Mais que diable, le rapprochement de la franc maçonnerie et de l’hypnose vient faire dans nos réflexions ?
Il se trouve que la maçonnerie, qui puise au XVII siècle bon nombre de ses racines, avait déjà intégré les ressources de l’alchimie, avec par exemple Elie Ashmole. Ainsi, la référence à la quête de la pierre philosophale et au vitriol peut “parler” à tout maçon.
De ce terreau ressortent les représentants de la médecine magnétique du XVIIe siècle, qui se présentent comme un courant de sagesse médicale, et qui ont, pour la plupart, subi l’ascendant des pères fondateurs du courant de la magie naturelle, tels que le médecin suisse Paracelse, Marsile Ficin, Roger Bacon. Ceux qui ont parcouru les cahiers d’Oxford connaissent bien le lien entre franc-maçonnerie et la Royal Society.
Mais l’hypnose dans tout cela ?
On situe les débuts de l’histoire de l’hypnose en France au XVIIIe siècle, où en 1778, Franz Anton Mesmer, initié à la franc-maçonnerie en Autriche, introduit le concept de magnétisme animal en France, marquant le début de l’hypnose moderne. Franz-Anton Mesmer, qui publie en 1766 à Vienne “De l’influence des planètes sur le corps humain”, fut fortement influencé par les théories sur le magnétisme de ses prédécesseurs du XVIIe siècle.
Dans son livre, Mesmer s’inspire également des écrits du médecin anglais Richard Mead, et selon Frank A. Pattie, l’un de ses biographes, Mesmer aurait plagié une partie de son travail.
La diffusion de la FM et du magnétisme animal au XVIIIe siècle
Richard Mead (1673 – 1754), que nous venons d’évoquer, était un médecin britannique lui-même franc-maçon. Il est connu pour ses contributions importantes à la médecine, notamment son travail sur les maladies pestilentielles. Mead faisait partie d’un cercle savant composé de personnalités éminentes, incluant Benjamin Franklin, Martin Folkes, et Edward Gibbon, tous francs-maçons notoires. Ce réseau intellectuel était probablement lié à la franc-maçonnerie, qui jouait un rôle important dans la diffusion des savoirs et la formation de l’opinion publique internationale au XVIIIe siècle.
La Franc-maçonnerie de l’époque constituait un réseau transnational significatif, se développant rapidement en Europe, en Amérique, en Asie, en Océanie et en Afrique dès les années 1720-1730. Elle représentait un prototype fondateur de l’espace public international, facilitant l’échange d’idées et de connaissances entre ses membres.
L’appartenance de Mead à la franc-maçonnerie s’inscrit donc dans le contexte plus large de la circulation des savoirs et de la formation d’une communauté intellectuelle internationale au siècle des Lumières.
Pour en revenir à Mesmer, ses théories sur le magnétisme animal et ses méthodes de traitement ont suscité la méfiance et la controverse, en partie à cause de leur nature mystérieuse et des réactions spectaculaires qu’elles provoquaient chez ses patients.
Ainsi, les séances de Mesmer impliquaient souvent des réactions physiques intenses chez ses patients : des “crises” convulsives considérées comme thérapeutiques, des patients agités de mouvements violents dans la « salle des crises » ou « l’enfer des convulsions », des scènes de transe et d’extase effrayantes pour certains observateurs. Ces manifestations, incomprises à l’époque, ont pu être associées à des phénomènes diaboliques par certains critiques.
Bien que Mesmer lui-même cherchât à rationaliser des phénomènes jusqu’alors inexpliqués, ses théories ont souvent été assimilées à d’autres courants occultistes qui ont traversé la franc-maçonnerie, comme ceux de Cagliostro et le comte de Saint-Germain (relisons Gérard de Nerval).
Dans le sillage de Mesmer, on trouve le somnambulisme et les sociétés harmoniques. En 1784, le marquis de Puységur, lui-même franc-maçon, découvre le somnambulisme, une forme d’hypnose plus profonde que le magnétisme mesmérien. Cette découverte a eu un impact significatif puisque Puységur fonde en 1785 la Société Harmonique des Amis Réunis à Strasbourg. Suite à la découverte du somnambulisme par le marquis de Puységur, de nombreuses loges ont adopté des pratiques d’induction d’états de transe hypnotique…
Louis-Claude de Saint-Martin, ami de Puységur, devient l’émissaire du somnambulisme dans les milieux maçonniques. Des sociétés harmoniques sont créées par les maçons pour étudier et pratiquer ces techniques.
Influence sur les pratiques maçonniques
L’intégration de ces pratiques dans la franc-maçonnerie a conduit à une transformation ésotérique de la médecine de Mesmer. Les symboles alchimiques et les interprétations mystiques ont pénétré ces échanges, mêlant catholicisme à d’autres spiritualités.
