dim 09 mars 2025 - 15:03

Alain Bauer condamné à 12 mois de prison avec sursis et une amende de 375 000 euros

Paris, 5 mars 2025 – Alain Bauer, criminologue médiatique et ancien Grand Maître du Grand Orient de France (GODF), a été condamné ce mercredi 5 mars 2025 par le tribunal correctionnel de Paris à 12 mois de prison avec sursis, une amende de 375 000 euros – le maximum prévu par la loi pour ce délit – et une exclusion des marchés publics pendant trois ans. Cette peine, prononcée pour recel de favoritisme, fait suite à une affaire de contrats jugés douteux, passés avec la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), au titre desquels deux anciens dirigeants, Augustin de Romanet et Jean-Pierre Jouyet, ont également été poursuivis et sanctionnés.

Selon cette décision pénale de première instance, sont ainsi condamnés un système de réseaux et des jeux d’influences où régnerait un entre-soi empreint de complaisance, jetant une ombre trouble sur la carrière spectaculaire d’Alain Bauer et, par ricochet, sur une franc-maçonnerie dont il fut autrefois un haut dignitaire.

Une affaire qui sent le guide gastronomique au prix fort

L’histoire débute en novembre 2014, lorsque Mediapart publie une enquête explosive révélant des contrats suspects entre la CDC et les sociétés d’Alain Bauer, AB Conseil et AB Associates. Selon Franceinfo (5 mars 2025), ces contrats, conclus sans mise en concurrence ni publicité, s’élèvent à 925 000 euros hors taxes : 650 000 euros sous la direction d’Augustin de Romanet (2007-2012) et 275 000 euros sous celle de Jean-Pierre Jouyet (2012-2014). À cela s’ajoutent 333 596 euros facturés entre 2010 et 2011 pour des guides gastronomiques Champérard, commandés par Romanet (qui se trouve être accessoirement le beau-frère, en secondes noces, de Bruno Lemaire, alors ministre des Finances), pour les offrir aux agents de la CDC et à des élus. Détail savoureux ou cerise sur le gâteau : Bauer était actionnaire à 50 pour cent de la société les commercialisant.

Source Google Actualités

Le Parquet national financier (PNF), saisi après l’article de Mediapart, met au jour un schéma troublant. Les prestations de Bauer, décrites comme de « conseil et d’assistance en sûreté et en préparation de gestion de crise », se limitent souvent à des échanges oraux, sans traces écrites consistantes. La Cour des comptes, citée par Sud Ouest (5 mars 2025), qualifie ces services d’« incertains, à l’utilité contestable et onéreux ». Pour le tribunal, pas de doute : ces contrats relèvent d’un favoritisme flagrant, orchestré par Romanet et Jouyet, dont Bauer a été le bénéficiaire direct.

Romanet, actuel PDG d’Aéroports de Paris (ADP), écope de 8 mois de prison avec sursis et 200 000 euros d’amende, tandis que Jouyet, ancien secrétaire général de l’Élysée sous la présidence de François Hollande, s’en tire avec une amende de 30 000 euros. Tous deux sont relaxés du chef de détournement de fonds publics, mais le mal est fait. « Plus de 300 000 euros pour des guides gastronomiques et des conseils qu’on ne peut même pas lire, c’est un peu cher payé pour une leçon de goût », raille un observateur relayé par BFMTV (5 mars 2025).

Le Profil flamboyant d’Alain Bauer

Alain Bauer

Alain Bauer, né en 1962, est une figure publique bien connue dans le monde de la sécurité en France et à l’étranger. Il a servi en tant que Grand Maître du Grand Orient de France, la plus grande obédience maçonnique du pays, de 2000 à 2003. Son mandat a été marqué par une volonté de rendre la Franc-Maçonnerie plus visible et influente dans le débat public, cherchant à établir des ponts entre la fraternité et la société civile.

Bauer a poursuivi une carrière académique et consultative, comme professeur au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et comme conseiller auprès de nombreuses institutions publiques et privées sur des questions de sécurité et de criminologie.

Du GODF aux plateaux télé, une ascension fulgurante…

Rue Cadet à Paris siège du GODF
Rue Cadet à Paris siège du GODF

Alain Bauer est un homme aux multiples casquettes. Ce fils d’une famille juive ayant fuit les pogroms d’Europe de l’Est se fait connaître, dès les années 1980, comme un expert en sécurité, qu’il demeurera; Il deviendra même un éminent criminologue, alors même qu’il ne dispose à l’origine d’aucun diplôme dans cette spécialité, ce qui ne lui ôte aucun mérite et devrait même l’accroître sur la foi du talent qui lui est reconnu. Proche de Michel Rocard et du Parti socialiste, il conseille les gouvernements de gauche avant de se rapprocher de Nicolas Sarkozy dans les années 2000, devenant une figure familière des plateaux de LCI et de CNews. Mais son fait d’armes le plus notable reste son passage au sommet du GODF, la plus grande obédience maçonnique française, qu’il préside, de 2000 à 2003.

