieu qu’elle est persuadée d’être depuis des siècles. Cela sera la source de l’échec/succès de Jésus de Nazareth prêchant et crucifié…

Extraits, toujours de ce « Manuel de Discipline », voici quelques éléments de comparaison avec ce que nous sommes amenés à vivre lors de chacune de nos tenues. Si, dans la mesure du raisonnable, nous tenons pour exactes d’abord la proposition « aux mêmes causes suivent les mêmes effets », ensuite sa réciproque « des effets identiques viennent de causes identiques ou d’une cause unique », alors s’ouvrira un grand champ de réflexions quant aux racines lointaines, rhizomes, stolons et marcottes de notre Tradition !

Voici une longue citation :

 « Quand un Homme entre dans l’Alliance pour agir selon tous ces préceptes, pour être uni à la sainte communauté, on examinera son esprit en commun, distinguant entre un homme et son prochain selon son instruction et ses œuvres en ce qui concerne la Loi, ainsi qu’il en est décidé par la majesté d’Israël, ceux qui se sont engagés volontairement à s’unir dans une alliance. Ils seront inscrits dans l’Ordre, l ’un après l’autre, selon l’instruction et les œuvres de chacun afin qu’ils obéissent l’un à l’autre : l’inférieur au supérieur. Et ainsi, chaque année, leur esprit et leurs œuvres seront examinés afin de faire avancer chacun selon son instruction et la perfection de sa conduite, ou de le faire reculer d’après ses fautes de façon qu’ils se réprimandent l’un l’autre dans la Vérité, l’Humilité et la Charité bienveillante du Prochain. Ensemble ils mangeront, ensemble ils prieront, ensemble ils prendront les résolutions pour une existence vertueuse. Partout où se trouveront dix hommes du Conseil de la Communauté, que ne manque pas un prêtre parmi eux.

Chacun selon son rang, ils siègeront devant lui ; et dans cet ordre, ils seront consultés sur toutes choses. Personne ne devra interrompre un discours avant que le frère ait fini de parler. E un homme ne devra pas non plus parler avant que le rang qui lui est assigné par écrit ne lui en ouvre le droit. Celui qu’on interroge parlera à son tour. Et dans la réunion de maîtres l’on ne doit prononcer une parole sans leur assentiment. Et quand l’homme qui est l’inspecteur des maîtres, ou n’importe quel autre a quelque chose à dire aux maîtres, mais n’est pas au rang de qui peut s’adresser au Conseil de la Communauté, il doit se mettre debout et dire « j’ai quelque chose à dire aux maîtres » ; s’ils l’y autorisent, il parlera ». Il paraît utile de citer d’autres dispositions : Les préséances liées à l’ancienneté, aux fonctions et aux vertus ou mérites reconnus.

La période de trois ans de noviciat : l’impétrant est examiné chaque année :

  • Première année : l’impétrant ne touche pas aux nourritures et boissons sacrées des maîtres. Il n’en partage pas non plus les biens.
  • Deuxième année : L’impétrant peut toucher à la nourriture sacrée, ses biens et son salaire sont mis à la disposition du gestionnaire de la communauté, mais inscrits sur un compte spécial. Il ne touche pas à la boisson sacrée.
  • Troisième année : ses biens sont confondus avec ceux de la communauté, il pourra prendre nourritures et boissons sacrées. L’assemblée tiendra compte désormais de ses avis et jugements.

Les punitions font régresser sur cette échelle pour des durées en fonction de la faute, jusqu’à l’exil et le bannissement : mensonge, colère, malédictions, insolences, injures, blasphèmes, calomnies, fraude, rancune, vengeance, vanité, somnolences, sorties inopinées, nudité, crachat, rire stupide et tonitruant, médisances, trahisons, onanismes sont stigmatisés !

L’instructeur n devra ni réprimander les hommes de la fausseté, ni discuter avec eux, car le sens de la Loi doit être caché pour les hommes de l’erreur ; mais il doit enseigner la connaissance de la Vérité et la Justice véritable aux hommes qui ont choisi la Voie ; si chacun selon son esprit, selon les règles prescrites pour le temps afin de les guider dans la connaissance et leur donner ainsi la compréhension des merveilleux mystères et de la Vérité au milieu des hommes et de la communauté, afin qu’ils se conduisent en hommes parfaits.

