mer 30 avril 2025 - 21:04

Zaïde, Voltaire et Mozart en Avignon : une rencontre intemporelle à l’Opéra Grand Avignon

De notre confrère olyrix.com

l’Opéra Grand Avignon a vibré d’une énergie particulière avec la représentation de Zaïde, l’opéra inachevé de Wolfgang Amadeus Mozart. Sous la direction musicale de Simon Melchior et la mise en scène audacieuse de Louise Vignaud, cette production a su captiver le public avignonnais en tissant un dialogue fascinant entre l’œuvre mozartienne, les idéaux de Voltaire, et la modernité d’une scénographie contemporaine.

Coproduit avec l’Opéra de Rennes et Angers-Nantes Opéra, cet événement, qui s’est prolongé jusqu’au 27 avril, a marqué les esprits par sa capacité à réinventer un fragment musical tout en le reliant à des thématiques universelles. Plongeons dans cette expérience lyrique où le génie de Mozart rencontre l’esprit des Lumières et la sensibilité d’aujourd’hui.

Zaïde : un joyau inachevé, un terrain de création

Composé en 1779, Zaïde est un singspiel – un genre mêlant dialogues parlés et airs chantés – que Mozart n’a jamais achevé. Sans ouverture ni conclusion, l’œuvre est restée un mystère, un éclat brut qui fascine par son intensité dramatique et sa richesse musicale. L’histoire, centrée sur Zaïde, une esclave chrétienne, et Gomatz, un jeune homme captif, explore des thèmes intemporels : la quête de liberté, le pouvoir oppressif, et l’amour face à l’adversité. Dans le contexte de l’époque, ces sujets résonnent avec les idéaux des Lumières, notamment ceux portés par Voltaire, fervent défenseur de la tolérance et de la justice.

Aurélie Jarjaye, Mark van Arsdale, Andrés Cascante et Kaëlig Boché – Zaïde par Louise Vignaud (© DR)

À Avignon, l’équipe artistique a relevé le défi de faire vivre ce fragment. Le compositeur Robin Melchior, chargé de compléter la partition, a opté pour une approche subtile : plutôt que d’imiter servilement Mozart, il a créé des préludes, interludes et un final qui s’intègrent harmonieusement à l’œuvre originale. Ces ajouts, respectueux du style mozartien, apportent une touche contemporaine sans trahir l’esprit du génie viennois. Sous la baguette de Simon Melchior, l’Orchestre National Avignon-Provence a su rendre justice à cette partition hybride, mêlant la grâce classique de Mozart à des accents plus modernes, notamment dans les interludes où des dissonances subtiles évoquent les tourments intérieurs des personnages.

Voltaire et Mozart : un dialogue philosophique et musical

Si Mozart n’a jamais rencontré Voltaire – ce dernier est mort en 1778, un an avant la composition de Zaïde – les deux esprits se rejoignent dans cette production avignonnaise. Voltaire, avec ses écrits comme Candide ou Zadig, a dénoncé l’intolérance, l’esclavage, et les abus de pouvoir, des thèmes qui traversent Zaïde. Louise Vignaud, en collaboration avec la dramaturge Alison Cosson, a choisi de renforcer cette résonance en intégrant des dialogues parlés en français, inspirés par l’esprit des Lumières. Un personnage inédit, Inzel, interprété par la comédienne Charlotte Fermand, agit comme une narratrice espiègle, un clin d’œil à la verve ironique de Voltaire. Inzel s’adresse directement au public, brisant le quatrième mur pour l’inviter à réfléchir sur des questions contemporaines : la peur de l’autre, la quête de liberté, et l’identité.

Dans une scène marquante, Inzel commente l’amour naissant entre Zaïde et Gomatz avec une tirade qui semble tout droit sortie d’un conte philosophique voltairien : « La liberté, mes amis, n’est pas un don du ciel, mais une conquête de l’âme. Voyez ces deux cœurs enchaînés : ils se libèrent par l’amour, mais sauront-ils briser les chaînes du monde ? » Ce dialogue, mêlé aux airs poignants de Mozart, crée un pont entre le XVIIIe siècle et notre époque, rappelant que les combats pour la liberté et la tolérance restent d’une brûlante actualité.

