Les Chroniques d’histoire maçonnique n°93 (Printemps-Été 2024) plongent le lecteur dans une période de grande turbulence pour la franc-maçonnerie, marquée par des conflits idéologiques et des épreuves historiques majeures.
Ce dossier, richement documenté, dévoile les luttes et les résistances d’un ordre sous siège, offrant une perspective fascinante et essentielle pour comprendre les dynamiques de pouvoir et de croyance qui ont façonné cette époque.
Les Chroniques d’histoire maçonnique nous livrent, avec ce numéro 93, un dossier fascinant et rigoureusement documenté sur la franc-maçonnerie dans une période de grandes turbulences, s’étendant de 1896 à 1918.
L’époque couverte par ce numéro est marquée par des bouleversements profonds. Les vingt années qui séparent la République radicale de la Première Guerre mondiale sont particulièrement intéressantes pour comprendre l’influence politique et sociale de la franc-maçonnerie en France. Cette période voit la franc-maçonnerie atteindre un sommet de son influence, mais aussi subir de violentes attaques et une remise en question exacerbée par la montée de l’antimaçonnisme, notamment visible à l’international.
Le premier article du dossier, signé par Dan Rouyer, explore le 1er Congrès antimaçonnique international de Trente (1896). Cet événement, symbolique de la mobilisation catholique contre la franc-maçonnerie, est disséqué à travers les outils, discours et pratiques politiques de l’époque. Dan Rouyer réussit à rendre palpable l’ambiance tendue de ce congrès et à montrer comment ces dynamiques se sont inscrites dans une lutte plus vaste contre l’influence maçonnique.
Le premier Congrès antimaçonnique de Trente débuta le 26 septembre 1896, alors que la ville faisait partie de l’empire austro-hongrois.
Organisé par la Ligue internationale antimaçonnique, fondée à Rome en 1893 et présidée par le prince de Loewenstein, ce congrès abordait des sujets comme l’existence de Diana Vaughan, une prétendue palladiste convertie au catholicisme, exposée plus tard comme un canular par Gabriel Jogand-Pagès, dit Léo Taxil. Les quatre sessions de travail prévues traitaient de la doctrine et de l’action maçonnique, de la prière et de l’action antimaçonnique. Le congrès recommandait la diffusion d’ouvrages antimaçonniques et l’établissement d’une commission d’étude permanente, tout en associant la critique du clergé à une propagande pro-maçonnique. Les actes furent publiés à Tournai en 1897.
Franc-maçon depuis 1979, François Cavaignac, docteur en histoire (Sorbonne) et cadre supérieur de la fonction publique (administrateur civil) à la retraite, nous propose ensuite une étude approfondie de la façon dont le Grand Orient de France a traversé les épreuves de la Première Guerre mondiale. En s’appuyant sur des archives inédites, l’auteur montre comment l’organisation a navigué à travers les défis posés par le conflit, tout en maintenant ses activités et en adaptant ses pratiques. L’auteur publie, entre autres, un tableau retraçant la composition sociologique des membres du Conseil de l’Ordre. Pour ensuite s’attacher, notamment, à présenter Georges Corneau, Grand Maître du Grand Orient de France (GODF) de 1913 à 1920 et vice-président du conseil général des Ardennes, une figure emblématique qui a marqué de son empreinte la franc-maçonnerie française.
Né le 4 avril 1855 à Verdun, il s’éteint le 22 octobre 1934, laissant derrière lui un héritage riche et complexe. Avocat de profession, Georges Corneau se distingue par son éloquence et son engagement en faveur des idéaux républicains et laïques. Son entrée dans la franc-maçonnerie marque le début d’une ascension rapide au sein du GODF, où il devient Grand Maître. Son mandat est marqué par une défense vigoureuse des valeurs laïques, à une époque où la séparation de l’Église et de l’État constitue un enjeu crucial pour la République française. Corneau voit en la franc-maçonnerie non seulement un lieu de fraternité, mais aussi un instrument puissant de progrès social et moral.
Sous sa direction, le GODF intensifie son engagement humanitaire et social, promouvant des initiatives qui visent à améliorer le bien-être général tout en s’opposant fermement à l’antimaçonnisme, un courant virulent de son époque. Georeges Corneau s’emploie à démystifier les idées reçues et les préjugés autour de la franc-maçonnerie, encourageant la publication d’ouvrages et d’études qui éclairent le public sur ses véritables objectifs. Parallèlement à ses responsabilités maçonniques, Georges Corneau est un écrivain prolifique. Ses œuvres et articles, empreints de ses convictions profondes, reflètent son engagement inébranlable pour la justice sociale, la tolérance et la fraternité universelle. Sa plume se fait l’écho de ses idéaux, défendant ardemment les principes de la franc-maçonnerie et répondant aux critiques avec une argumentation rigoureuse.
L’influence de Georges Corneau dépasse largement son époque. Son action en faveur des valeurs républicaines et laïques, son combat contre l’intolérance et les préjugés, continuent d’inspirer les francs-maçons d’aujourd’hui. Son passage à la tête du GODF est souvent cité comme une période de renforcement et de clarification des objectifs de l’obédience, marquant un tournant décisif dans l’histoire de la franc-maçonnerie française. En somme, Georges Corneau est bien plus qu’un simple dirigeant maçonnique ; il est une figure de proue dont l’engagement et l’œuvre littéraire témoignent d’une vie dédiée à la quête de justice, de liberté et de fraternité. Son héritage demeure une source d’inspiration durable pour tous ceux qui partagent ses idéaux humanistes et républicains.
La partie « Portrait » nous introduit à Pierre Catineau Laroche (1772-1828), un franc-maçon aux multiples facettes. Administrateur, explorateur et lexicographe, Laroche est ici présenté par François Gaudin qui réussit à capturer l’essence de ce personnage complexe et son apport aux études maçonniques.
La couverture de ce numéro, qui présente une photographie de la tribune de la présidence dans l’église San Francesco Saverio de Trente, lors de la séance d’inauguration du 1er Congrès antimaçonnique international en septembre 1896, est un choix pertinent qui contextualise immédiatement le lecteur.
En somme, ce numéro 93 des Chroniques d’histoire maçonnique offre une plongée érudite et captivante dans une période cruciale de l’histoire de la franc-maçonnerie. Les articles, richement documentés, nous invitent à réfléchir aux dynamiques de pouvoir, aux luttes idéologiques et aux figures emblématiques qui ont marqué cette époque. Une lecture essentielle pour les passionnés d’histoire maçonnique et les curieux de l’histoire politique et sociale de la fin du XIXe et du début du XXe siècle.
Chroniques d’histoire maçonnique – Dossier « La franc-maçonnerie dans la tourmente » (1896-1918)
Collectif – Institut d’Études et de Recherches Maçonniques, N° 93, Printemps-Été 2024, 80 pages, 14 € port inclus. CHM, à acheter sur le site de Conform édition.