À 38 ans, Bauer devient le plus jeune Grand Maître de l’histoire du GODF, une institution forte de 50 000 membres et d’une influence sociale et culturelle indéniable. Selon Le Figaro (27 mai 2024), il modernise l’obédience, ouvrant ses débats à des sujets comme la laïcité ou la sécurité, domaines où il excelle. « Réformateur ambitieux », écrit le quotidien, mais aussi controversé : certains frères lui reprochent un style trop médiatique et des liens trop étroits avec le pouvoir. Innovation.lileauxenfants.com (11 novembre 2024) le décrit comme un « conseiller des puissants », un homme dont les réseaux s’étendent des loges aux ministères.

Après son mandat, Bauer capitalise sur cette aura. Il multiplie les contrats de conseil – avec la CDC, mais aussi ADP ou des collectivités publiques – et fait paraître de nombreux ouvrages, dont récemment La Conquête de l’Ouest (Fayard, 2025), salué par Le Figaro (22 janvier 2025) comme une analyse lucide des crises occidentales.

La franc-maçonnerie dans l’œil du cyclone ?

Alain Bauer

L’affaire Bauer pose une question lancinante : en quoi et, le cas échéant, à quel degré le GODF serait-il susceptible d’être éclaboussé ? Historiquement, la franc-maçonnerie française et le GODF, en particulier, incarnent un idéal humaniste, forgé au XVIIIe siècle dans le mouvement des Lumières. Mais elle a aussi gagné, dans une partie de l’opinion, une réputation sulfureuse, certes alimentée par quelques scandales mais surtout par des siècles de fantasmes sur son influence occulte. Sudinfo.be (4 mars 2025) rapporte que les loges bruxelloises, proches du GODF, luttent encore contre une vague de fake news sur les réseaux sociaux, où elles sont accusées de tout et de n’importe quoi : du contrôle des banques aux embouteillages en ville… Jean-Philippe Schreiber, historien à l’ULB, y déplore « un écho particulier donné aux fantasmes » – un écho que l’affaire Bauer risque d’amplifier.

Sur X, les réactions fusent :

@fr_infox parle d’un « symbole de la dérive des élites », tandis que

@LaCapitale_be ironise : « Le criminologue finit criminel ». Pourtant, le GODF se défend de tout lien direct. « Bauer n’agissait pas en tant que maçon, mais en tant que consultant privé », insiste un membre anonyme cité par Paris Normandie (18 mars 2024). Une distinction technique qui peinera à convaincre dans les sphères complotistes. Car voir un ancien Grand Maître condamné pour des faits aussi triviaux que des guides gastronomiques surfacturés a de quoi alimenter les clichés les plus éculés.

Nicolas Penin, Grand Maître actuel du GODF depuis août 2024 (20 Minutes, 23 août 2024), reste silencieux pour l’instant. Son prédécesseur, Guillaume Trichard, avait plaidé pour une « démystification » de la franc-maçonnerie lors d’une conférence à Arcachon (Sud Ouest, 26 novembre 2024). Cette affaire ne facilitera pas sa tâche.

Un procès sous tension et une défense bancale

Le procès, qui s’est tenu entre mai et juin 2024 avant un renvoi au 25 novembre en raison de l’état de santé d’un avocat (Challenges, 11 décembre 2024), a révélé des défenses fragiles. Bauer, absent à l’audience comme ses co-accusés, a clamé son innocence. « J’ai fourni des analyses stratégiques, pas juste des guides », aurait-il argué, selon L’Humanité (20 mars 2024). Une ligne contredite par le PNF, qui pointe l’absence de preuves tangibles de ces prestations. Le président de la 32e chambre, cité par Le Figaro (5 mars 2025), a fustigé « la désinvolture » de Bauer, justifiant la sévérité de la peine par un « risque de récidive ».

Jouyet Jean-Pierre

Romanet et Jouyet, eux, ont minimisé leur responsabilité. Romanet, condamné en 2020 pour recel de violation du secret de l’instruction dans cette même affaire (Le Figaro, 28 septembre 2023), a plaidé l’intérêt de la CDC. Jouyet, fort de son passé à l’Autorité des marchés financiers et à l’Élysée, a invoqué un « positionnement plus sain », selon le PNF (Le Monde, 2 décembre 2024). Peine perdue : le tribunal a vu dans leurs décisions une entente illicite avec Bauer.

Répercussions politiques et sociales

L’affaire ne manque pas de sel politique. Bauer, d’abord proche des cercles socialistes, puis ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, lui aussi passablement malmené par la Justice ces temps-ci, Bauer incarne une passerelle entre gauche et droite qui dérange. Insolentiae.com (4 mars 2024) le qualifie de « manipulateur peu crédible », tandis que L’Humanité voit dans ce scandale une illustration des « dérives du capitalisme de connivence ». Sur la toile, les internautes s’en donnent à cœur joie :

@BobMerle3 demande à Darius Rochebin (LCI) de cesser d’inviter « le délinquant Bauer », tandis que @LanceurI tonne : « #TousPourris ».