Andrés Cascante, Aurélie Jarjaye, Kaëlig Boché et Mark van Arsdale – Zaïde par Louise Vignaud (© DR)

Une distribution vocale et scénique d’exception

La distribution vocale de cette production est à la hauteur de l’ambition artistique. Aurélie Jarjaye, dans le rôle-titre, incarne une Zaïde à la fois fragile et déterminée. Sa voix, d’une pureté cristalline, excelle dans l’aria « Ruhe sanft, mein holdes Leben » (« Repose doucement, ma douce vie »), où elle exprime un amour tendre et une profonde mélancolie. Face à elle, Kaëlig Boché, en Gomatz, apporte une puissance émotionnelle qui culmine dans son duo avec Zaïde, un moment de grâce où leurs voix s’entrelacent avec une harmonie bouleversante.

Andres Cascante, en Allazim, offre une interprétation nuancée de ce personnage complexe, un esclave fidèle qui oscille entre résignation et espoir. Sa voix de baryton, chaude et profonde, contraste avec celle de Mark Van Arsdale, qui incarne un Soliman autoritaire mais tourmenté. La direction musicale de Simon Melchior met en valeur ces contrastes vocaux, tandis que l’Orchestre National Avignon-Provence excelle dans les passages dramatiques, notamment lorsque Soliman menace de séparer les amants.

La mise en scène de Louise Vignaud est un autre point fort de cette production. Fidèle à sa réputation, la metteuse en scène transforme l’inachèvement de Zaïde en une force créative. La scénographie, épurée mais évocatrice, utilise des jeux de lumière et des décors mobiles pour symboliser les chaînes de l’esclavage et les élans de liberté. Les costumes, conçus par Anne Lombardi et Camille Costantino, mêlent des éléments du XVIIIe siècle (jabots, brocarts) à des touches contemporaines (coupes asymétriques, couleurs sobres), renforçant l’idée d’une œuvre intemporelle. Les éclairages de Vincent Lanteri et les maquillages de Laurence Delarue accentuent l’expressivité des personnages, tandis que les contributions de Claire Rousseaux et Émilie Duclos à la dramaturgie enrichissent le récit.

Une expérience immersive pour le public avignonnais

L’Opéra Grand Avignon, avec cette production, a su créer une expérience immersive qui transcende les siècles. Le personnage d’Inzel, en s’adressant directement au public, instaure une complicité rare dans le monde lyrique. « Vous, qui êtes libres ce soir, saurez-vous entendre le cri de ceux qui ne le sont pas ? » lance-t-elle lors d’une scène clé, provoquant un frisson dans l’assemblée. Cette interaction rappelle la vocation de l’opéra comme miroir de la société, un espace où l’art interroge et émeut.

Le public, venu nombreux pour les représentations des 25 et 27 avril, a été particulièrement sensible à la modernité des thèmes abordés. La quête de liberté de Zaïde et Gomatz résonne avec les enjeux actuels, qu’il s’agisse des migrations forcées, des discriminations, ou des luttes pour l’égalité. Comme l’écrit Louise Vignaud dans le programme : « À travers les aventures de Zaïde et de ses compagnons, nous confirmons que seule l’épreuve de l’étranger est réellement émancipatrice, et que l’on ne peut rêver de liberté sans nous délester de nos préjugés. » Un message qui fait écho à Voltaire, mais aussi à notre époque.

Un héritage vivant : Mozart et Voltaire au service du présent

Cette production de Zaïde à l’Opéra Grand Avignon n’est pas seulement une célébration de Mozart ; elle est une réinvention audacieuse qui donne une nouvelle vie à une œuvre inachevée. En convoquant l’esprit de Voltaire, Louise Vignaud et son équipe rappellent que l’art lyrique est un vecteur de réflexion et d’émotion, capable de transcender les époques. Les ajouts musicaux de Robin Melchior, la direction inspirée de Simon Melchior, et la vision scénique de Louise Vignaud ont transformé ce fragment en un spectacle complet, où la musique, le théâtre, et la philosophie s’entrelacent pour questionner notre humanité.

Cette expérience restera une date mémorable pour les amateurs d’opéra avignonnais. En mêlant le génie de Mozart, la pensée de Voltaire, et une sensibilité contemporaine, cette production de Zaïde a prouvé que l’art lyrique peut être à la fois un hommage au passé et une fenêtre ouverte sur l’avenir. Comme Voltaire l’écrivait dans Zadig : « Il n’y a point de mal dont il ne naisse un bien. » De l’inachèvement de Zaïde est né un chef-d’œuvre théâtral, une ode à la liberté qui résonnera longtemps dans les mémoires.

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