jeu 14 novembre 2024 - 23:11

La Franc-maçonnerie est-elle une organisation religieuse ?

L’un de mes premiers livres sur la Franc-Maçonnerie publié en France en 2000 s’intitulait « ABC de la spiritualité maçonnique ». Le chapitre 4 de ce livre portait sur « La Franc-Maçonnerie et la religion ». Je suis revenu sur ce sujet dans mon premier livre paru en anglais « secrets et pratiques des francs-maçons » dans un des chapitres auquel je reviendrai dans un instant.

En tant qu’ancien professeur de philosophie, ce sujet a toujours été essentiel. Avant de commencer, je voudrais souligner quelques points importants.

La foi
Religion – La Foi

Il faut garder à l’esprit que le mot « religion » est un mot générique qui englobe un très grand nombre d’interprétations. Le concept de religion s’est formé aux XVIe et XVIIe siècles même si des rituels liés à une dimension invisible ont été pratiqués dès l’aube de l’humanité.

Aujourd’hui, un certain nombre de disciplines étudient le phénomène religieux donnant naissance à diverses théories. En ce qui concerne son étymologie, nous devons également garder à l’esprit qu’elle a changé au fil du temps.

Cicéron, un homme si carré…

Depuis le XIIe siècle après J.-C., en vieux français, le mot « religion » signifie respect du sens du droit, obligation morale, sainteté, révérence envers les dieux. Mais il y a bien longtemps, Cicéron utilisait « relegère » pour nous inviter à « relire (legere) ».

Jules César utilisait le terme religiō pour signifier « obligation de serment » lorsqu’il évoquait les soldats capturés prêtant serment à leurs ravisseurs. Cicéron utilisait le terme religiō comme étant lié au cultum deorum (culte des dieux).

Les spécialistes ne parviennent pas à s’accorder sur une définition de la religion. Il existe cependant deux systèmes généraux de définition : le système sociologique et le système phénoménologique/philosophique.

Émile Durkheim

Aujourd’hui, je vous invite à réfléchir à la définition du sociologue Émile Durkheim (Les formes élémentaires de la vie religieuse). Il définit la religion comme un « système unifié de croyances et de pratiques relatives aux choses sacrées ». Par choses sacrées, il entend les choses « mises à part et interdites, croyances et pratiques qui unissent en une seule communauté morale appelée Église, tous ceux qui y adhèrent ».

Un objet sacré n’est pas seulement Dieu(x) mais peut être « un rocher, un arbre, une source, un caillou, un morceau de bois, une maison, en un mot, tout peut être sacré ». Les croyances religieuses, les mythes, les dogmes et les légendes sont les représentations qui expriment la nature de ces choses sacrées, ainsi que les vertus et les pouvoirs qui leur sont attribués.

En fait, on peut trouver d’autres définitions de la religion et notre discussion peut être différente. Dans le domaine spirituel aujourd’hui, et après les écrits de Mircea Eliade, il semble que cette définition sociologique prévale. Il en est de même dans la franc-maçonnerie.

Il est aussi intéressant de savoir que nous ne sommes pas les mieux placés pour voir nos contradictions. Nous avons besoin d’un regard extérieur pour comprendre différemment ce que nous disons et ce que nous faisons en tant que francs-maçons.

Car il faut garder à l’esprit ce que cela donne aujourd’hui à quelqu’un qui n’est pas franc-maçonet qui n’a pas pris le temps de replacer cette question religieuse dans son contexte. Encore une fois, que peut voir un non-maçon ?

La franc-maçonnerie prétend ne pas être une secte, une religion ou simplement une organisation religieuse.

Cependant, est-ce vraiment le cas ?

Bible et 3 grandes Lumières
Bible ouverte avec équerre, compas dans le Temple. Serment

La grande majorité des Grandes Loges du monde demandent une croyance en un « Être Suprême », demandent une foi en Dieu, utilisent un « livre sacré » et pour certains ce doit être la Bible, prient, utilisent les histoires de la Bible comme source principale de leurs enseignements, etc.

On pourrait même aller plus loin avec les exigences de certains rites spécifiques demandant spécifiquement d’être chrétien ou même catholique. Des degrés annexes pourraient aussi être considérés comme plus radicaux dans leur exigence de combattre et de protéger la foi chrétienne. Les degrés templiers ou le SRIA en sont deux exemples.

Mais tout cela se fait avec une affirmation très claire répétée à l’envi : la discussion religieuse est interdite dans une loge maçonnique.

Comment pouvons-nous concilier de telles contradictions ? Pouvons-nous le faire ? Devrions-nous le faire ?

Prêtre dans son église
Prêtre dans son église son missel à la main

Il est relativement facile de découvrir ce que les religions contemporaines pensent de la franc-maçonnerie. Les religions monothéistes, à l’exception peut-être du judaïsme, s’opposent à la franc-maçonnerie. Le catholicisme et une grande partie du christianisme, ainsi que l’islam, s’opposent à la vision maçonnique de la religion et de la morale. Cela ne signifie pas qu’il n’existe pas de francs-maçons chrétiens ou musulmans, mais que l’institution religieuse est contre les principes maçonniques. Le catholicisme a déclaré que les francs-maçons sont des hérétiques parce qu’ils pensent, agissent et enseignent dans le monde entier différemment de ses dogmes et de ses vérités scripturales.

