Du site nos-colonnes.com
Quel franc-maçon n’a entendu le nom du Chevalier Michel de Ramsay ne serait-ce qu’une fois ? Le Chevalier de Ramsay et son fameux discours (en fait ses deux discours) est un incontournable de la mythologie maçonnique. L’a-t-on lu ? Pas forcément. Mais on en fait le principal inspirateur des hauts grades chevaleresques qui vont se développer dans la franc-maçonnerie française dès les années 1740. Les francs-maçons savent-ils cependant qui était le Chevalier de Ramsay, quelle fut sa vie et quelle était sa pensée ? Partons à la découverte de l’intriguant personnage que fut le Chevalier de Ramsay.
Histoire d’Andrew Michael Ramsay
L’origine d’Andrew Michael Ramsay, connu surtout en France comme Michel de Ramsay, ou le Chevalier de Ramsay, est controversée. On a longtemps affirmé qu’il était né à Ayr (sud-ouest de l’Écosse) en 1686 et que son père était boulanger. Une lettre de Ramsay, publiée seulement en 2018, tendrait à prouver qu’il était né en 1693 à Abbotshall (sud-est de l’Écosse), et que son père était pasteur. Son père était-il vraiment issu des Ramsay de Dalhousie et sa mère des Erskine de Mar, deux grandes familles de la noblesse écossaise ? Cela restera sans doute un mystère, mais c’est bien ce qui sera inscrit sur la patente que lui accorda en 1723 le Prétendant Jacques François Stuart (“The Old Pretender”, le fils du roi déchu Jacques II, 1688-1766).
Si Ramsay était bien fils de pasteur, cela explique mieux pourquoi il suivit des études de théologie à l’Université d’Edimbourg, dont il sortit Maître ès Arts en 1707. Mais cette date nous amène à remettre en question sa naissance en 1693, comme le prétend la lettre mentionnée ci-dessus : est-il vraisemblable que Ramsay ait terminé ses études universitaires à l’âge de 14 ans ? Bien des mystères entourent ce personnage…
Ramsay fut le tuteur des enfants du comte de Wermyss jusqu’en 1709 et se rendit alors aux Pays-Bas pour rencontrer le pasteur et théologien calviniste Pierre Poiret (1646-1719), avec qui il correspondait. Puis on le retrouve en 1710 à Cambray, auprès de Fénélon (1651-1715), alors archevêque de la ville. Alors qu’il était jusque-là plutôt déiste, Ramsay se convertit au catholicisme. Fénelon lui fit rencontrer Mme Guyon (1648-1717), alors à Blois, l’inspiratrice du Quiétisme français, un courant mystique mettant l’accent sur l’expérience spirituelle intérieure plutôt que sur la pratique extérieure de la religion. En 1714, Ramsay devint le secrétaire de Mme Guyon.
Mme Guyon
En 1715, Ramsay retourna en Écosse pour s’engager dans un régiment jacobite (c’est-à-dire fidèle à la dynastie des Stuart, détrônée en 1688), qui fut battu lors de la bataille de Preston en novembre de la même année. Il fut déporté aux Caraïbes, mais le bateau qui l’y emmenait avec d’autres condamnés fit l’objet d’une mutinerie et finit par accoster en France en septembre 1716. En 1717, il était à Blois pour la mort de Mme Guyon. Il entra alors au service d’une famille noble de l’entourage de la grande mystique, au titre de précepteur de leur fils cadet, poste qu’il occupa jusqu’en 1722.
Il s’installa alors à Paris et devint très actif dans les cercles jacobites. Pour récompenser son zèle et son dévouement, Jacques François Stuart (“The Old Pretender”, le fils du roi déchu Jacques II, 1688-1766) le recommanda au Régent du Royaume de France, Philippe d’Orléans (1674-1723), pour qu’il soit fait Chevalier de St-Lazare. La cérémonie d’adoubement eut lieu le 20 mai 1723, et le Régent lui accorda une rente annuelle de 2000 livres (environ 17.000 €). L’Ordre de St-Lazare, qui remonte aux Croisades, était devenu en France un ordre honorifique permettant à la couronne de récompenser ses plus fidèles serviteurs, et il fallait présenter huit quartiers de noblesse pour être admis Chevalier de Justice, le rang le plus commun. Par dérogation, ceux qui ne pouvaient pas prouver huit quartiers pouvaient être reçus Chevalier de Grâce, pour services rendus.
