mer 05 février 2025 - 16:02

La Franc-maçonnerie en Syrie : Une histoire riche et complexe

La chute rapide du régime politique d’Assad est une occasion pour rappeler la place qu’occupa la Franc-maçonnerie dans ce pays. L’avenir de ce pays est aujourd’hui incertain. Il est tout à fait souhaitable que des principes démocratiques puissent enfin instaurer une paix durable, aspiration de tout individu. La Franc-maçonnerie a toujours représenté pour les régimes politiques religieux ou totalitaires un espace de discussion profondément suspect. Souhaitons que les principes représentés par cette tradition puissent éclairer ceux qui auront en charge de rebâtir ce pays.

Contexte historique et géographique

La Syrie, située au carrefour de l’Asie, de l’Europe et de l’Afrique, possède une histoire millénaire marquée par des civilisations anciennes telles que les Araméens, les Grecs, les Romains, et les Byzantins. Sous domination ottomane pendant des siècles, le pays devint un territoire sous mandat français de 1920 à 1946 après la Première Guerre mondiale. Ces influences culturelles et politiques multiples ont façonné une société diversifiée, offrant un terreau fertile pour l’émergence de mouvements intellectuels et sociaux tels que la franc-maçonnerie. Celle-ci a connu en Syrie une histoire riche et complexe, marquée par des périodes de croissance et de déclin, influencées par les contextes politiques et sociaux du pays.

Origines et développement sous l’Empire ottoman

  • Fin du XIXᵉ siècle : La franc-maçonnerie s’implante en Syrie à la fin du XIXᵉ siècle, attirant réformateurs et opposants au régime ottoman. Ces loges deviennent des lieux de réflexion et de débat pour les élites locales où se croisent les idéaux des Lumières et les aspirations nationalistes. Par exemple, la loge « Le Liban », fondée à Beyrouth, devient un point central de ces mouvements réformateurs. À cette époque, les obédiences françaises et égyptiennes partagent majoritairement le contrôle des loges syriennes​

Période du Mandat français (1920-1946) : Âge d’or et tensions

  • 1920-1946 : Sous le Mandat français, la franc-maçonnerie syrienne connaît une expansion notable. Les obédiences françaises, notamment le Grand Orient de France et la Grande Loge de France, exercent une influence significative. Elles établissent plusieurs loges dans des villes clés comme Damas, Alep et Hama impliquant des membres de diverses communautés religieuses et ethniques. Cette période marque un âge d’or, avec une participation croissante de Syriens attirés par les idéaux républicains de la France. Toutefois, ces loges deviennent également des outils de promotion des intérêts français dans la région. Les loges syriennes jouent un rôle ambigu : d’une part, elles soutiennent le mandat français en occupant des postes administratifs stratégiques ; d’autre part, elles deviennent un lieu de mobilisation nationaliste. Par exemple, des figures politiques telles que Saadallah al-Jabri et Ibrahim Hananu, membres de loges maçonniques, utilisent leur position pour défendre l’idée d’une Syrie indépendante.
  • Années 1920 : La franc-maçonnerie atteint son apogée en Syrie, avec la participation de grandes familles et de membres du clergé orthodoxe et musulman dans des loges pluriethniques.
  • À partir de 1925 – Déclin et tensions internes : La répression de la Grande Révolte syrienne et la politique autoritaire des Hauts-Commissaires français provoquent un désenchantement croissant envers les obédiences françaises. De nombreuses loges locales se détachent, fondant des obédiences indépendantes telles que le Grand Orient de Syrie. Ces nouvelles entités cherchent à concilier coopération avec la France et affirmation de l’identité syrienne, tout en s’opposant à l’influence cléricale et coloniale.

Après l’indépendance (post-1946) – L’influence des loges étrangères

peinture égyptienne
décoration égyptienne

La concurrence entre obédiences françaises, égyptiennes et anglo-saxonnes s’intensifie. La Grande Loge d’Égypte, en particulier, attire des maçons syriens en mettant en avant son soutien à l’indépendance. Par exemple, la création de l’atelier Ibrahim al-Khalil à Damas sous la garantie de la Grande Loge de New York montre comment les obédiences étrangères profitent des tensions locales pour élargir leur influence​

  • 1947 : La création de l’État d’Israël entraîne une méfiance accrue envers la franc-maçonnerie dans la région, souvent perçue, à tort, comme liée au sionisme. Cette suspicion conduit à une diminution de l’activité maçonnique en Syrie.
  • 1965 : La franc-maçonnerie est officiellement interdite en Syrie. Cependant, son héritage subsiste dans les récits historiques et les réseaux maçonniques de la diaspora syrienne. Ces derniers continuent de jouer un rôle discret mais significatif, en particulier au sein des communautés expatriées au Moyen-Orient et en Occident.