Si les textes traduits à ce jour sont prolixes sur les règles et les sanctions, la gestuelle, l’hygiène des adeptes, nous ne connaissons pas les didascalies et détails des rituels de l’initiation.

Quelques indices nous sont donnés par Flavius Josèphe qui fit partie de la secte avant que d’être l’auteur ‘un très significatif « Éloge de la trahison ».

Il rapporte que l’initié recevait une hachette à double tranchant en or, dite bipenne, outil symbolique d’origine crétoise, antérieure de 1000ans à l’époque du Christ. Jérôme Carcopino montre le lien de ce symbole avec la Labrys du Labyrinthe de Crète et ses Mystères solaires en lien avec un certain matriarcat où l’utérus était réputé avoir cette forme, ainsi qu’avec les Mystères pythagoriciens. (Il est à noter que cette hache fut nommée de la façon erronée « francisque » par les régimes fascisants modernes dont celui de Vichy pétainiste ! la vraie francisque n’a qu’un côté tranchant).

Une lame représente l’Amour, l’autre la Connaissance. Le judaïsme alexandrin de la Fraternité des Thérapeutes était, selon la notice de Philon d’Alexandrie, lui-même pythagoricien, fortement imprégnée de ces idées. Nous avons vu que les Thérapeutes était une communauté migrante issue des Esséniens au premier siècle avant JC. Ces thérapeutes n’ont jamais été décrits comme schismatiques, apostats ou hérétiques.

Les Esséniens croient que le corps est périssable et prison d’une âme immortelle. Cette doctrine pythagoricienne, où les âmes pieuses migraient vers un séjour de félicité, alors que les âmes pécheresses allaient sous terre dans un lieu de supplices, n’était pas partagée par les Juifs orthodoxes de l’époque.

L’influence dualiste mazdéenne est nette dans « l’Instruction sur les deux Esprits » citée ci-avant.

Sont bien différenciés l’Esprit de Vérité, l’Esprit de perversion, constitutifs du réel et disposés par le Dieu de Connaissance, à l’intention de l’Homme, et pour réunir les conditions de l’exercice ardu de la liberté de choix pour un cheminement vers la Vérité, vers l’indentification au Principe.

Il y a là, outre le germe du manichéisme qui s’épanouira deux siècles et demi plus tard, avec – plus tard encore – les efflorescences bogomiles, cathares et vaudoises ; le germe de l’Évangile de Jean est plus immédiat avec les Templarisme tardif qui le mettra en pratique.

Voilà pour une partie des influences reçues par les Esséniens au cours de leur brève histoire ?

Mais qu’en est-il exactement des influences exercées ou transmises ?

Rien ne permet d’affirmer que Jean le Baptiste était membre de la Communauté essénienne, mais son mouvement et sa prédiction sont tout à fait en phase. Les disciples du Baptiste croient en la venue imminente d’un Messie, un envoyé de Dieu rédempteur ; ils s’y préparent dans l’ascèse du désert et dans la pénitence. Hérode, qui a de l’estime pour Jean, l ‘écoute d’abord, puis prend peur devant cette annonce de l’avènement d’un prince susceptible de le détrôner (avènement déjà connu trente ans plus tôt par l’actualisation des prophéties apocalyptiques de l’époque, et générateur du très exagéré massacre des Innocents !). Jean est supplicié, Salomé obtient sa tête (ici encore peut être établie une connexion avec un rite des Templiers). Jean la Baptiste pratique le baptême par triple immersion ainsi que faisaient les Esséniens. Ce baptême est différencié en sacrement du pardon, et non-plus simplement e ablution purificatrice, lavant des souillures de la faute sans pour cela enlever les causes de la faute ainsi que proclamé dans le baptême christique. A la mort du Baptiste ses disciples rejoignent le Christ.

La prédiction du Christ est très proche de ce messianisme diffus dont il a été déjà question.

Jésus était dit « Le Nazaréen ». Or, le Nazaréen était un grade conféré, chez lez Esséniens, à ceux qui avaient atteint un haut degré de connaissance. Le mot « NAZIR » signifie Maître ou Seigneur.