Or Ramsay fut reçu Chevalier de Justice, sans pouvoir prouver le moindre quartier de noblesse, ce qui est pour le moins étrange. Mais le 23 mai 1723, soit trois jours après la cérémonie d’adoubement, Jacques Stuart délivra à Ramsay une patente le reconnaissant descendant des Ramsay de Dalhousie et des Erskine de Mar. Nous ne saurons jamais si c’était vrai, ou s’il s’agissait d’une simple faveur accordée à un fidèle partisan…
Les honneurs s’enchaînèrent alors pour Ramsay, que Jacques Stuart nomma en 1724 tuteur de son fils Charles Édouard (“The Young Pretender”, ou affectueusement “Bonnie Prince Charlie”, 1720-1788) alors âgé de trois ans et demi, et lui ordonna de se rendre à Rome, où demeurait l’enfant. Des conflits au sein de la communauté jacobite en exil à Rome l’amenèrent à retourner en France.
De 1729 à 1730, Ramsay séjourna en Angleterre pour y diffuser ses écrits et fut nommé à la prestigieuse Royal Society, en même temps que Montesquieu. De retour en France, il tenta sans succès d’entrer à l’Académie Française.
En juin 1735, il se maria avec Mary Nairne, fille du Sous-Secrétaire de Jacques Stuart, et eut deux enfants. Son fils mourut malheureusement en bas âge et sa fille à l’âge de 19 ans. Trois mois avant le mariage, il avait reçu le titre héréditaire de Baronet d’Écosse.
Ramsay mourut en 1743, probablement d’une attaque cérébrale, et fut enterré dans l’église de Saint-Germain-en-Laye, au cœur du fief Jacobite en France.
Qui était vraiment Ramsay ?
L’histoire de Ramsay est assez rocambolesque quand on connaît l’incertitude qui plane autour de son origine familiale. Et l’on peut à bon droit se demander comment cet homme, dont l’origine noble (si elle est avérée) ne fut reconnue qu’en 1723, parvint à recevoir tant d’honneurs de la part des grands de ce monde, au point de devenir la coqueluche des Jacobites et le protégé du Cardinal de Fleury (1653-1743), qui sera l’homme fort de la France à partir de 1724 ? Dans tous les cas, le contexte historique fut certainement déterminant : quelle que soit leur naissance, Jacques François Stuart avait besoin de tous les hommes de qualité qui pouvaient le servir, et par ricochet, les Français soutenaient tout ce qui pouvait aider les Jacobites et nuire l’Angleterre hanovrienne.
Mais il faut aussi relever que Ramsay eut l’intelligence de mener l’essentiel de sa carrière en France et non en Écosse ou en Angleterre, où il lui aurait été beaucoup plus difficile de se prétendre noble s’il ne l’était pas. Les exilés jacobites étaient certainement plus à même que les Français de se prononcer sur l’extraction sociale de Ramsay, mais la reconnaissance de son ascendance par Jacques Stuart en 1723 reste mystérieuse. Pourquoi ne la délivrer que trois jours après sa réception comme Chevalier de St-Lazare ?
Chevalier de St Lazare
Le mystère s’épaissit encore quand l’on apprend que l’on ne connaît aucun portrait de Ramsay. C’est très étonnant pour un aristocrate, même de noblesse récemment acquise. En 1921, Arthur Waite, dans sa “New Encycopaedia of Freemasonry”, présenta comme portrait de Ramsay le dessin d’un Chevalier de St-Lazare inspiré de celui qui figure dans la monumentale histoire des Ordres religieux du Père Hélyot, publiée entre 1714 et 1748. C’est cette image que vous pouvez contempler ci-dessus. Les traits du personnage ne sont pas les mêmes que sur le dessin de l’ouvrage d’Hélyot, mais sont-ils ceux de Ramsay ? Un mystère de plus.
Ramsay franc-maçon
Officiellement, Ramsay fut initié à la Loge Tavern Horn de Westminster en 1730, lors de son séjour anglais de 1729-1730. Mais cette date semble fort tardive, tant étaient nombreux les francs-maçons dans les rangs jacobites. Il est beaucoup plus probable qu’il avait déjà été reçu franc-maçon dans une Loge jacobite en France, peut-être dès 1715. Dans ce cas, sa réception à Londres en 1730 n’aurait servi qu’à le régulariser aux yeux de la franc-maçonnerie “officielle” anglaise, qui ne reconnaissait pas les loges jacobites. Là encore, le mystère règne.
On sait par ailleurs assez peu de choses de la carrière maçonnique de Ramsay, mais on constate qu’il était en 1736 Grand Orateur de la première Grande Loge de France, sous la Grande Maîtrise de Charles Radcliffe Lord Derwentwater (1693-1748), qui sera d’ailleurs l’un des signataires de son acte de décès et assistera à ses funérailles en 1743.
Le fameux discours de 1736 fut prononcé par Ramsay devant la Loge St Thomas n°1 à Paris, composée surtout de Frères anglais. Il devait prononcer une version modifiée de ce discours l’année suivante devant la Grande Loge, mais il souhaita d’abord demander l’avis et la bénédiction du Cardinal de Fleury, son protecteur. Le Cardinal lui intima l’ordre de ne pas le prononcer, et après ce désaveu, il semble que Ramsay ait cessé toute activité maçonnique.