La religion est enracinée dans une croyance particulière selon laquelle l’homme est composé d’un corps physique et d’une partie invisible généralement appelée l’âme. De la même manière, les religions enseignaient l’existence de mondes immatériels et de divinités plus grandes que nous. La maçonnerie est née de la réforme protestante anglaise comme une fraternité universelle présente dans de nombreux endroits de la Terre. Ses portails sont ouverts à tout homme sans considération de sa religion. Au début de la maçonnerie ce point ne posait pas de problème car il n’y avait que quelques catégories de personnes : les protestants, les catholiques et plus tard les juifs. Il n’y avait pas d’autres religions que celles ayant un fond biblique. C’est le contexte originel de la naissance de la maçonnerie, et dans ses textes originaux, cette fraternité ne demandait pas de foi particulière.

Les Constituions d’Anderson (1723) – musée de la franc-maçonnerie ; Hôtel du Grand Orient de France.
Les Constituions d’Anderson (1723) – musée de la franc-maçonnerie ; Hôtel du Grand Orient de France.

La Constitution d’Anderson demande l’obéissance à la loi morale, c’est-à-dire ne pas être un athée stupide, ni un libertin irréligieux. Les francs-maçons de chaque pays étaient priés d’être de la religion de ce pays, quelle qu’elle soit. Dans ce cas, la vraie religion était celle sur laquelle tous les hommes s’accordaient, à savoir être des hommes bons et fidèles, ou des hommes d’honneur et d’honnêteté.

Ces déclarations se présentent comme un énoncé de la maçonnerie. Il existe des obligations et des conditions préalables avant d’être initié. Pour les francs-maçons fondateurs, la question était de trouver quel pouvait être l’élément commun à chaque homme. C’était un défi à une époque où la religion régissait le monde et était dotée de réels pouvoirs temporels.

Est-il possible de juger un être en fonction de sa foi et sa pratique religieuse ? D’après ce qu’a écrit Anderson, non !

Trois aspects étaient donc et restent importants aujourd’hui : 1- le préalable 2- l’énoncé, suivi de 3- la conséquence.

1- Il y a une Loi morale. Les athées et les irréligieux ne peuvent pas faire partie de la Confrérie. Quelqu’un qui veut faire partie de la Confrérie doit avoir la conviction intérieure de l’existence d’un monde spirituel, et d’une puissance divine. Mais ces deux éléments ne sont pas définis. Si Anderson avait expliqué ces aspects, le prérequis aurait fait appel à une déclaration de foi et serait donc confessionnel. Cependant, il recherchait un large consensus sans perdre le meilleur de la dimension religieuse.

2- Il existe une Religion dans laquelle tous les Hommes s’accordent, en gardant pour eux-mêmes sa définition. Si je ne puis trouver une définition unique pour tous, la seule chose à demander est d’être des Hommes bons et vrais, ou des Hommes d’Honneur et d’Honnêteté ; rien de plus. Tout est dit.

3- La conséquence : Si le prérequis et l’énoncé devenaient une réalité vivante pour le Franc-Maçon, alors la Maçonnerie deviendrait le Centre d’Union ; le lieu où des personnes différentes avec des compréhensions différentes pourront construire une véritable Amitié, révélant une véritable possibilité pour les êtres humains : la fraternité.

Il est important de rappeler qu’Anderson écrivait dans les premières années de la franc-maçonnerie, demandant une expression privée de la religion. La conséquence en est un esprit ouvert, et la possibilité pour la franc-maçonnerie d’être présente partout et à tout moment. Il n’y a pas de limite géographique, culturelle et historique à sa présence dans le monde car cette Fraternité se donne un centre : la Loge, le Métier, capable d’accueillir des humains ressentant ce monde intérieur commun et essayant de devenir meilleurs. C’est le fondement de la franc-maçonnerie. Ces questions étaient exceptionnelles à ce moment précoce de l’histoire.

Pour les Francs-Maçons, et les hermétistes antiques, il existe une puissance qui a créé, organisé et continue d’animer l’Univers. Mais cette puissance divine est loin de nous. Il s’agit d’un principe divin et le nom que lui donne la Maçonnerie en est la meilleure illustration : Grand Architecte de l’Univers.

Mais il faut être prudent avec ce nom car nous raisonnons aujourd’hui avec un a priori monothéiste. Pour ce pouvoir divin, présent partout dans l’Univers, la question du genre est un non-sens. Il est aussi impossible de savoir si ce pouvoir divin est personnel ou non. Peut-être est-il aussi impossible de dire si cette impulsion de création était ou est le résultat d’une intention. En tant que créatures humaines, ces questions dépassent notre entendement. Mais sans doute cette idée d’un être suprême est impossible à représenter. Ce fait a été ressenti dans les religions monothéistes, mais pas toujours avec le même succès. En termes philosophiques, l’Être suprême est immanent. Cela signifie que le Grand Architecte de l’Univers est à l’intérieur de sa création et non à l’extérieur. Après la création, la Nature n’a pas été abandonnée par son créateur divin.