Les Nazaréens ne devaient pas se couper les cheveux (souvenons-nous de Samson). Jésus est décrit comme ne se coupant ni les cheveux, ni la barbe. (Le mythe moderne de Tarzan cache par une lecture inversée cette notion de seigneurie ou peut-être de primo-généricité de l’aîné d’une tribu).

Les Esséniens prenaient leurs repas en commun…Ils étaient vêtus de lin blanc…et de probité candide ! Ils pénétraient rituellement dans le cénacle. Ces actes et ce décorum sont rapportés dans les textes évangéliques. Mais là aussi le repas rituel devient une commémoration, il est transformé en sacrement par l’affirmation de la trans-subtanciation des espèces. Dieu, d ns le sacrement, agit directement sur le Fidèle.

Exclus ou s’en étant exclus, les Esséniens n’entraient plus dans le Temple. Le vice et le lucre des prêtres sont à l’origine de cet évitement. Or, Jésus chasse les marchands du Temple, dit qu’il faut le détruire, ajoute qu’il le reconstruira en trois jours (L’évangéliste précise qu’il s’agit du

Temple de son corps). Jésus est alors trahi pour une prime de trente deniers d’argent issus du trésor du Temple et qui seront rejetés dans l’enceinte sacrée par Judas Iscariote (le traitre, le sicaire, le zélote) lorsqu’il prendra conscience d’avoir été manipulé.

C’est en tant que prétendant messianique que Pilate, procurateur romain, laisse condamner et exécuter Jésus alors qu’il ne voit en lui qu’un petit agitateur politique, mythomane ou mégalomane, peu différent du Barrabas libéré par la foule leurrée par le spectacle qui lui était fourni, amis de même espèce que les deux prétendus larrons, plus exactement deux maquisards zélotes crucifiés eux aussi.

L’épouse de Pilate n’est pas d’avis de son mari et voudrait gracier celui que le Procurateur livre à la foule en prononçant la fameuse phrase « ECCE HOMO » – voici l’homme – confirmant ainsi ironiquement les paroles du Christ.

L’entourage de Jésus est très mêlé : Pierre armé d’un glaive, Nicomède Pharisien, Joseph d’Arimatie propriétaire terrien, ce n’est pas là la compagnie d’un Essénien pratiquant la règle. C’est sur le Golgotha que le Christ transmet ses pouvoirs et son message à Jean l’Évangéliste. La Chaîne est initiée là, au moment où Jésus désigne Marie comme étant dorénavant la mère de l’Apôtre. La terre tremble, le ciel fulgure, les pierres tombales roulent, le voile du Temple se déchire, les nuées obscurcissent le soleil. Feu, air, terre, eau : tout y est ; les Temps Nouveaux commencent à la manière décrite dans les Apocalypses sur une ouverture dans une nouvelle Lumière. Beaucoup de traits, confirmés par les exégètes prouvent que Jean l’Évangéliste a connu le Christ, et il s’agit d’un texte écrit en grec avec des tournures nettement esséniennes :

La Lumière luit dans les Ténèbres
Les ténèbres ne peuvent l’éteindre
Moi ? Une voix qui crie dans le désert :
Aplanissez le chemin de Yahveh
Ce qui est né de la chair est chair
Ce qui est né du souffle de l’Esprit est Esprit
Ne soit pas étonné si j’ai dit
Il faut naître d’En Haut
Quiconque fait le Mal s’éloigne de la Lumière
Il ne vient pas à la Lumière, ses oeuvres seraient dévoilées
Celui qui fait la Vérité vient à la Lumière
Ses actions se révèlent accomplies en Dieu.

Il faut se garder cependant de faire un parallèle trop étroit entre Jésus et le Maître de Justice.

Il y a des différences essentielles, ne serait-ce que dans le fait que le Maître de Justice n’eût point compris, lui qui se sacrifiait pour les Esséniens, à l’exclusion de tout autre, que quelqu’un, se disant Fils de Dieu, se sacrifiât de cette manière particulièrement avilissante (le pagne, ou sindon, n’étant qu’une pruderie médiévale, le Christ était nu sur le Golgotha), pour l’humanité toute entière, passée, présente et future, incluant juifs orthodoxes, Esséniens, Romains, Fils de la Lumière, Fils des Ténèbres, prostituées et marchands du Temple, Pharisiens, Publicains et Philistins, tous réunis dans le même Amour rédempteur !

