Centre de Prague, Place Wenceslas
Arrivés à Prague, le chauffeur les déposa au centre de la ville avant de s’occuper de l’intendance à l’Hôtel Cube où avait été réservé leur séjour.
Leur visite avait été annoncée au Conservateur du Musée aussitôt qu’ils avaient eu connaissance de l’exposition qui devait avoir lieu maintenant dans deux jours. Rendez-vous avait été pris pour après déjeuner.
La place Wenceslas où ils arrivèrent, est entourée de bâtiments historiques, de magasins, de restaurants et de cafés. Une imposante statue équestre de Vencesla, le saint patron de la République tchèque, due au célèbre sculpteur tchèque Josef Václav Myslbek, y tient l’espace central.
Comme pour surseoir encore un peu à cette visite, nos trois amis choisirent de déjeuner au café Prokoff, une brasserie semblable «aux tavernes bavaroises avec ses massives pièces de viandes rôties, arrosées de bières amères et légères». En guise de dépaysement culinaire, chacun y choisit un plat traditionnel différent : Alexander une kulajda polévka, une soupe épaisse à base de champignons, de pommes de terre, et de crème, parfumée à l’aneth et garnie d’œufs de caille ; Guido la svíčková, un bœuf mijoté aux légumes, nappé d’une sauce crémeuse aux légumes à base de carottes, de céleri-rave et de racine de persil accompagnée de crème fouettée d’airelles et servie avec des quenelles, et Archibald un ragoût d’agneau à base d’oignon rouge, d’ail et de paprika accompagné de choucroute crue. Ils avaient envisagé de partager ces mets afin que chacun puisse en découvrir les saveurs.
Ils s’étaient assis à une table ronde, de telle sorte qu’ils aient toute latitude pour voir, à travers la baie vitrée, le Musée national, de l’autre côté de la place.
Le bâtiment imposant, flanqué de deux ailes majestueuses, avec ses trois dômes recouvert de cuivre patiné lui donnant un air d’opéra, présente une façade impressionnante d’équilibre construite en grès rougeâtre lui conférant une teinte chaude et vibrante. C’est une ode à la néo-renaissance. Le fronton central est orné d’une sculpture allégorique représentant la Bohême entourée de figures symbolisant les arts et les sciences, Une grande rosace vitrée surmonte le porche. La façade est rythmée par de nombreuses pilastres et colonnes engagées, qui s’élancent sur toute la hauteur Les fenêtres cintrées reflétaient le ciel, tandis que le dôme central, surmonté d’une allégorie en bronze doré de la Renommée – une femme ailée, vêtue d’une tunique et tenant une trompette dans sa main droite – brillait sous les rayons du soleil.
Vers la fin du repas, Alexander se leva soudainement, bousculant un peu la table, pour s’approcher de la vitre comme pour mieux voir à l’extérieur et se tournant vers ses amis leur dit en excuse de son attitude éruptive :
– Je dois être complétement obnubilé, j’ai cru apercevoir la silhouette d’Hircine Enhardir, vous savez le galeriste, mais je ne le vois plus, il a disparu. Ce doit être une berlue due au Milan Nestarec que nous avons bu. Dans le fond, j’ai hâte que nous allions vers le mystère de cette exposition.
Aussitôt dit, aussitôt fait et le trio de se diriger vers le Musée pour y retrouver l’experte déléguée par le conservateur qui devait les accueillir devant la porte du personnel, sur le côté du Musée.
Effectivement, elle était là et, se présente en leur tendant la main, sa voix douce, imprégnée d’une séduction délibérée.
– Amélie Delacroix. Et si vous me demandez si… Oui. Je porte le nom de famille emblématique du célèbre peintre Eugène Delacroix, mon lien avec le grand artiste remonte à plusieurs générations, j’en suis une de ses descendants directs. J’espère que vous avez fait un bon voyage jusqu’à Prague, enchaîna-t-elle rapidement, mettant fin à cette confidence qui n’en n’était pas vraiment une.
