mar 21 janvier 2025 - 11:01

Un café maçonnique à Paris

C’est à Paris qu’aurait été ouverte la première maison célébrant une boisson venue de Turquie : le café. Quelques siècles après, le café d’aujourd’hui, lieu de réflexion solitaire pour une pause méditative dans sa journée, lieu d’attente de l’être aimé, comme dans les Fragments du discours amoureux qui hantèrent notre jeune âge adulte, est resté lieu de discussions, d’échanges, lieu de sociabilité où les rencontres se font et se défont, où les idées se croisent.

quand la maçonnerie prend le café…

Le café philosophique est venu, il y a quelques décennies, installer la discussion et les échanges dans les salles du fond. Mais souvenons-nous que les francs-maçons avaient inauguré cette formule en tenant leurs premières réunions maçonniques dans les arrière-salles d’auberge, où s’installaient leurs rencontres éphémères qui ne s’appelaient pas encore « tenues ». L’idée d’un café maçonnique est donc une idée ancienne mais, chose curieuse, à part quelques expériences sans suite, il n’y avait pas de café maçonnique à Paris.

Le café maçonnique vu par l’IA : des hommes, des hommes, des hommes et question ambiance c’est un peu guindé… Quant à la déco, elle ne brille pas par sa discrétion…

Je fais ici une distinction entre, d’une part, les rencontres organisées par des obédiences et, d’autre part, l’idée d’un café inter-obédientiel, lieu de rencontres et de partage d’expériences et de ressentis divers ; non pas bien sûr que j’oppose l’un ou l’autre ou que j’imagine une hiérarchie entre ces deux modalités : elles ont des buts et des économies différentes ; et vive la diversité !

Toujours est-il qu’un frère de grande expérience, Bernard, s’est mis en tête de relever ce défi : créer à Paris un espace de parole, ouvert aux francs-maçons de différentes obédiences et également aux profanes et ce, une fois par mois. Bernard fit, pour cela, un pèlerinage dans la bonne ville de Lyon où un café maçonnique existe depuis plus de 15 ans et avec grand bonheur. Le grand avantage de notre frère Bernard c’est d’être un passionné de la chose maçonnique : il appartient à plusieurs loges d’obédiences différentes, il visite un nombre important de Loges plusieurs fois par mois, parfois par semaine et partage son temps et sa passion avec toutes les obédiences présentes sur la place de Paris, au gré de ses inspirations, privilégiant avant toute chose la rencontre humaine. La grande difficulté pour lui dans Paris intramuros a été de trouver un local convivial, l’idée de Bernard étant que personne n’irait dans un café maçonnique au-delà du périphérique. Pari gagné, puisqu’il finit par trouver un local en sous-sol, dans une belle cave voutée du 18° siècle (et du 5° arrondissement), à deux pas de Notre-Dame et de la Fontaine St-Michel, c’est tout dire !

Poussons la porte du café maçonnique de Paris…

Comment se passent les séances ? Il y a eu pour l’instant trois réunions assez différentes les unes des autres. Pour la première, la cave était bondée et aucun thème n’avait été prévu par le maître de céans ; c’était plus une présentation du projet, une discussion à bâtons rompus. Mais l’envie d’échanger permit que d’emblée le dialogue s’engage entre les différents présents, essentiellement des francs-maçons, avec toutefois deux ou trois non-maçons, nullement intimidés d’ailleurs. La réunion suivante fut plus restreinte en nombre de participants. Pour cette deuxième rencontre, un thème avait été prévu et envoyé aux intéressés quelques jours auparavant ; l’intelligence artificielle. Enfin troisième rendez-vous avec une affluence plus grande et deux thèmes proposés aux visiteurs, sur la place du sacré dans nos sociétés sécularisées, et une question sur le but de la franc-maçonnerie : changer le monde ou changer les individus ?

“Après le café maçonnique…” Pour l’IA, qui dit Paris dit Tour Eiffel… Mais le mot-clé Paris apporte déjà un peu de fantaisie et nous propose des portraits de francs-maçons d’aujourd’hui très crédibles !