Ce courant spiritualiste du somnambulisme a persisté jusqu’au milieu du XIXe siècle et s’est intégré par la suite dans les thérapies magnétiques des médiums spirites. Cette évolution montre indéniablement la capacité de la franc-maçonnerie à absorber et transformer les pratiques ésotériques de son temps.
Plusieurs autres figures importantes ont contribué au développement des pratiques magnétiques au sein des loges maçonniques à la fin du XVIIIe siècle :
- Alexandre de Monspey : Commandeur de l’Ordre des Chevaliers hospitaliers et franc-maçon, il s’est initié au magnétisme et a joué un rôle important dans sa diffusion au sein des loges. Ces personnages ont donc contribué à l’intégration dans certains rituels de la franc-maçonnerie des pratiques magnétiques, mêlant science, spiritualité et ésotérisme.
- Jean-Baptiste Willermoz : Maître de la loge La Bienfaisance à Lyon, il a initié de nombreux membres à l’Ordre des Élus-Coëns, un système de hauts grades maçonniques intégrant des pratiques magnétiques.
La place des Femmes
Les femmes ont joué plusieurs rôles importants dans l’intégration des théories de Mesmer au sein des loges maçonniques, bien que leur participation ait été limitée et progressive :
Médiums et sujets : Certaines femmes déjà évoquées, comme Marie-Louise de Monspey (l’Agent inconnu), servaient de médiums lors de séances d’écriture inspirée. Leurs écrits étaient ensuite étudiés par les frères des hauts grades maçonniques.
Participantes aux loges d’adoption : Dès les années 1740 en France, des loges d’adoption ont commencé à admettre formellement les femmes, leur permettant de participer aux pratiques magnétiques et aux rituels inspirés des théories de Mesmer.
Membres des sociétés harmoniques : Après la découverte du somnambulisme par le marquis de Puységur en 1784, des femmes ont pu intégrer les sociétés harmoniques créées par les francs-maçons pour étudier et pratiquer le magnétisme animal.
Sujets d’expérimentation : Les femmes étaient souvent les sujets des expériences de magnétisme animal et de somnambulisme artificiel au sein des loges.
Il est important de noter que la participation des femmes était généralement limitée aux femmes de rang social élevé et que leur rôle restait souvent subordonné à celui des hommes dans toutes ces pratiques.
Certaines loges influencées par le magnétisme
Citons le nom de loges maçonniques particulièrement influencées par les théories de Mesmer sur le magnétisme animal à la fin du XVIIIe siècle :
- La loge La Candeur de Strasbourg : Cette loge, à laquelle appartenait le marquis de Puységur, a joué un rôle crucial dans l’intégration du magnétisme animal et du somnambulisme dans les pratiques maçonniques.
- La loge La Bienfaisance de Lyon : Dirigée par Jean-Baptiste Willermoz, cette loge était étroitement liée à La Candeur et a contribué à l’intégration des pratiques magnétiques dans le Rite Écossais Rectifié.
- Les loges affiliées à la Stricte Observance Templière (S.O.T.) : Ce système de hauts grades maçonniques allemand, auquel appartenait Franz Anton Mesmer lui-même, a facilité la diffusion des théories mesmériennes dans les loges françaises.
- Les loges pratiquant le Rite Écossais Ancien et Accepté (REAA) : Ce rite, largement répandu, a intégré des éléments du magnétisme animal dans ses pratiques et rituels.
Ces loges ont servi de terreau fertile pour l’intégration et le développement des théories de Mesmer, transformant le magnétisme animal en un puissant mouvement spirituel et thérapeutique au sein de la franc-maçonnerie.
Le XVIIIe siècle s’achève. Mais notre histoire mêlant l’hypnose, dont le nom définitif va bientôt être créé par le Dr Braid (le terme avait déjà été utilisé par le baron Étienne Félix d’Henin de Cuvillers en 1819), et la Franc-maçonnerie est loin d’être close, car les divers courants du magnétisme vont encore faire parler d’eux jusqu’à nos jours.
Je ne résiste pas, en conclusion provisoire, à vous dévoiler une réflexion de Milton Erickson, praticien révolutionnaire de l’hypnose moderne, dont les théories et pratiques en hypnose et en thérapie avaient certaines similitudes avec les principes de la Franc-maçonnerie, en mettant l’accent sur l’auto-éducation, l’accès aux ressources intérieures et la suggestion indirecte pour aider les individus à développer leur compréhension de soi et de la vie :
« Le véritable maître spirituel est l’énergie spirituelle que l’on développe soi-même. »
Avec l’aide de nos Frères et Soeurs que venons-nous faire en loge ?
Jean Luc ELISSALDE