Pour la CDC, institution censée incarner la rigueur financière de l’État, le coup est rude. Laurent Vigier, ex-PDG de CDC International, écope lui aussi de 6 mois avec sursis et 30 000 euros d’amende, élargissant le cercle des responsables. Les avocats de la défense, dont Me Jean-Marc Fédida pour Romanet, ont annoncé un appel, dénonçant une « justice spectacle » (Ouest-France, 5 mars 2025).

Un aperçu des liens entre réseaux et pouvoir

Micro BFM posé par terre
Micro BFM posé par terre

Au-delà des condamnations, cette affaire interroge sur les mécanismes du pouvoir en France. Bauer, avec ses réseaux maçonniques, politiques et médiatiques, symbolise une élite où la compétence s’allie parfois à la complaisance voire à la connivence. Les 925 000 euros de contrats et les 333 596 euros de guides Champérard ne se réduisent pas à une simple anecdote : ils révèlent un système où l’absence de transparence non seulement prospère mais assure à certains une belle prospérité. « C’est le réseau qui parle, pas la compétence », résume un magistrat anonyme sur BFMTV… ou, en tout cas, la compétence démontrée.

Pour la Franc-maçonnerie, le défi n’est pas facile à relever : dissocier son idéal humaniste des éventuels errements d’une de ses figures les plus emblématiques et ce, dans un climat où abondent les fake news – comme à Bruxelles, où les loges luttent contre des rumeurs absurdes (Sudinfo.be). Pourquoi nous limitons-nous à n’évoquer que d’éventuels errements ? Tout bonnement parce que, tant qu’une décision de justice n’est pas définitive, tout justiciable doit être considéré comme innocent et… traité comme tel. Nous souhaitions le souligner, à rebours de tous les procès qui se déchaînent, non point tant dans les prétoires que dans l’opinion publique. Ce n’est pas seulement un danger pour chacun d’entre nous, mais plus globalement pour la République et ses mécanismes de régulation où la Justice doit continuer d’occuper une fonction centrale.

Sources :

  • Le Monde, « Soupçons de favoritisme : un an requis contre Romanet », 2 décembre 2024.
  • Franceinfo, « Caisse des Dépôts : Jouyet, Romanet et Bauer condamnés », 5 mars 2025.
  • Sud Ouest, « Caisse des Dépôts : Jouyet et Romanet condamnés pour des contrats avec Bauer », 5 mars 2025.
  • BFMTV, « Favoritisme et recel : Bauer et deux ex-dirigeants condamnés », 5 mars 2025.
  • Le Figaro, « Bauer, Romanet et Jouyet condamnés », 5 mars 2025 ; « Si la chute de la natalité se poursuit… », 22 janvier 2025.
  • L’Humanité, « Ce qu’il faut savoir avant le procès de Bauer », 20 mars 2024.
  • Sudinfo.be, « La franc-maçonnerie bruxelloise menacée par les fake news », 4 mars 2025.

Rebondissement dramatique de la même affaire :

4 Commentaires

  1. Alain Bréant se trompe énormément .
    Alain Bauer est toujours un très éminent membre du GODF.
    Il est à la Loge INTERSECTION, il est toujours Vème Ordre du Grand Chapitre Général des Hauts Grades dirigé depuis bientôt 10 ans par son grand ami Philippe Guglielmi dont il fut le successeur
    Les observateurs avisés attendront les réactions du Conseil de l’Ordre du GODF tandis que la Justice maçonnique compulse fébrilement sa Jurisprudence .
    Nul doute que le GM actuel qui a participé en tant que Garde des Sceaux à la pantalonnade de la traduction de Daniel Keller en justice maçonnique en juin 24 ne se précipite pour traduire en Justice maçonnique le frère Alain Bauer

  2. L’article laisse entendre qu’Alain Bauer pourrait être innocenté. Pourquoi pas mais en attendant un jugement définitif, ne serait il pas logique qu’Alain Bauer se mette ( ou soit mis) en retrait du GODF. Ne pas le faire pourrait être compris comme une collusion.

    • Comme Alain Bauer a démissionné du GODF, en 2005 le conseil de l’ordre n’aura pas à prendre de position officielle et Alain Bauer continuera à être identifié comme le plus médiatique des francs-maçons français !

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Charles-Albert Delatour
Charles-Albert Delatour
Ancien consultant dans le domaine de la santé, Charles-Albert Delatour, reconnu pour sa bienveillance et son dévouement envers les autres, exerce aujourd’hui en tant que cadre de santé au sein d'un grand hôpital régional. Passionné par l'histoire des organisations secrètes, il est juriste de formation et titulaire d’un Master en droit de l'Université de Bordeaux. Il a été initié dans une grande obédience il y a plus de trente ans et maçonne aujourd'hui au Rite Français philosophique, dernier Rite Français né au Grand Orient de France.

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