Alors, quels ressentis dégager de ces trois réunions si différentes ? Personnellement, je craignais beaucoup le thème sur l’intelligence artificielle et l’effet « café du Commerce » qu’un tel thème peut engendrer, avec des points de vue nourris soit par une technophobie irrépressible et passéiste, ou, à l’inverse, une technophilie enthousiaste et fébrile. Le tout vaguement appuyé sur des « on-dit-que » ou « j’ai-entendu-dire par-un-spécialiste ». En fait, le débat était très intéressant, nourri des échanges entre de jeunes maçons, porteurs d’expériences professionnelles réelles sur le sujet. J’avoue que ces paroles, d’un public jeune, m’ont beaucoup séduit et j’ai retrouvé dans les échanges une liberté de ton réelle, détachée des postures que l’on prête habituellement à telle ou telle obédience, et que l’on retrouve parfois chez les francs-maçons aguerris (moi le premier, je le confesse volontiers). J’y ai vu un espace de dialogue réel, nourri de valeurs maçonniques transversales sur des sujets que, par ailleurs, je ne traite pas dans ma loge qui ne s’intéresse qu’aux sujets symboliques. C’était ni mieux ni moins bien, mais différent, différent également des fraternelles que je fréquente et où les échanges, entre frères et sœurs qui possèdent déjà un long parcours maçonnique, sont plus codifiés.

Bien entendu, la bonne circulation de la parole n’empêche pas certains ajustements. L’enthousiasme conduit parfois certains participants vers des jugements à l’emporte-pièce sur telle ou telle intervention et les positions se raidissent très vite ; il faut une bonne dose de tolérance pour abandonner le conflit stérile et lui préférer une joute constructive, même et surtout si tout le monde ne possède pas le même avis ; on retrouve d’ailleurs ce type de nécessaires accommodations dans tout débat, qu’il concerne des francs-maçons ou pas. La présence apaisante de notre frère organisateur a pour conséquence de lisser souvent quelques éclats un peu coupants, et il faudra quelques sessions pour que les tensions s’apaisent et que le groupe, qui voit se créer de session en session un noyau dur d’habitués, trouve un centre de gravité. Un groupe qui vit, se construit dans l’harmonie, mais également sur une dimension agonistique, de combat, d’échanges parfois rudes ; il faut trouver le bon état d’équilibre entre le trop et le trop peu.

L’IA nous propose ici un savant contre-jour avec un discret symbole posé sur la table. Chose étonnante, les francs-maçons ne boivent que des boissons chaudes, ce qui dénote le manque de connaissance de l’IA des habitudes du maçon…

Le café maçonnique explore en tout cas, des types d’échanges qui ne sont pas éloignés de l’art de la conversation, tel qu’il se pratiquait au 18° siècle, et que même l’austère Kant a célébré : « le plaisir de la conversation n’est certainement pas la chose la moins importante1 ». Si l’on voulait pousser le bouchon philosophique un peu plus loin, pourquoi ne pas convoquer ici d’autres philosophes comme Apel et Habermas et leur proposition d’une discussion exigeante, entre humains libres, qui n’exige de personne l’adoption d’un système de normes universel, sans pour autant se conclure par la recherche d’un consensus à tout prix. La recherche mérite sans doute d’être un peu poussée dans ses retranchements de ce côté-ci, j’y reviendrais sans doute un jour, convaincu que « de la discussion jaillit la lumière » alors que du consensus mou ne jaillissent que de la bête soumission, ou de la soumission bête ; ce que mon maître Daniel Béresniak avait déjà, en son temps, montré du doigt.

D’autres thématiques ont été abordées, je les ai déjà évoquées, lors des réunions suivantes, comme la place du sacré dans nos sociétés ou le rôle de la franc-maçonnerie dans la société d’aujourd’hui. Sur ce genre de questions, l’apport des non-maçons est plus qu’intéressant, il apporte une vision différente et surtout nous renvoie, en tant que francs-maçons, à une image exigeante de nous-mêmes, que nous avons parfois du mal à assumer. Et pourtant, nos textes ne prévoient-ils pas, tous, d’améliorer la condition humaine, voire de réaliser « la concorde universelle » ? Ces textes sont-ils à revoir à la baisse pour adapter la franc-maçonnerie d’aujourd’hui à un projet plus pragmatique, voire utilitariste ? Ou bien oserons-nous assumer d’être porteurs d’utopie, peut-être d’en être les derniers ? Nos différents catéchismes et enseignements sont-ils dépassés par une sorte de principe de réalité, ou sont-ils, plus que jamais des textes d’avant-garde ? La question reste ouverte, mais la façon dont je la pose devrait vous permettre de voir de quel côté mon cœur balance…

Et les non-maçons dans tout ça ?