En guise de conclusion…

Au regard de la situation politique très récente en Syrie, marquée par des conflits prolongés, une fragmentation sociale et des défis démocratiques, l’avenir de la franc-maçonnerie dans ce pays demeure incertain. Historiquement, la franc-maçonnerie a prospéré dans des contextes où les idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité pouvaient s’exprimer dans un cadre démocratique stable. Cependant, les bouleversements récents et l’autoritarisme ambiant ont laissé peu de place à de tels espaces de réflexion et de partage.

Dimensions de la tablette assyrienne en écriture cunéiforme contenant des fragments de l’épopée de Gilgamesh.

Si la franc-maçonnerie devait réapparaître en Syrie, elle pourrait à nouveau jouer un rôle essentiel dans la reconstruction d’un tissu social fondé sur le dialogue et la tolérance. Néanmoins, une telle résurgence ne sera possible que dans un contexte de stabilité politique et de renouveau démocratique. À ce jour, nul ne peut prédire si ce chemin sera emprunté, mais l’histoire riche et complexe de la franc-maçonnerie syrienne reste un témoignage de sa capacité à s’adapter aux défis des époques qu’elle traverse.


Personnalités de la franc-maçonnerie syrienne

(Sources – Wikipedia)

Youssef al-Hakim

Né en 1879 à Lattaquié et décédé en 1979 à Damas, grec orthodoxe est un juriste et ministre syrien.

Youssef al-Hakim est initié en 1911 à la loge Kadisha à l’Orient de Tripoli (Liban), sous juridiction de la Grande Loge d’Écosse, il en devient le vénérable maître. Il fréquente la loge Al Mizhab à Tripoli avant de rejoindre la loge « Syrie » de Damas sous juridiction du Grand Orient de France, dont il deviendra également vénérable maître.

De 1933 à 1935, il occupe la chaire de vénérable de la loge Orient et Occident.

Il gravit ainsi tous les échelons du Rite écossais ancien et accepté ; de maître en 1911, il s’élève dans la hiérarchie maçonnique jusqu’à l’ultime grade de souverain grand inspecteur général. Il atteint ainsi le 33e et dernier degré du Rite Ecossais Ancien et Accepté.

Abd al-Rahman al-Kayyali

Médecin syrien de la ville d’Alep et membre du mouvement nationaliste syrien, ministre de la Justice durant deux mandats.

Initié à la loge Kayssoun de Damas sous juridiction de la Grande Loge de France, il a été en 1936, vénérable maitre de la loge « Renaissance » à l’Orient d’Alep (Syrie) puis en 1937 il est élu grand maître du Grand Orient de Syrie.

Hanna Malek

Né le 28 octobre 1900 à Rachaya el-Wadi (Bekaa, en Syrie à l’époque), décédé le 5 novembre 1991 à Damas, avocat, magistrat juge en première instance du tribunal des causes étrangères à Damas et secrétaire général de la présidence du Conseil syrien.

Il est initié le 8 avril 1924 dans la Loge Syrie à Damas, passe compagnon le 9 décembre 1924, et maître le 31 décembre 1927. Il devient officier de la Grande Loge de Syrie, et est élu grand maître avec le plus haut grade du Rite écossais ancien et accepté.

Raouf Al Ayoubi

Né en 1883 et mort en 1957 à Damas en Syrie, est un haut fonctionnaire de l’Empire ottoman, en poste dans plusieurs villes palestiniennes, puis à Hama durant la Première Guerre mondiale. Il est ministre de l’Intérieur lors de la Grande révolte syrienne.

Raouf Al-Ayoubi est membre de la franc-maçonnerie dans une loge composée de personnalités politiques syriennes telles que Haqqi al-Azm, le Premier ministre du début des années trente, et Saeed al-Ghazi, Premier ministre au milieu des années cinquante.

