sam 21 septembre 2024 - 17:09

Les mythes révolutionnaires : Quand l’Histoire façonne l’imaginaire national !

Emmanuel de Waresquiel, un nom reconnu parmi les historiens spécialisés dans la Révolution et l’Empire, nous invite une fois de plus à revisiter un moment fondateur de l’Histoire de France. Il nous fallait des mythes ! Ce livre publié en 2024 chez Tallandier sous la direction de Denis Maraval, diplômé en histoire et histoire de l’art, ancien élève de la Sorbonne et de l’École du Louvre, revient sur les imaginaires collectifs forgés autour de la Révolution de 1789, et plus précisément, sur la manière dont ces événements ont façonné la mémoire nationale jusqu’à nos jours.


Emmanuel de Waresquiel interroge ces moments historiques en montrant que la perception que nous avons des événements révolutionnaires a souvent été largement déformée, réécrite, voire réinventée au fil des siècles. Ce processus de réécriture ne s’est pas fait au hasard, mais en réponse aux besoins et aspirations des différents régimes qui se sont succédé depuis 1789. La Révolution, loin de n’être qu’un fait historique, a servi à bâtir des mythes indispensables pour légitimer le pouvoir républicain. Ces mythes sont les piliers d’une société qui, bien souvent, cherche à trouver un équilibre entre l’idéal révolutionnaire et la réalité de son temps.
L’une des idées centrales de cet ouvrage est le lien intrinsèque entre le mythe et la légitimité politique. Emmanuel de Waresquiel montre comment la République, dès sa naissance, a eu besoin de « terre promise » pour justifier ses actions, sa rupture avec l’Ancien Régime et ses nouvelles valeurs. Le serment du Jeu de Paume, la prise de la Bastille, la bataille de Valmy – autant d’événements symboliques qui, dans leur réalité historique, n’ont pas l’éclat que leur ont donné les récits post révolutionnaires. Et pourtant, ils sont devenus des emblèmes incontournables d’une France en quête d’une continuité politique et idéologique.
L’auteur analyse également la façon dont la guillotine, ce symbole ambivalent, a été tour à tour glorifiée comme instrument de justice populaire puis diabolisée comme machine de mort barbare. Emmanuel de Waresquiel ne se contente pas d’un simple récit des événements révolutionnaires, il décortique leur portée symbolique, leur dimension mythologique et les questions d’identité nationale qui s’y rattachent. Chaque événement, chaque symbole est déconstruit pour montrer comment il a été utilisé dans le cadre d’une stratégie politique plus large.
Le style de l’auteur, toujours érudit et nuancé, amène le lecteur à repenser la Révolution en tant que processus dynamique, non figé dans le temps. En se concentrant sur des moments-clés comme la chute de la monarchie ou le règne de la Terreur, il montre que ces événements, loin d’être simplement des faits historiques, sont devenus des points de référence à la fois pour les républicains qui cherchaient à se légitimer et pour les monarchistes qui tentaient de discréditer le régime en place.
Emmanuel de Waresquiel n’hésite pas non plus à aborder les aspects plus sombres de la Révolution : l’exécution du roi, la violence politique, la peur omniprésente qui a conduit à la création de certains des mythes les plus puissants de l’époque. Loin d’une vision romantique ou idéalisée, il présente la Révolution comme un moment complexe, où l’aspiration à la liberté se conjugue souvent à la terreur et à la mort.
Dans cet ouvrage, la mythologie révolutionnaire est au cœur de l’analyse. Emmanuel de Waresquiel met en évidence un processus fascinant de réappropriation et de transformation des mythes révolutionnaires à travers les différents régimes qui se sont succédé. Chaque gouvernement, qu’il soit monarchique, impérial ou républicain, a puisé dans l’imaginaire révolutionnaire pour façonner sa propre légitimité et sa propre identité politique. La IIIe République, en particulier, s’est illustrée dans la sanctification de la Révolution, notamment en faisant de la prise de la Bastille un symbole de la liberté conquise par le peuple, bien que cet événement, dans la réalité des faits, n’ait pas eu la portée militaire que le mythe lui a conférée.
 
L’auteur montre que la Révolution française, loin de s’être figée dans les années 1790, continue de vivre à travers les commémorations, les récits historiques, mais aussi les controverses qu’elle suscite encore aujourd’hui. Il insiste sur les décalages entre les perceptions contemporaines et les réalités vécues par les acteurs de l’époque. Ainsi, le serment du Jeu de Paume, souvent présenté comme un acte héroïque de résistance, a en réalité été prononcé dans un contexte de peur et d’incertitude. De même, la bataille de Valmy, célébrée comme une grande victoire populaire, fut en réalité un affrontement militaire modeste, bien loin des récits épiques qui en ont été tirés.
 