“Les francs-maçons rencontrent un impétrant”, vu par l’IA.

Bien entendu les trois ou quatre “non-maçons” présents à chaque réunion sont vite entourés et les propositions d’intégrer une loge, ou en tout cas d’aller plus loin, fusent. Les non-maçons qui fréquentent le café maçonnique de Paris n’auront, à mon avis, que l’embarras du choix pour commencer un parcours, si tel est leur désir. Une solution qui en vaut largement d’autres : ne vaut-il pas mieux rencontrer physiquement des maçons, plutôt que de cliquer sur Internet ?

Journal avec Quoi de neuf en 1ère page

D’ores et déjà, quelques habitués constituent un petit noyau qui aime à se retrouver ; la clochette qui annonce le début de la réflexion est le signal du début des échanges, autour d’une simple boisson que chacun chacune s’engage à prendre pour financer le restaurateur qui fournit le local (au passage je me dois de signaler que le vin blanc en carafe est excellent, avec modération bien entendu !). Il suffit maintenant au café maçonnique de Paris de trouver ses marques, proposer des thèmes, s’installer dans la durée ; tout en veillant à laisser l’espace de liberté individuelle qui permette à chacun d’avoir envie de s’exprimer et de le faire dans l’idée d’une belle co-construction.

Finissons en beauté sur la conversation, en écoutant ce qu’en disait le sociologue américain Goffman pour la définir : “cet engagement spontané et conjoint est une unio mystica, une transe socialisée […] c’est un îlot de dépendances et de loyauté, avec ses héros et ses traîtres . » Une « transe socialisée », une « unio mystica », je vois là deux belles définitions de la franc-maçonnerie !

Pour tout renseignement sur les dates, l’adresse et les modalités fines :
cafemaconparis@gmx.frGroupe Facebook

  1. Cité par Alain Milon, L’art de la conversation, 1999, PUF. ↩︎

6 Commentaires

  1. N’est-ce pas simplement pour déjouer ce genre d’attitude que l’on a créé la triangulation de la parole ?
    Il ne faut pas chercher ailleurs ce que l’on trouve chez soi, je veux dire en loge. La franc-maçonnerie n’existe que lorsque le temple est à couvert, c’est à dire “sacré”, et après l’ouverture des travaux. En dehors c’est le monde profane avec toutes ses mauvaises habitudes contre lesquelles, justement, nous allons en loge. Enfin c’est mon avis.

    • J’ai mis à la fin de l’article un mel qui est celui de l’organisateur. Personnellement je n’ai pas Facebook non plus.

  2. Comme je l’ai dit j’ai assisté aux trois réunions et j’ai vu des débats un peu vifs (c’était d’ailleurs plutôt à la troisième session qu’à la première). “Insultes ordurières”, le terme me parait un peu excessif (mais je n’ai peut-être pas tout entendu). De fait, tout débat mérite d’être mené dans le calme et la sérénité, c’est bien dans cet esprit que la café maçonnique entend œuvrer, me semble-t-il.

  3. En effet, ce genre de comportement n’est pas digne d’un Franc Maçon, et j’espère que le Maître des lieux lui aura interdit toutes présences aux futurs réunions…ce genre de personnage devrait faire l’objet d’une radiation …
    Fraternelles salutations

  4. Ayant assisté à la première réunion et ayant constaté qu’un jeune frère ( sic) s’est permis d’en insulter un autre dans des termes orduriers , j’ai décidé de ne plus y participer.
    Quand on tolère ce genre d’attitude, cela discrédite toute l’institution.

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Didier Ozil
Didier Ozil
Initié en 1992 à l'OITAR, Didier Ozil devient Grand Maître territorial d'Ile de France puis Grand Maître Général de l’OITAR de 2013 à 2015. Il ne possède plus aucune fonction actuellement. Après avoir été réalisateur, notamment de télévision, il décide de reprendre des études; elles débouchent, en 2024, sur un Doctorat en Etudes Culturelles de l'université Montpellier 3. Il appartient à la loge de l'OITAR n° 133, Le Rameau d'Or.

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