Le Grand Orient de France lui délivre le 18 décembre 1922 un certificat attestant qu’il est l’un des membres fondateurs de la Loge Syrie créée un an plus tôt à Damas. Toutefois, il est à noter que son nom n’apparait pas dans le document d’origine listant les membres fondateurs de cette loge.

Hassan al-Hakim

Né en 1886 et mort le 18 ou le 30 mars 1982, est un militant du mouvement nationaliste syrien de Damas, responsable du gouvernement pendant la Seconde Guerre mondiale et au milieu des années 1950.

Il a été initié dans la loge Kayssoun de Damas sous juridiction de la Grande Loge de France. 33e du Rite écossais ancien et accepté, il devient en 1939 grand maitre adjoint de la Grande Loge syrienne.

Jamil el-Oulchi

Né le 17 janvier 1883 à Damas (Empire ottoman) et mort le 25 mars 1951 dans la même ville, est un homme d’État syrien, président de la République (du 17 au 25 mars 1943) pendant l’ère du mandat français en Syrie.

Il est initié en franc-maçonnerie au début du XXe siècle à la loge Kayssoun No 506 à Damas sous juridiction de la Grande Loge de France.

Said Al-Ghazzi

Né le 11 juin 1893 à Damas et mort dans la même ville le 18 septembre 1967 est un avocat et homme politique, deux fois premier ministre et ministre des affaires étrangères de Syrie. Il fait partie des élites ottomanes.

Membre de la franc-maçonnerie comme une grande partie de l’élite syrienne au pouvoir au XXe siècle, Il est initié le 30 mars 1923 au sein de la loge « Syrie » à Damas, sous juridiction du Grand Orient de France ; dans la même année il participe au collège des officiers et devient vénérable maître de la loge en 1927. Il évolue également dans les hauts grades maçonniques, ou il est reçu Chevalier Kadosh, 30e degré du Rite écossais ancien et accepté. Il est élu grand maitre adjoint de la Grande Loge provinciale de Syrie sous juridiction du Grand Orient d’Égypte en 1938.


Bibliographie

Costir, Henri, et Del Rosano, Maria. Annuaire général de la franc-maçonnerie française. La Libre Parole, Paris, 1933.

Millet, Thierry. La Franc-maçonnerie en Syrie sous l’administration française (1920-1946) : Attraits et rejets du modèle français. In Cahiers de la Méditerranée, 72 | 2006. Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine. Disponible en ligne. DOI : 10.4000/cdlm.1178.

Anonyme. À l’Orient de la Grande Mosquée des Omeyyades : La Franc-maçonnerie à Damas (1868-1965). Document PDF consulté. Publication d’étude détaillant l’évolution historique et sociopolitique de la franc-maçonnerie en Syrie, particulièrement sous l’administration ottomane et mandataire.

Ligou, Daniel. Dictionnaire universel de la Franc-maçonnerie. Éditions de Navarre et du Prisme, Paris, 1974. Référence générale pour comprendre les loges et obédiences actives au Levant.

Robinard, Joëlle. La Franc-maçonnerie et la colonisation sous la IIIe République, 1904 à 1936. Thèse d’histoire, Université d’Aix-en-Provence, 1971.

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Jean-Louis de Biasi
Jean-Louis de Biasihttps://fr.debiasi.org/
Jean-Louis de Biasi est un auteur, conférencier et philosophe. Auteur publié en plusieurs langues notamment en anglais, conférencier, il enseigne la philosophie, la spiritualité, les traditions anciennes et diverses formes de yoga. Initié franc-maçon en 1990, il est actuellement membre de la GLUA. Avant de rejoindre la maçonnerie canadienne et américaine, il a été à l’origine de la réactivation et l’organisation de la maçonnerie égyptienne au sein du GODF. Il est spécialisé dans les traditions anciennes et rituels à travers le monde. Il a reçu tous les degrés de la Franc-maçonnerie égyptienne, écossaise et autres divers hauts degrés. Il a aussi reçu les 32 degrés du rite écossais américain à Washington DC et l'Arche royale au Canada. Il développe actuellement le projet d’un Musée International de la Franc-maçonnerie dans le Sud-Ouest de la France que vous pouvez découvrir à l’adresse : www.mifm.org

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