La pensée de Ramsay et les deux discours
Si l’histoire de Ramsay est pleine de mystère, sa vie intérieure et intellectuelle est elle aussi l’expression d’une personnalité complexe, en quête de paix spirituelle. Il semble qu’il était déiste quand il débarqua en Europe en 1709, ce qui n’est pas étonnant, car cette position était très fréquente dans les facultés de théologie protestante au XVIIIe. Mais il était manifestement en recherche spirituelle, comme l’atteste sa correspondance avec Pierre Poiret, pasteur et théologien calviniste de tendance mystique. C’est lui qu’il rencontra en premier sur le continent. Puis, probablement sur les conseils du pasteur Poiret, il se rendit auprès de Fénélon, chez qui il se convertit au catholicisme, et de Mme Guyon.
Ces trois personnes que Ramsay rencontra sont au centre d’une constellation dominée par la figure de Mme Guyon. Il s’agit du quiétisme, qui enseignait le pur abandon à l’amour de Dieu, dans une attitude de simple réceptivité, sans aucune pratique extérieure. Ce mouvement fut condamné par l’Église Catholique, qui y voyait une forme de contestation des sacrements et de la discipline ecclésiastique, et ne survécut que dans le protestantisme, notamment grâce au pasteur Poiret, et influença fortement les Quakers, les Méthodistes de John Wesley et le piétisme allemand.
L’influence du Quiétisme fut majeure dans la pensée de Ramsay. Il lui doit sa conception d’un Christianisme universaliste, pour lequel les différences confessionnelles n’ont aucune importance. En cela, la sensibilité quiétiste rejoignait le volonté clairement exprimée dans les Constitutions d’Anderson, qui entendaient faire de la franc-maçonnerie le lieu de réunion d’hommes de confessions différentes, pourvu qu’ils fussent hommes de bien.
Discours de Ramsay
C’est cela qu’exprime Ramsay dans son discours, aussi bien dans la version de 1736 que dans celle de 1737. Et son universalisme spirituel le fait largement dépasser les limites du christianisme. Sa pensée est enracinée dans un ésotérisme d’abord biblique et Salomonien qui embrasse ensuite les initiations antiques, notamment grecques et égyptiennes. Ramsay était un vrai Noachites, convaincu de l’existence d’une forme de spiritualité universelle qui remonterait symboliquement à Noé et transcenderait les religions apparues plus tard parmi les humains. Il convient de préciser que l’allusion au noachisme du discours de 1736 précède de deux ans l’introduction de cette notion dans les Constitutions d’Anderson, dans son édition de 1738. Anderson a-t-il sur ce point été influencé par Ramsay ? Si tel est le cas, le discours de Ramsay serait un texte fondateur de la franc-maçonnerie universelle et non seulement de la franc-maçonnerie française.
On retient généralement du discours de Ramsay qu’il fut le premier à établir un lien entre la franc-maçonnerie et les Croisades, ouvrant ainsi la voie au développement des hauts grades chevaleresques et templiers. C’est surtout la seconde version, celle de 1737, qui développa ce thème. Ce discours ne fut jamais prononcé, mais fut probablement diffusé par écrit. Il était adressé à un auditoire surtout français, alors que le premier avait été adressé à une Loge à majorité anglaise. Si le contenu central est le même, le premier discours de 1736 restait plus proche de l’esprit des Constitutions d’Anderson de 1723, insistant avantage sur la symbolique Salomonienne de l’art gothique, les Arts Libéraux et les thèmes bibliques. Les Croisades n’y sont qu’un épisode, à la fin du discours, expliquant le nom de Loge de St Jean par l’alliance avec les Hospitaliers de St Jean de Jérusalem. Dans le second discours de 1737, ce thème est amplifié et placé en deux endroits du texte.
On a le sentiment que Ramsay comprenait que les francs-maçons français seraient moins attirés par la symbolique biblique et opérative de la franc-maçonnerie de métier que leurs homologues anglais, et seraient plus séduits par une origine chevaleresque. La suite de l’histoire allait lui donner raison.
Il semble qu’il y ait eu beaucoup plus que deux versions du discours, on parle de huit versions, les suivantes étant des déclinaisons du deuxième discours.
Il faut également remarquer l’absence de toute référence au Compagnonnage Opératif dans les discours, comme si il y avait eu une volonté délibérée d’effacer l’origine roturière de la FM, pour lui substituer une origine Templière, chevaleresque, indissociable de la noblesse.
On peut aussi relever que le Pape Clement a interdit la FM justement en 1738 ce qui essayait de couper la diffusion des écrits de Ramsay.