Ces mythes, réécrits et embellis au fil du temps, ont permis de légitimer les transformations politiques successives et d’ancrer dans la conscience collective l’idée d’une révolution idéalisée. Emmanuel de Waresquiel montre qu’au-delà des faits historiques, la Révolution est un véritable creuset de l’imaginaire national, une sorte de matrice fondatrice où s’entrechoquent les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, souvent invoquées mais rarement appliquées dans leur totalité.
 
Un autre aspect essentiel de l’analyse d’Emmanuel de Waresquiel réside dans son approche des lieux et objets de la Révolution, qu’il traite comme des catalyseurs symboliques. La Bastille, par exemple, devient un totem politique, une figure de la libération du joug monarchique, alors que, dans les faits, sa chute n’avait guère d’importance militaire ou stratégique. Le serment du Jeu de Paume devient l’un des récits fondateurs de la République, alors qu’il n’a pas eu l’impact immédiat que l’on pourrait croire sur le cours des événements.
 
De la même manière, la guillotine, emblème terrifiant de la Terreur, se charge d’une dimension presque sacrée dans l’histoire révolutionnaire : elle symbolise à la fois la justice expéditive du peuple et la brutalité d’un régime politique en proie à ses propres contradictions. Waresquiel n’hésite pas à rappeler que la violence est indissociable de l’histoire révolutionnaire, une violence souvent occultée ou minimisée dans les récits officiels, mais qui reste au cœur de la dynamique politique de l’époque.
 
Emmanuel de Waresquiel explore aussi l’idée que les mythes révolutionnaires n’ont pas seulement servi à glorifier la République, mais ont aussi été employés pour structurer une mémoire collective, pour maintenir vivante une certaine idée de la Révolution dans l’esprit des générations suivantes. La mémoire de la Révolution est vivante, elle est nourrie par des commémorations récurrentes, des cérémonies et des monuments érigés pour rappeler au peuple français ses origines révolutionnaires. La Révolution devient une sorte de roman national, une narration qui, malgré ses nombreuses relectures, conserve un pouvoir mobilisateur exceptionnel.
 
L’auteur démontre avec brio que ce mythe fondateur s’est également enrichi des regards portés par les écrivains, les artistes et les intellectuels au fil du temps. Des figures comme Victor Hugo, qui ont célébré la Révolution tout en critiquant ses excès, participent à la construction d’une légende républicaine où se mêlent à la fois l’idéal révolutionnaire et la condamnation des violences de la Terreur. C’est une Révolution à deux visages, à la fois idéalisée et crainte, qu’Emmanuel Waresquiel nous invite à redécouvrir.
 
Il nous fallait des mythes ! C’est une œuvre magistrale qui invite à repenser la Révolution française sous l’angle de la construction de la mémoire nationale. Emmanuel de Waresquiel démontre avec une grande clarté que cette période, loin d’être figée dans le passé, continue de hanter l’imaginaire collectif. Les mythes forgés autour des événements de 1789 et de la Terreur sont omniprésents dans la culture politique française, et leur réinterprétation permanente témoigne de l’importance de ces récits pour la société contemporaine.
 
Cet ouvrage propose une lecture critique et nuancée de la manière dont la Révolution a été racontée, mythifiée et parfois instrumentalisée. L’auteur montre qu’en cherchant à légitimer leur pouvoir, les régimes successifs ont créé des récits fondateurs qui, bien souvent, ne correspondent guère à la réalité historique, mais qui ont profondément marqué l’identité nationale.
 
Emmanuel de Waresquiel, la bio
Emmanuel de Waresquiel est un historien reconnu pour ses travaux sur la Révolution, l’Empire et le XIXe siècle. Il est l’auteur de nombreuses œuvres marquantes, dont des biographies de Talleyrand et de Fouché, ainsi que des essais sur des figures historiques telles que Louis-Philippe et Napoléon. Emmanuel de Waresquiel est également célèbre pour sa capacité à rendre accessibles au grand public des sujets complexes tout en maintenant une rigueur académique. Ses ouvrages, souvent couronnés de prix littéraires, sont autant d’invitations à revisiter l’histoire de France avec un œil critique et informé.
Avec *Il nous fallait des mythes !*, Emmanuel de Waresquiel poursuit sa réflexion sur la manière dont l’histoire s’écrit et se réécrit, et sur la place centrale que la Révolution occupe dans l’imaginaire collectif français.
 
Cet ouvrage s’inscrit dans la continuité des travaux d’Emmanuel de Waresquiel. Il offre une réflexion profonde sur l’héritage révolutionnaire, tout en interrogeant la validité des mythes qui entourent cet événement fondateur. Pour quiconque s’intéresse à l’histoire de France, ce livre est une lecture incontournable, à la fois riche et éclairante.
 
Il nous fallait des mythes !
La Révolution et ses imaginaires de 1789 à nos jours
Emmanuel de Waresquiel
Tallandier, 2024, 448 pages, 24,60 €
Tallandier, le site.

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, directeur de la rédaction de 450.fm, est chroniqueur littéraire, membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

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