Notre confrère le Blog des Spiritualités, animé par notre Frère Jean-Laurent Turbet annonçait ce mardi qu’une Avenue parisienne de poids changeait de nom pour rendre hommage à un Frère contemporain, ayant appartenu longtemps à la Grande Loge de France. Il s’agit du Frère Hubert Germain qui remplace le Frère Thomas Robert Bugeaud dont le passé martial est nettement moins glorieux.
Le maréchal Bugeaud avait été initié à L’Union Africaine d’Oran vers 1836 (On peut lire dans un compte-rendu de la loge Bélisaire d’Alger, en date du 4 juillet 1849 : « il est tiré une batterie de deuil pour le frère Bugeaud, ex-gouverneur général, membre honoraire de la Loge d’Oran »).
Communiqué de Jean-Laurent Turbet
Renommer l’avenue Bugeaud en avenue Hubert Germain (1920-2021) dans le 16ème arrondissement à Paris a une forte portée symbolique.
Cela s’inscrit dans un mouvement plus large visant à valoriser des figures qui incarnent des valeurs de courage, de résistance et de liberté, en lieu et place de celles associées à des périodes sombres de l’histoire, à des massacres et à des crimes contre l’humanité.
Voici pourquoi ce changement a été unanimement bien accueilli tant par la population que par la communauté historique.
Car le Maréchal Thomas Robert Bugeaud (1784 – 1849), c’était qui ? Je le dis simplement en quelques lignes mais la “carrière” de Bugeaud dans l’horreur est très vaste.
Bugeaud c’est un homme d’ordre, raciste et antisémite qui a commis de nombreux crimes. Les 13 et 14 avril 1834, sa brigade réprime sévèrement (Adolphe Thiers, Ministre de l’Intérieur lui avait écrit : « Il faut tout tuer. Amis, pas de quartier, soyez impitoyables ») une émeute en tuant notamment douze femmes et hommes réfugiés dans une maison rue Transnonain et en blessant des dizaines d’autres.
Mais c’est en Algérie que Bugeaud va faire preuve de toute sa cruauté. De retour à Alger en 1841 il explique que son but n’est pas de faire fuir les arabes mais de les soumettre. Il pratique la “Terre Brûlée” en détruisant les récoltes et les habitation des autochtones. « Allez tous les ans leur brûler leurs récoltes […], ou bien exterminez-les jusqu’au dernier »
Il pratique aussi les “enfumades” : lorsque la population, terrorisée par les exactions des soldats de Bugeaud se réfugie dans des grottes pour se cacher, les soldats allument de grands feux à l’entrée de la grotte. L’atmosphère se réduit et disparait dans les grotte et toutes les personnes meurent asphyxiées par les fumées et le gaz carbonique.
Des milliers de personnes – hommes, femmes et enfants – vont ainsi mourir asphyxiées dans les “enfumades” de Bugeaud.
Les enfumades de Sbéhas le 11 juin 1844 et du Dahra le 18 juin 1845 par le colonel Pélissier sous les ordres de Bugeaud (et appliquant la “doctrine Bugeaud“) font des milliers de victimes. Ces crimes épouvantent en France (un peu…) et en Europe (beaucoup).
Le Times à Londres écrit le 14 juillet 1845 : « Il est impossible de réprimer la plus forte expression de l‘horreur et du dégoût à propos des atrocités d’un acte commis par le général Pélissier, commandant un détachement français en Algérie… Ceci n’est pas une guerre mais le massacre d’une population par celui qui a assumé le pouvoir de gouverner cette région, un monstre qui déshonore son pays, son époque et sa race ».
Je sais qu’il existe encore – malheureusement – des nostalgiques de l’Algérie française et du bon temps des colonies.
Mais l’intervention française de 1830 ne s’est pas faite sur un terrain vierge, sans population.
Au contraire, la résistance héroïque de l’Emir Abdelkader (1808 – 1883, qui était d’une envergure politique, intellectuelle et spirituelle incomparablement supérieure à celle de Bugeaud) et des centaines de milliers d’Algériens prouve qu’il s’est bien agit d’une guerre de colonisation.
Et cette guerre s’est faite avec des massacres de masse d’hommes de femmes et d’enfants innocent.
Oui, il faut le répéter, Bugeaud invente la mort de masse par asphyxie d’hommes, de femmes et d’enfants innocents, préfigurant par là-même les chambres à gaz nazies de la Seconde Guerre Mondiale.
Non, il ne faut jamais oublier que la conquête de l’Algérie et sa colonisation commence par des massacres de masse, d’hommes de femmes et d’enfants…
A l’inverse qui est Hubert GERMAIN ? Résistant de la première heure, il rejoint Londres dès 1940 pour s’engager dans les Forces Françaises Libres.
Il participe en 1941 à la campagne de Syrie. En février 1942 il participe à la bataille de Bir Hakeim. Il est sous-lieutenant quand il participe à la bataille d’El Alamein. Puis en mai 1944 c’est la campagne d’Italie et la terrible bataille de Monte Cassino où il est blessé. En août 1944 il participe au débarquement en Provence et suit la 1ère armée française jusqu’en Allemagne.
Il sera par la suite plusieurs fois élu député (gaulliste) et sera même Ministre des PTT et des relations avec le Parlement.
Il était l’un de ces 1038 hommes et femmes décorés de la croix de la Libération pour leur action dans « la Libération de la France, dans l’honneur et par la Victoire ».
Il était le dernier Compagnon de la Libération vivant et est inhumé dans la crypte du mémorial de la France combattante au mont Valérien, où le dernier caveau du Mémorial lui était réservé.
Hubert Germain était membre de la Grande Loge de France (où il a été Grand Maître Honoris Causa) et 33ème degré du Rite Ecossais Ancien et Accepté au sein du Suprême Conseil de France. Il est le fondateur de la loge “Pierre Brossolette, Compagnon de la Libération” au sein de la Grande Loge de France.
Depuis les années 2020 de nombreuses actions avaient eu lieu pour dénoncer l’avenue Bugeaud.
Le changement de nom a été voté à l’unanimité par le Conseil de Paris le 11 juillet 2024.
Le 14 octobre 2024, lors d’une cérémonie très émouvante, l’avenue Bugeaud, baptisée en 1863, a changé de nom à Paris car Thomas Robert Bugeaud était non seulement lié à la répression à Paris de manifestations populaires mais aussi aux massacres de populations en Algérie lors de la conquête coloniale.
La Maire de Paris, Anne Hidalgo l’explique en ces termes :
« […] Au coin de nos rues, sur nos places, au détour d’un grand boulevard ou d’un rond-point mythique, nous nous interrogeons parfois sur l’histoire de nos figures historiques dont les noms recouvrent les iconiques plaques bleues parisiennes.
Ces lettres blanches devraient toujours nous emplir de fierté et non pas nous condamner au malaise. Mais c’était malheureusement le cas de l’avenue du jour, alors que nous avons célébré le 25 août dernier les 80 ans de la libération de Paris. J’ai avec vous aujourd’hui l’honneur de renommer cette avenue l’avenue Hubert Germain.
Beaucoup a été dit à l’instant sur ce Parisien illustre, ce grand héros de la Résistance, qui avait rejoint la France libre dès le mois de juin 1940… Cette décision n’était pas évidente, Hubert Germain, c’était évident.
Mais faire en sorte que nous débattions cette avenue, cela n’était pas en soi une chose simple. Vous souhaitiez inscrire le nom de ce héros de la Résistance dans les lieux publics de ce bel arrondissement. Et désormais, c’est chose faite. Mais renommer cette avenue au nom d’Hubert Germain, c’est un geste fort qui réaffirme l’attachement de la ville de Paris aux valeurs républicaines et à la défense d’une mémoire dont chaque Parisienne, chaque Parisien peut être fier […]. »
À propos de Bugeaud elle précisait : « Déjà à son époque, ses techniques inhumaines et ses agissements barbares suscitaient l’effroi. Ses actes et ses écrits étaient imprégnés de racisme et d’antisémitisme envers les Algériens. Et ils ont laissé des séquelles durables et honteuses. Or, vous le savez, la dénomination de nos espaces publics, de nos rues, n’a rien d’anodin.
À travers chaque allée, chaque rue, chaque place, nous nommons, nous façonnons aussi notre modèle de valeurs et nos références. Décider de conserver ce nom dans un espace public était un choix de société. C’était en 1863. Ce choix avait été fait par le Second empire et nous affirmons aujourd’hui qu’il n’est plus le nôtre. Nous prenons aujourd’hui une autre décision collective, elle est importante, elle est démocratique. Elle est le fruit d’une mûre réflexion, le résultat d’un dialogue constant avec de très nombreuses personnalités, les associations mémorielles, des historiens que je veux remercier pour leur précieuse expertise.
[…] Après plusieurs années d’échanges, je suis vraiment très fière, très heureuse, très honorée que le Conseil de Paris ait entériné à l’unanimité, cette décision de changement de nom en juillet dernier. »
Et de préciser qu’au musée Carnavalet, les plaques Bugeaud et Germain seront exposées côte à côte « afin d’éclairer l’Acte démocratique et l’acte de mémoire ».
L’avenue qui portait le nom d’un massacreur porte désormais le nom d’un Grand Résistant.
Elle s’appelle désormais l’avenue Hubert Germain.
Pour l’honneur de la France.
Courageuse et opportune décision.Hubert Germain a laissé le souvenir d’un homme juste et bienveillant,pour ceux qui l’ont côtoyé après la guerre et/ou ont travaillé à ses cotés. Il avait même de l’humour.