lun 21 avril 2025 - 17:04

Les pyramides oubliées du Soudan : plus nombreuses que celles d’Égypte

Quand on évoque les pyramides, l’image des majestueuses structures de Gizeh, en Égypte, s’impose immédiatement. Pourtant, à quelques centaines de kilomètres au sud, le Soudan abrite un secret archéologique stupéfiant : il compte plus de pyramides que son illustre voisin. Avec environ 255 pyramides nubiennes, contre 138 en Égypte, le royaume de Koush a laissé un héritage monumental, souvent éclipsé par la renommée égyptienne. Cet article vous emmène à la découverte de ces tombes royales, de leur histoire fascinante, de leurs particularités architecturales, et des raisons de leur relative obscurité.

Une civilisation koushite au rayonnement méconnu

Pyramides de Nuri

Les pyramides du Soudan, situées dans la région historique de la Nubie (aujourd’hui le nord du Soudan et le sud de l’Égypte), furent érigées par les souverains du royaume de Koush, une civilisation qui prospéra le long du Nil de 1070 av. J.-C. à 350 apr. J.-C. Trois royaumes koushites se succédèrent : Kerma (2500-1500 av. J.-C.), Napata (1000-300 av. J.-C.) et Meroë (300 av. J.-C.-300 apr. J.-C.). Ces royaumes, profondément influencés par l’Égypte, rivalisèrent avec elle sur les plans culturel, économique et militaire. Au VIIIe siècle av. J.-C., les « pharaons noirs » de la XXVe dynastie, originaires de Napata, dominèrent même l’Égypte pendant près d’un siècle, sous des figures comme Piye et Taharqa.

Contrairement à une idée reçue, ces pyramides ne sont pas l’œuvre d’Égyptiens ayant migré vers le sud. Elles sont l’expression d’une identité koushite unique, mêlant traditions nubiennes et influences égyptiennes. Construites en grès et en granit, elles servaient de tombes aux rois, reines, princes et notables, témoignant de la puissance et de la spiritualité de Koush.

Des pyramides aux caractéristiques uniques

Pyramides d’Égypte

Les pyramides nubiennes, bien que plus nombreuses, diffèrent nettement de leurs cousines égyptiennes. Plus petites, elles mesurent généralement de 6 à 30 mètres de haut, contre 138 mètres pour la moyenne égyptienne (comme la Grande Pyramide de Khéops, culminant à 147 mètres). Leur angle d’inclinaison est aussi plus prononcé, environ 70°, contre 40 à 50° pour les pyramides égyptiennes, leur donnant une silhouette élancée et pointue. Cette différence s’explique par des techniques de construction adaptées, notamment l’usage du chadouf, une grue à contrepoids limitant la largeur de la base.

Pyramides de Méroé au Soudan – Patrimoine mondial de l’UNESCO.

Chaque pyramide nubienne était flanquée d’une chapelle funéraire à l’est, ornée de stèles et de tables d’offrandes gravées de scènes alimentaires. Lors des rites, on y versait des libations d’eau, de vin ou de lait, destinées à régénérer le défunt dans l’au-delà. Les chambres funéraires, situées sous la pyramide et non à l’intérieur comme en Égypte, contenaient des momies parées d’or et de bijoux, placées dans des sarcophages de bois. Les fouilles des XIXe et XXe siècles ont révélé des trésors : arcs, flèches, harnais de chevaux, poteries, verreries colorées et objets attestant d’un commerce florissant avec l’Égypte et le monde hellénistique.

Un trait distinctif est l’élargissement du droit à la pyramide. À Meroë, la nécropole se divise en trois zones : le nord pour les royaumes royaux, le sud pour des dignitaires variés, et l’ouest pour des non-souverains. Cette démocratisation contraste avec l’Égypte, où les pyramides étaient presque exclusivement réservées aux pharaons.

Trois sites emblématiques

Les pyramides nubiennes se concentrent sur trois sites majeurs, tous inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO :

  1. El-Kurru : Première nécropole royale, utilisée dès 751 av. J.-C., elle abrite les tombes des rois Kachta, Piye, Chabaka, Chabataka et Tanoutamon, ainsi que celles de quatorze reines. Située près de Napata, elle marque le début de la tradition pyramidale koushite.
  2. Nuri : À 26 km d’El-Kurru, cette nécropole, active de 670 à 310 av. J.-C., compte 21 tombes de rois et 52 de reines et princes. La plus grande pyramide, celle de Taharqa (160-180 pieds de haut), imite le tombeau d’Osiris, soulignant l’influence égyptienne. Certaines tombes, inondées par la montée des eaux souterraines, nécessitent des fouilles sous-marines.
  3. Meroë : Le site le plus spectaculaire, situé à 220 km au nord de Khartoum, regroupe environ 200 pyramides réparties en trois nécropoles (nord, sud, ouest). Construites entre le IVe siècle av. J.-C. et le IVe siècle apr. J.-C., elles sont décorées de gravures d’éléphants, de girafes et de gazelles, rappelant un passé où la région était une savane fertile. Meroë, dernière capitale koushite, fut un centre culturel et commercial majeur.