En effet, au fil des ans, la famille Delacroix a préservé et célébré l’héritage artistique d’Eugène, transmettant une passion commune pour l’art, la créativité et l’esthétique à travers les générations. Les récits de l’artiste talentueux, de son époque romantique et de ses contributions emblématiques à l’histoire de l’art ont été chéris comme des trésors familiaux.
Amélie, élevée dans un environnement imprégné d’admiration pour la créativité et la vision artistique, a développé une profonde appréciation pour l’art et la culture. Et c’est tout naturellement qu’elle débuta son parcours à Harvard, où elle obtint un diplôme de licence en histoire de l’art puis, avec ses études au Courtauld Institute of Art de Londres, un master en histoire de l’art, se spécialisant davantage dans la période de la Renaissance. Elle choisit de perfectionner ses compétences en muséologie à l’École du Louvre, acquérant une expertise pratique dans la gestion et la conservation des œuvres d’art. Enfin, son travail de thèse de doctorat à l’Accademia di Belle Arti di Brera de Milan, devint une contribution significative sur la Renaissance, et de là sa réputation reconnue depuis trois ans en tant qu’experte internationale même si nos amis n’avaient appris son existence que par les journaux.
Mais quelle ne fut leur surprise ! Les deux quadragénaires semblaient fascinés, l’aîné Archibald pensant en lui-même
– Redoutable !
Amélie Delacroix, la trentaine épanouie, incarne l’essence de la beauté classique et intemporelle. Sa chevelure d’ébène encadre délicatement un visage aux traits délicats, illuminé par des yeux verts pétillant d’intelligence. Sa démarche gracieuse et assurée révèle une confiance en elle qui attire instantanément l’attention de tous ceux qui croisent son chemin. Séduisante sans effort, Amélie possède cette aura magnétique qui intrigue et ensorcelle. Son sourire éclatant et son regard d’émeraude la rendent envoûtante.
Elle porte un tailleur qui allie à la perfection sophistication et modernité. Le tissu de son ensemble est d’une qualité exceptionnelle, doux au toucher pensa Alexander, et sa couleur, un nuance de gris perle, met en valeur la finesse de sa silhouette. La veste cintrée, portée à même la peau, arbore des lignes épurées qui soulignent la grâce de ses épaules, son échancrure ajoute une touche de sensualité subtile à son look. Les manches trois-quarts, dévoilent subtilement ses poignets délicats ornés d’une discrète montre Cartier, la Tank couronnée de fins diamants. Le pantalon du tailleur, coupe droite et fluide, allonge sa silhouette avec une élégance décontractée. La taille haute met en valeur sa finesse naturelle, marquant subtilement la courbure de ses hanches. Des escarpins gris foncé, aux semelles rouges, soulignent la courbe de ses mollets, la finesse de ses chevilles, donnant à sa démarche encore plus de sensualité s’il en était besoin.
S’adressant d’abord à Guido Lhermitt elle lui tend gracieusement sa main sur laquelle il se penche, sans l’effleurer, pour un baisemain délicat tout en lui disant
– Ravi de vous rencontrer Madame.
Avec un air malicieux mais charmant, Amélie lui fit comprendre qu’il avait bien été annoncé.
– Monsieur Lhermitt, Commissaire divisionnaire de la police internationale Interpol, alors comme cela l’exposition intéresse vos services?
À son tour, Alexander tout en se penchant sur sa main se présente en faisant le séducteur avec un sourire que Salaï aurait pu avoir pour enjôler Léonard de Vinci.
– Alexander Van de Meïr pour vous admirer Madame.
Archibald ne fut pas en reste et tout aussi élégamment, mais en claquant discrètement les talons et avec un peu plus de raideur du dos s’annonça plus sobrement.
– Archibald Winston, Comte de Kerval.
– Bienvenue Messieurs. Le conservateur du musée m’a demandé de vous ouvrir tous les accès aux préparatifs. Un motif précis ? Et sans attendre la réponse elle continua.
– Venez messieurs, je vous conduis à l’entrepôt où les œuvres attendent que soit achevés l’installation de la salle qui va les accueillir et, surtout, les contrôles des mesures de sécurité. Et disant cela elle leur adressa un délicieux sourire d’un air entendu, tout en invitant le petit groupe à la suivre.
Dans le sillage du parfum Aromatics élixir que portait leur guide, Alexander s’enhardit à parler le premier.
– Au-delà de l’exploit d’avoir obtenu que ces œuvres soient prêtées au National de Prague par des différents musées, quel intérêt particulier avez-vous eu en réunissant Michel-Ange, Botticelli, Bronzino et Albrecht Dürer ? Demanda Archibald.
– Le défi que je me suis donné de pouvoir le faire tout simplement répondit Amélie en levant ses deux mains devant elle en supination, comme pour souligner cette évidence.
– Le vrai défi n’est-il pas leur sécurité ? demanda Guido, très professionnel, mais avec une intonation légèrement plus douce et plus basse que la normale.
– Pour le moment, l’entrepôt est gardé de jour par des hommes en armes et la nuit par des alarmes sophistiquées. Mais nous, nous allons pouvoir y entrer.
Respectueusement, les gardes s’écartent de la porte, reconnaissant l’organisatrice qui tape le code de passe sur le boîtier de côté. C’est comme réunir les deux moitiés d’un symbolon qui permet l’évaluation, la reconnaissance et la validation de la confiance.
Les œuvres, soigneusement déballées et stockées dans l’entrepôt, attendent patiemment d’être révélées au public lors de l’exposition à venir. Leur juxtaposition dans cet espace provisoire crée un supra-tableau de la diversité artistique de la Renaissance, montrant la variété de styles, de sujets et de compétences qui ont prospéré à cette époque. Chaque œuvre représente un chef-d’œuvre à part entière, témoignant du génie artistique de son créateur.
Les trois visiteurs, chacun avec ses propres sensibilités, partagent un moment d’émerveillement, d’extase ou plutôt d’instase silencieuse, face à la richesse et à la diversité des œuvres présentes.
Chaque tableau offre une expérience unique, créant un dialogue visuel de grâce, de beauté, de virtuosité picturale qui transcende les époques et suscite une profonde admiration pour le talent de ces artistes.
Amélie non sans fierté les présente, insistant sur leur provenance pour marquer son mérite d’avoir pu les réunir.
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Portrait de jeune homme par Sandro Botticelli, une tempera sur bois de 1483, prêtée par le Louvre de Paris
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La madone Bardi di San Spirito probablement de 1485, également de Botticelli, en provenance de la Galerie des Offices de Florence.
– C’est la Vierge Marie qui est peinte faisant le signe, tenant l’Enfant Jésus sur ses genoux semblant l’esquisser également avec sa menotte droite nota silencieusement Alexander.
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– Et juste à côté le tableau du même artiste et sur le même thème, poursuivit Amélie Delacroix, La Madone de l’Eucharistie peint vers 1470 de la fondation Amélie Stewart Gardner Museum de Boston. Remarquez l’enfant qui semble bénir de sa main celui qui le regarde.
– Et comment nous observons, mais charmante madame, ce n’est pas une position de la main pour une bénédiction pensa si fort Alexander qu’il en eut peur de l’avoir dit à haute voix.
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– Portrait d’un jeune homme, peinture à l’huile sur bois, de Bronzino exécutée vers 1530-1540, prêté par le Métropolitain Musée d’Art de New York.
Après une légère pause, Amélie enchaîna.