Mais certains francs-maçons ne rejettent pas a priori l’existence d’un Être suprême qui puisse manifester une sorte de volonté. Même s’il est tout à fait impossible de dire quelque chose à ce sujet, une prudence philosophique réclame de rejeter cette possibilité. C’est pourquoi je peux dire que toute la nature est en Dieu et en même temps qu’un Être suprême a créé l’univers, ce qui est une théorie appelée le déisme.

Les déistes croyaient que la raison et l’observation du monde naturel pouvaient être les éléments principaux pour comprendre l’essence du divin. La foi et la religion organisée n’étaient pas nécessaires pour cela. Les hermétistes appelaient cela la « religion de l’esprit ». En fait, la foi n’est pas rejetée, mais apparaît en second lieu, après la raison. C’est pourquoi la religion et la philosophie sont liées. Parce que le divin est l’Être suprême, la religion peut être un sentiment intérieur et essentiel, demeurant toujours sous le contrôle de la raison, qui furt donnée à l’humanité également dans ce but.

Les francs-maçons et les déistes n’ont pas de véritables dogmes. Chacun peut choisir ce qui lui semble bon selon sa propre liberté intérieure, l’éclectisme étant le résultat de la considération bienveillante de toute expression de la foi humaine.

En général, les hermétistes, les francs-maçons et les déistes restent très prudents à l’égard des religions organisées.

La question des miracles ou de toute intervention surnaturelle est une autre question. En général, les déistes ne croient pas que Dieu intervient dans les affaires de la vie humaine ou qu’il est capable de suspendre les lois naturelles de l’univers. Les lois sont universelles et constantes. Même si toutes les lois ne sont pas encore comprises, il sera possible de le faire tôt ou tard.

Il est important de savoir ce qui s’est passé dans cette confrontation entre les religions monothéistes, et particulièrement entre le catholicisme et la franc-maçonnerie. Les francs-maçons choisirent d’être fidèles à leurs croyances et à leurs déclarations morales. Ils exprimèrent leurs idéaux de tolérance et de liberté en présence de Dieu, ouvrant leurs portes à tout homme de bien désireux d’œuvrer en paix pour le meilleur de l’humanité. La philanthropie, bien que n’étant pas une condition préalable religieuse, est devenue l’une des merveilleuses réalisations de la franc-maçonnerie. En même temps, cette dernière trouva un moyen de maintenir la présence du sacré séparée de la religion et des sacrements.

Ces quelques exemples nous montrent la réaction d’une Eglise détenant encore une certaine autorité politique. Il existe de nombreux exemples modernes de ce pouvoir appliqué contre la Liberté et la Tolérance. Les talibans et toutes les formes de fondamentalisme religieux sont l’aspect moderne de l’inquisition et un écho contemporain des milliers de femmes torturées et brûlées en Europe à la fin du Moyen-Age.

Les francs-maçons ne se sont jamais opposés à la croyance en Dieu, ni à la vie religieuse et spirituelle. C’est pour eux une manifestation naturelle d’un sentiment intérieur réel. Mais cette partie de la psyché de l’être humain se doit de rester sous le contrôle de la raison. C’est pourquoi le respect de l’autre empêche qu’un franc-maçon tente d’imposer sa vision du monde à un autre. Une preuve du danger d’une foi aveugle est la manifestation de l’intolérance et de la violence. Cette tendance n’a pas d’âge et demeure la même aujourd’hui. C’est pourquoi la démarche maçonnique profondément philosophique demeure une des meilleures réponses aux dogmes religieux, accueillant toutes les dimensions de l’être humain sans chercher à en imposer une seule.

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Jean-Louis de Biasi
Jean-Louis de Biasihttps://fr.debiasi.org/
Jean-Louis de Biasi est un auteur, conférencier et philosophe. Auteur publié en plusieurs langues notamment en anglais, conférencier, il enseigne la philosophie, la spiritualité, les traditions anciennes et diverses formes de yoga. Initié franc-maçon en 1990, il est actuellement membre de la GLUA. Avant de rejoindre la maçonnerie canadienne et américaine, il a été à l’origine de la réactivation et l’organisation de la maçonnerie égyptienne au sein du GODF. Il est spécialisé dans les traditions anciennes et rituels à travers le monde. Il a reçu tous les degrés de la Franc-maçonnerie égyptienne, écossaise et autres divers hauts degrés. Il a aussi reçu les 32 degrés du rite écossais américain à Washington DC et l'Arche royale au Canada. Il développe actuellement le projet d’un Musée International de la Franc-maçonnerie dans le Sud-Ouest de la France que vous pouvez découvrir à l’adresse : www.mifm.org

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