Un quatrième site, Jebel Barkal, abrite 25 pyramides près d’une mesa sacrée, centre religieux de Napata. Ces sites, bien que moins grandioses que Gizeh, offrent une expérience unique : loin des foules touristiques, ils se dressent dans un silence majestueux, entourés de dunes dorées.

Pourquoi si peu de renommée ?

Si les pyramides nubiennes surpassent en nombre celles d’Égypte, pourquoi restent-elles si peu connues ? Plusieurs facteurs expliquent cette obscurité :

  • Échelle et ancienneté : Les pyramides égyptiennes, construites dès 2700 av. J.-C., sont plus anciennes et monumentales. La Grande Pyramide de Khéops, plus grande structure humaine pendant des millénaires, éclipse les modestes pyramides nubiennes, érigées à partir de 700 av. J.-C. Leur taille et leur complexité technique captivent davantage l’imaginaire collectif.
  • Accessibilité et tourisme : Les pyramides de Gizeh, près du Caire, attirent des millions de visiteurs (9,3 millions en 2015). En revanche, les sites nubiens, situés dans des zones désertiques reculées, manquent d’infrastructures touristiques. Le Soudan, marqué par deux guerres civiles (1956-1972, 1983-2005), l’indépendance du Sud-Soudan en 2011, et des troubles politiques (coup d’État de 2021), reste peu sûr pour les voyageurs. En 2023, le pays accueillait moins de 15 000 touristes par an, contre des centaines de milliers dans les années 1980.
  • Pillage et dégradation : Les pyramides nubiennes ont souffert de pillages, notamment par l’Italien Giuseppe Ferlini, qui dynamita une quarantaine de tombes à Meroë dans les années 1830, cherchant de l’or. Ses découvertes, vendues aux musées de Munich et Berlin, furent initialement dédaignées, car on doutait qu’une civilisation subsaharienne puisse produire des bijoux aussi raffinés. Les tempêtes de sable et la désertification menacent également ces sites, ensevelissant certains monuments.
  • Narratif historique : L’égyptologie, discipline dominante, a longtemps relégué la Nubie à un rôle secondaire, perçue comme une simple imitatrice de l’Égypte. Les manuels scolaires et la culture populaire, amplifiés par des films comme Indiana Jones, ont glorifié les pharaons égyptiens, occultant les « pharaons noirs » koushites. Sous le régime d’Omar al-Bashir (1989-2019), l’histoire préislamique du Soudan fut négligée au profit d’une idéologie religieuse.

Un héritage à redécouvrir

Pyramides de Méroé au Soudan

Malgré ces obstacles, les pyramides nubiennes gagnent en visibilité. Depuis la chute d’al-Bashir en 2019, le Soudan cherche à valoriser son patrimoine. Des fouilles, menées par des équipes de l’Université Humboldt de Berlin ou de l’Institut archéologique allemand, révèlent la richesse de Meroë, où le script méroïtique, encore indéchiffré, intrigue les chercheurs. Les gravures des tombes, où les rois dominent les dieux, et l’émergence des kandakes (reines guerrières comme Amanirenas, qui défia Rome en 27 av. J.-C.), témoignent d’une culture audacieuse, fière de son identité.

Ces pyramides ne sont pas de pâles copies égyptiennes. Elles incarnent l’aspiration des Koushites à se poser en héritiers des grands pharaons, comme Sésostris III ou Ramsès II, à une époque où l’Égypte, affaiblie par des invasions, perdait son éclat. En adoptant le modèle pyramidal, abandonné par les Égyptiens depuis le Nouvel Empire, les Koushites affirmaient leur légitimité, tout en y insufflant leurs propres croyances, comme le culte du dieu-lion Apedemak.

Une invitation au voyage et à la réflexion

Quand la situation politique le permettra, visiter les pyramides nubiennes offre une expérience unique : camper sous les étoiles, face à des tombes intactes, sans l’agitation des sites égyptiens. À Meroë, les dunes dorées encadrent des silhouettes pointues, gravées d’animaux disparus. À Nuri, le tombeau de Taharqa, partiellement submergé, fascine les archéologues-plongeurs. À Jebel Barkal, la mesa sacrée veille sur un paysage intemporel.

Ces monuments rappellent que l’Afrique, bien avant les stéréotypes coloniaux, abritait des civilisations brillantes. Ils invitent à repenser notre vision de l’histoire, où la Nubie, loin d’être une périphérie, fut un centre de pouvoir et de culture. Comme le souligne une nouvelle vague de fierté nationale au Soudan, la Nubie a façonné l’Afrique comme la Grèce a marqué l’Europe. En redécouvrant ces pyramides, nous honorons non seulement les Koushites, mais aussi une humanité plurielle, où chaque pierre raconte une histoire d’ambition, de foi et d’éternité.

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Pierre d’Allergida
Pierre d’Allergida
Pierre d'Allergida, dont l'adhésion à la Franc-Maçonnerie remonte au début des années 1970, a occupé toutes les fonctions au sein de sa Respectable Loge Initialement attiré par les idéaux de fraternité, de liberté et d'égalité, il est aussi reconnu pour avoir modernisé les pratiques rituelles et encouragé le dialogue interconfessionnel. Il pratique le Rite Écossais Ancien et Accepté et en a gravi tous les degrés.

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