De notre confrère la Dépêche – Propos recueillis par Pierre Challier
La Région Occitanie, en collaboration avec la Fondation Jean-Jaurès, La Dépêche du Midi et les Amis de Jean Jaurès, organise ce vendredi à 18h une soirée dédiée à “Jaurès est vivant !” à l’Hôtel de Région de Toulouse. Cette veillée a pour but de célébrer le centenaire du transfert des restes de Jean Jaurès au Panthéon. Nicolas Penin, historien et Grand maître du Grand Orient de France (GODF), explorera les idéaux de Jaurès, qui restent pertinents : la gauche républicaine, le progrès social, l’humanisme et la laïcité.
Que représente aujourd’hui pour vous Jean Jaurès, a fortiori dans un contexte de poussée mondiale des extrêmes droites nationales populistes ?
Si le Grand Orient de France s’inscrit aujourd’hui dans la célébration du transfert des cendres de Jean Jaurès au Panthéon, c’est bien pour dire qu’effectivement, Jaurès portait, lui, cet art de la nuance et de la synthèse, cet attachement à la démocratie et à la République, cet humanisme auxquels nous sommes fondamentalement attachés. Ses idéaux sont les nôtres et cet engagement réel, sincère, pacifique, il l’a assumé au prix de sa vie. Il n’était pas franc-maçon, ni au Grand-Orient-de-France ni ailleurs, mais par ses amis francs maçons engagés dans la cité, il savait que la maçonnerie était bien une société qui pouvait permettre, ou aider, à l’émancipation des hommes et des femmes. Certaines loges soutenaient concrètement son action, d’ailleurs. Franc-maçon assumé au sein de la SFIO, Marcel Sembat organise en 1906 avec les socialistes du Grand Orient une conférence pour aider L’Humanité, le journal de Jaurès. Son combat d’alors pour la laïcité et pour la paix, contre les idéologies de la haine qui fondent leur commerce sur les peurs et les crises sociales reste donc très contemporain, très actuel et il a d’autant plus de valeur pour nous que Jaurès assumait tout à fait que la maçonnerie est bien une association de progrès.
Face aux obscurantismes, ” Progrès social ” et ” laïcité de l’enseignement ” sont ” deux formules indivisibles ” écrivait Jaurès dans son discours ” Pour la Laïque “, en 1910. C’est toujours une urgence ?
Le Grand Orient travaille de fait à la célébration des 120 ans de la loi de séparation des Églises et de l’État, en 1905, synonyme de 120 ans de liberté et de laïcité pour tous. Cela démontre là aussi notre attachement à l’émancipation, aux droits sociaux, à l’école publique et laïque. Ce cadre laïc garantit en effet que le citoyen est bien un homme ou une femme qui doit disposer de libertés, de droits sociaux, éducatifs, culturels lui permettant de tendre sa propre libération, sa propre élévation. Donc oui, nous sommes des militants et d’ardents partisans du progrès. Ce mot peut-être contesté, aujourd’hui, parce qu’on a l’impression d’avoir vécu des décennies de progrès ayant conduit vers le pire, avec ces lendemains qui peuvent nous faire peur au plan écologique, technologique, social, économique. Mais je crois qu’il faut assumer le progrès, le progrès de l’humanisme en prenant conscience que l’homme n’est peut-être pas au centre de ce monde qu’il pense contrôler, parce que la nature s’impose à lui et qu’il doit la prendre en considération. Cela rejoint l’esprit maçonnique de Jaurès pour qui le rapport à l’autre et à la nature consistait à construire des ponts et pas des murs.
Quel est, pour vous, le combat qui résume sa vie ?
À l’heure où nous sommes, c’est le combat pour l’école publique et laïque, c’est le combat de la Sociale. L’école publique et laïque est l’alpha et l’oméga de la réponse face à la crise démocratique, la crise de confiance. C’est elle qui donne la possibilité de refaire sens et de redonner à la communauté nationale une part de l’unité que l’on est en train de briser. Briser parce que les quartiers, les voisins, vivent les uns à côté des autres, parce que le sentiment d’appartenance à une communauté nationale s’affaiblit, manipulé par les communautarismes, les identitarismes, les sectarismes quels qu’ils soient. Cet engagement laïc et scolaire de Jaurès est pour nous le parangon de l’engagement maçonnique et social.
Le clivage des gauches demeure entre réformistes et révolutionnaires, comme autrefois entre Jean Jaurès et Jules Guesde. Peut-il être dépassé, aujourd’hui ?
Lorsque certains disent que les Gauches sont irréconciliables, je ne veux pas le croire en tant que maçon et homme libre que je suis. Parce que je pense qu’il y a derrière ces frontières des hommes et des femmes qui savent qu’il y a des enjeux plus importants que d’autres. Lorsque vous avez des fascismes qui vous menacent et une Europe qui retourne à la guerre dans un monde d’Incertitude, il faut revenir à la raison et se dire que ce qui nous rassemble est plus important que ce qui nous divise.
Jean Jaurès entre au Panthéon en 1924, cinq ans après l’acquittement de son assassin, le nationaliste Raoul Villain, la veuve de Jean Jaurès ayant été condamnée à payer les frais du procès. Que vous inspire ce retournement de l’histoire ?
Cela m’inspire que parfois, les hommes se sentent obligés de se racheter une conscience. Faire entrer Jaurès au Panthéon, c’est peut-être laver les infamies ou les injustices commises les années précédentes. Pour autant, il ne faut pas juger avec les yeux d’aujourd’hui les décisions du passé. On a évidemment un sentiment de révolte immédiat en apprenant que l’assassin de Jaurès a été acquitté mais moi, je préfère rester sur l’entrée des cendres de Jaurès au Panthéon que sur le crime, car c’est le symbole de l’irréductible optimisme et de ” l’invincible espoir ” que professait Jaurès lorsqu’il nous disait que l’histoire enseigne la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements.