Le site Fabula nous apprend ceci :
« Les sciences occultes connaissent un regain d’intérêt significatif ces dernières années. Popularisées par les réseaux sociaux et transformées en objets de consommation de masse, comme en témoigne l’essor des jeux de tarot et des manuels de divination, des traditions anciennes comme l’astrologie, la tarologie ou l’alchimie sont revisitées par un public en quête de sens et de spiritualité. Si l’occulte désigne ce qui est caché, secret, inaccessible à la perception ordinaire, il semble alors pertinent de questionner la nature et le statut même de ces pratiques.
L’occulte englobe des pratiques et des systèmes de croyance visant à révéler des vérités ou des réalités invisibles, tout en étant lié aux savoirs non occultes par des relations complexes, dont l’élucidation demeure souvent délicate (Doering-Manteuffel 2019). Il se distingue de l’ésotérisme, qui « fournit le cadre conceptuel dans lequel peut se développer, sous certaines conditions historiques, l’occultisme, comme un ensemble de pratiques » (Maillard 2002), et implique une transmission de savoirs réservée à un cercle restreint d’initié·es. D’autres notions connexes peuvent également émerger : l’étrange et le bizarre, qui renvoient à des réalités déviant des normes établies et défiant la compréhension naturelle, le paranormal, en marge de la normalité mais néanmoins en lien avec elle, ou le surnaturel, qui concerne des phénomènes transcendant les lois naturelles.
Le numéro 15 de la Revue Traits d’Union se propose d’explorer et de situer les pratiques dites occultes et les modes de pensée qui les sous-tendent, dans une perspective à la fois synchronique et diachronique. Il s’agit de considérer l’occulte comme un objet historiquement construit, déterminé par un contexte socioculturel spécifique, auquel il offre en retour une grille de lecture. Sans opposer de manière rigide sciences occultes et sciences dites exactes ou du vivant, il est essentiel d’interroger l’occulte comme système ou moyen de connaissance, en analysant la manière dont ces savoirs se développent et la fonction qu’ils remplissent dans les sociétés qui les adoptent (Maillard 2002).
Cet appel s’adresse tout particulièrement à de jeunes chercheur•ses (masterant•es, doctorant•es ou docteur•es non titulaires). Les contributions issues de toutes les branches des sciences humaines et sociales sont les bienvenues. Les approches comparatives, les études de cas contemporains ou historiques, ainsi que les réflexions théoriques sur la nature même de l’occulte sont particulièrement encouragées. Les propositions pourront s’inscrire dans les axes suivants, sans s’y limiter.
L’occulte et la marge
L’occulte est intrinsèquement lié à la notion de marge : il est l’autre de la science légitime, un savoir progressivement délégitimé par la première révolution scientifique. Dans quelle mesure cette marginalité s’est-elle manifestée au fil du temps, notamment du point de vue sociologique? Il est intéressant de noter la popularité actuelle des pratiques occultes au sein des groupes marginalisés, tels que la communauté LGBTQIA+, pour qui ces systèmes de croyances, par opposition aux religions traditionnelles souvent empreintes de queerphobie, apparaissent plus inclusifs et ouverts à la diversité de genre et/ou de sexualité.
Les croyances occultes répondent ainsi à un besoin de sens, de résistance et d’empouvoirement, et il n’est pas anodin que certains courants féministes se réclament de la sorcellerie ou du paganisme. On pourra dès lors s’interroger sur les voies prises par cette réappropriation, croisant tradition, hybridation et réinvention, tout en prenant en compte les risques de dérives sectaires, entre emprise mentale et impérialisme culturel masqué (Luca 2008), ainsi que la manière dont ces pratiques, susceptibles d’attirer une mouvance anti-science, peuvent recouper des discours politiques liés à l’extrême droite.
Sciences occultes et création artistique : usages thématiques et méthodologiques
L’occulte, tout comme l’art, repose sur une manière de regarder le monde. Tous deux, par ailleurs, fonctionnent selon un mode symbolique. Il n’est donc pas surprenant que les sciences occultes aient fortement intéressé les artistes. Tandis que de nombreuses œuvres représentent l’occulte (les sorcières de Goya ou de Füssli, ou encore le Livre des tables de Victor Hugo), les sciences occultes sont parfois intégrées comme principe méthodologique dans le processus créatif. Ainsi, Nerval incorpore des éléments ésotériques et mystiques dans son écriture (Illouz 2010), tandis que Calvino, dans Le Château des destins croisés, utilise le tarot comme dispositif narratif structurant, créant des récits à partir des cartes tirées. Ces emprunts ne se limitent pas à la littérature : on peut penser à la Flûte enchantée, imprégnée de symbolisme maçonnique.
La photographie et le cinéma, qui offrent un accès à l’invisible (Fauchereau 2011, Malval 2023), méritent une attention particulière, car la technique qui les sous-tend a été largement investie par les pratiques occultes. À la fin du XIXe siècle, certains photographes y ont par exemple vu un moyen de prouver l’existence des esprits. Dans le panorama contemporain, David Lynch se distingue comme un cinéaste ayant exploité les ressources de l’occulte pour conduire le public au-delà – ou en-deçà – du réel.
Critique de et par l’occultisme
Il est intéressant de noter que l’occulte a également pu servir de méthode d’interprétation des textes. Jean Richer, par exemple, propose une lecture des Chimères de Nerval fondée sur le tarot (1990). Cela soulève alors la question de la valeur épistémologique de l’occultisme. À une vision critique, comme celle de Quentin Meillassoux (2006), qui déplore que le paradigme kantien ait contribué à la dissolution de la connaissance rationnelle, ouvrant ainsi la porte « au retour du religieux » et à une « forme d’obscurantisme contemporain », s’oppose le constat qu’il s’agit d’un champ d’étude fécond, d’un moyen de comprendre l’Autre.
L’anthropologue Ernesto de Martino (1963 et 2022) a ainsi examiné en profondeur la « démonologie » et les pratiques magiques des populations rurales du Sud de l’Italie, en tant qu’actes fondateurs de culture. Son approche permet de dépasser la séparation entre le monde populaire et le monde savant, tout en révélant les dynamiques de pouvoir cachées et les rapports entre l’hégémonie des classes dominantes et les dimensions subalternes, selon les termes d’Antonio Gramsci.
Ces réflexions invitent à examiner le statut et la valeur des connaissances issues des sciences occultes et la manière dont se structure l’opposition entre ces sciences et les sciences dites exactes ou du vivant. Elles soulèvent également la question de la distinction entre croyance et connaissance : celle-ci repose-t-elle sur des présupposés idéologiques ou sur une forme d’ethnocentrisme qui délégitimerait d’autres façons de comprendre le monde ? Dès lors, en quoi l’occulte peut-il enrichir nos recherches contemporaines ? Peut-il offrir de nouvelles perspectives sur nos objets d’étude et sur la nature même de la connaissance (Gral 2023) ? Quelles sont les précautions à adopter face à ces modalités de savoir ?
Modalités de contribution
Les propositions de contribution, rédigées en français en 700 mots maximum, doivent être adressées à l’adresse contact@revuetraitsdunion.org au format .doc, .docx, ou .odt, au plus tard le 25 octobre 2024.
Elles seront accompagnées d’une courte bibliographie indicative. Le colloque aura lieu en format hybride (visioconférence et présentiel) à la Maison de la Recherche de l’Université Sorbonne Nouvelle (4 rue des Irlandais, 75005 Paris), le 10 et 11 janvier 2025. Les interventions dureront 20 minutes. Les articles correspondants seront attendus pour le 17 février 2025. Merci de joindre aux propositions une courte bio-bibliographie de quelques lignes maximum (avec notamment votre statut, votre université et votre laboratoire de rattachement).
Une riche bibliographie est donnée. »
« Caché, secret, inconnu ? Statuts, valeurs et esthétiques des connaissances occultes », la revue Traits-d’Union appelle donc à contributions. À vos plumes !
Tout renseignement : Fabula, le site