L’Évangile de Jean est porteur de ce message d’Amour : il n’y a plus de sacrifices sanglants d’animaux vendus sur les parvis du Temple, plus de prostituées sacrées finançant les travaux du

Temple : le commandement suprême est :

« Aimez-vous les uns les autres ! » répondant étrangement au « Connais-toi toi-même ! »

Il est fait d’une exigence de Connaissance de l’Autre liée à une Connaissance de Soi ; donc cheminement vers la Lumière par destruction à la fois symbolique, métaphorique et réelle des vieilles murailles du Temple et réédification d’un Temple Nouveau pour l’édification d’un Temple Intérieur.

A travers Amour et Connaissance, les deux lames de la hache bipenne, l’Évangile de Jean nous invite à vivre le cheminement vers le dévoilement puis Révélation de l’Être, attitude proprement hellénique face à l’attitude sémitique privilégiant la rencontre avec l’Autre en exclusivité ? En Saint Jean, l’Être se dévoile dans un « Je suis » dit comme Acte d’Amour, d’offrande, de surabondance : non-point PHILÉ, ni EROS, mais AGAPÉ : sujet et objet des Écritures, aux acceptations actives et passives : nous sommes devant le LOGOS qu’il nous faut découvrir afin de fusionner avec lui !

Me voici parvenu au terme de cette planche. J’ai le sentiment de n’avoir qu’effleuré le thème « Initiation des Autres » bien qu’ayant évoqué les prémisses y contenues de notre initiation des temps actuels !

Je pense être sur le chemin grâce à vous tous : je pressens un but mais ne peux le dessiner ou désigner : je ne peux, pour le moment au risque de m’égarer dans cette forêt obscure évoquée par Dante Aligheri ainsi que Francisco Colonna, et comme le remarque René Guénon, que regarder par de brefs coups d’œil latéraux quel est le chemin initiatique emprunté par l’Autre.

Une certitude : les chemins convergent ; chercheurs, cherchants, quêteurs, quêtants, nous avons tous un même but.

Ayant rassemblé les matériaux pour tracer cette planche, j’ai trouvé une floraison de controverses sectaires plus ou moins doucereuses, essayant – chacun pour soi – de ramener adaptées d’admirables vérités et tentant d’excommunier ou d’anathémiser chez d’autres d’effrayantes erreurs. J’ai trouvé aussi d’étonnantes et sirupeuses extrapolations des textes esséniens, des manipulations sournoises, profiteuses et profitables, désamorçant le message d’espoir éteignant l’invitation à œuvrer, pour les orienter dans une inquiétante magie, un dangereux quiétisme où s’observe une recherche mercantile de recettes visant à l’obtention d’une absence de peurs, angoisses, maladies et souffrances…et non-plus l’Harmonie des Hommes avec l’Univers. Je n’ai pas trouvé de documents suffisamment explicites quant à l’initiation essénienne.

Et pour cause !

Car : Trouve-t-on dans les livres maçonniques un document assez explicite sur nos initiations ?

Ce que j’ai pu – en revanche – constater, c’est que notre route maçonnique est dans le prolongement de celle que suivaient les Esséniens, elle-même enracinée dans les Mystères égyptiens, mazdéens, pythagoriciens, où l’on voit avec clarté que l’Homme n’a à attendre son salut que du travail sur lui-même accompli ç la Gloire du Grand architecte de l’Univers !

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Christian Belloc
Christian Bellochttps://scdoccitanie.org
Né en 1948 à Toulouse, il étudie au Lycée Pierre de Fermat, sert dans l’armée en 1968, puis dirige un salon de coiffure et préside le syndicat coiffure 31. Créateur de revues comme Le Tondu et Le Citoyen, il s’engage dans des associations et la CCI de Toulouse, notamment pour le métro. Initié à la Grande Loge de France en 1989, il fonde plusieurs loges et devient Grand Maître du Suprême Conseil en Occitanie. En 2024, il crée l’Institution Maçonnique Universelle, regroupant 260 obédiences, dont il est président mondial. Il est aussi rédacteur en chef des Cahiers de Recherche Maçonnique.

Articles en relation avec ce sujet

Titre du document

DERNIERS ARTICLES