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– Enfin, ces deux tableaux exceptionnels d’Albrecht Dürer, voici L’Autoportrait à la fourrure, sur panneau de bois, daté de 1500, prêté par l’Alte Pinakothek de Munich
et La fête du rosaire de 1506, un de ses chefs d’œuvre les plus précieux synthétisant toutes les techniques italiennes de la Renaissance sur un panneau de bois. C’est l’Empereur Rudolf II qui l’a ramené à Prague depuis l’église dominicaine de Francfort, en 1606. Il nous est prêté par la Galerie nationale, ici à Prague, connu sous le nom de Veletržní palác, dans le quartier de Holešovice où il est exposé habituellement dans le bâtiment principal. Vous remarquerez le jeu de doigts sur le luth tenu par l’ange au premier plan. Il joue la musique des anges et la joie du paradis célébrant l’amour divin et la beauté spirituelle de la Vierge Marie.
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Les trois hommes l’avaient bien évidemment remarqué silencieusement, mais pas seulement. Il y avait, outre la posture des doigts de l’ange jouant du luth au premier plan, le maintien de l’équerre par le probable architecte du comptoir des marchands allemands de Venise, Hieronymus d’Augsbourg, sur l’extrême-droite du tableau, qui n’avaient pas manqué de les intéresser.
Se tournant résolument vers Guido, elle redemanda candidement.
– Me diriez-vous quel est le motif précis votre visite?
Alexander et Archibald se taisent, tournant leur regard vers Guido, lui laissant le soin de répondre ce qui convenait de dire.
Après un instant de réflexion Guido se contenta de dire :
– Nous n’avons rien à vous cacher, chère madame. Nous sommes missionnés par l’instance internationale Interpol pour prévenir plusieurs musées de possibles vols imminents d’œuvres de la Renaissance. Le musée de Prague est l’un de ceux-là du fait de votre exposition.
– Aaah ! Ne sut que dire la belle Amélie à la fois étonnée, inquiète et contrariée, laissant échapper un imperceptible froncement des sourcils et un furtif pincement de ses lèvres.
Archibald, qui fut témoin de cette réaction y trouva quelque chose qui le gêna, se promit d’en parler à ses amis qui, pour le moment, étaient subjugués tout autant par cette exposition exclusive que par son organisatrice.
Prétextant le rendez-vous avec le conservateur qui les attendait dans l’heure, le comte suggéra à ses amis de prendre rapidement congé de cette charmeuse personne, lui promettant de la retrouver le lendemain.
C’est très chaleureusement que le conservateur les accueillit dans son bureau allant même jusqu’à étreindre, par une affectueuse accolade, Archibald et Guido qui fit les présentations.
– Jakub voici notre ami Alexander Van de Meïr. Alexander voici Jakub Novák, notre conservateur, mieux notre archiviste.
Alexander compris par le mot « notre » qu’il s’agissait de M.
Après s’être amicalement échangé des nouvelles, Lord Archibald l’alerta à nouveau du danger probable entourant l’exposition non sans évoquer l’hypothèse qu’il viendrait de « Savonarole ».
– J’y veillerai. Ce n’est pas la première fois que je suis confronté à cette organisation. Rappelle-toi, il y a sept ans, je t’avais prévenu d’une tentative de vol de la partie des archives qui m’avait été confiée. Seulement quelques documents avaient été soustraits. J’avais dû alors mettre les archives en lieu plus sûr.
L’après midi était avancé quand ils se séparèrent après leurs discussions où furent rapportés les derniers événements, envisageant de déjeuner ensemble le lendemain.
Le chauffeur les attendait de l’autre côté de la place, mais au moment de monter dans la voiture, Alexander se rétracta.
– Partez sans moi, je vous retrouverais à l’Hôtel Cube et si je ne suis pas de retour à l’heure du dîner, ne m’attendez pas.
Et sans explication, mais en fallait-il une, il rebroussa chemin et retourna vers le musée, espérant qu’Amélie n’était pas encore partie.