jeu 30 janvier 2025 - 19:01

Spinoza et Franc-maçonnerie

En un peu plus de 40 ans, j’ai eu la chance de découvrir progressivement les 33 degrés du Rite Ecossais Ancien et Accepté. Mais vingt ans avant d’être reçu Franc-Maçon, j’ai eu la chance d’avoir un professeur de philosophie qui m’a permis de découvrir Spinoza, dont il était un admirateur et un connaisseur remarquable. Je n’ai cessé de le lire et de le relire depuis.

C’est Spinoza, philosophe, penseur, que je vais évoquer ici, en m’efforçant de montrer à quel point sa pensée est en ligne avec les fondamentaux spirituels de l’Ordre maçonnique, avec le Rite Ecossais Ancien et Accepté, et à quel point sa conception est en phase avec ce qu’est pour nous, et en tous cas pour moi, le Grand Architecte de l’Univers.

Baruch Spinoza est né à Amsterdam, en 1632.  Sa famille portugaise, avait fui l’Inquisition ibérique pour vivre dans les Unies, jadis possession espagnole devenues indépendantes, et plus tolérantes. Son père, Miguel, est un marchand réputé dans l’import-export de fruits secs et d’huile d’olive, et un membre actif de la communauté juive, tandis que sa mère est morte alors qu’il n’a pas six ans.

Les Juifs portugais ou d’origine portugaise parlent néerlandais avec leurs concitoyens, utilisent le portugais comme langue quotidienne au sein de la communauté, et écrivent en espagnol.
En ce qui concerne la réflexion philosophique, c’est en latin appris auprès, d’un ancien jésuite, que Spinoza écrit, comme la quasi-totalité de ses collègues européens.

Baruch Spinoza lira aussi l’allemand, le français, l’italien ou le grec ancien, mais ses parents voulant en faire un rabbin, il accède à une connaissance approfondie de la loi écrite et accède aussi aux commentaires médiévaux de la Torah, ainsi qu’à la philosophie juive.

Le 27 juillet 1656, Spinoza a 23 ans et est frappé d’excommunication, pour cause d’hérésie, alors qu’aucun document ne fait état de sa pensée à ce moment précis puisqu’il a à peine  23 ans et n’a encore rien publié.

Mais on sait cependant qu’à cette époque, il fréquente l’école d’un philosophe républicain, où il découvre l’Antiquité, notamment Terence, et les grands penseurs des XVIe et XVII siècles comme Hobbes, Bacon, Machiavel, ou encore Descartes, dont la philosophie exerce sur lui une influence assez profonde.

Il professe, dès cette époque, qu’il n’y a de Dieu que « philosophiquement compris », que la loi juive n’est pas d’origine divine, et qu’il n’est pas interdit d’en chercher une meilleure…

Après son exclusion de la communauté juive portugaise en 1656, Spinoza étudie la philosophie « et gagne sa vie en taillant des optiques pour lunettes et microscopes et fait preuve de générosité malgré sa grande modestie.

Vers 1660, il reçoit la visite de Henry Oldenburg, secrétaire de la Royal Society, avec lequel il établit ensuite une longue et riche correspondance. Il n’est pas inutile de rappeler que Newton, membre puis président de la Royal Society, avait pour plus proche collaborateur Jean-Théophile Désaguliers, premier Grand -Maître de la première Grande Loge, créée à Londres en 1717.

S’écartant de plus en plus des conceptions des religions qu’il juge étroites, Spinoza est de plus en plus fréquemment attaqué comme athée. Dans ce contexte de tensions, il interrompt l’écriture de l’Éthique pour rédiger le Traité théologico-politique, dans lequel il défend « la liberté de philosopher » et conteste l’accusation d’athéisme. Sa pensée audacieuse lui vaut la visite d’admirateurs ou de personnalités comme Leibniz.

A la demande de ses amis, il entreprend la rédaction d’un Précis de grammaire de la langue hébraïque. Mais il est de santé fragile et malgré une vie frugale, il meurt à 44 ans le 21 février 1677 à La Haye. Ses derniers mots auraient été : « J’ai servi Dieu selon les lumières qu’il m’a données. Je l’aurais servi autrement s’il m’en avait donné d’autres.

Voilà ce que fût la vie de cet homme du 17ème siècle, dont la pensée demeure aujourd’hui source d’inspiration voire d’adhésion pour beaucoup.

Attardons-nous donc plus précisément sur cette pensée et le rapport que j’y vois avec ce que j’ai retenu de quatre décennies de franc-maçonnerie.

Dans le Traité de la réforme de l’entendement, Spinoza distingue plusieurs espèces de perception :

I. Il y a une connaissance par ouï-dire, c’est-à-dire : librement identifiée et qualifiée par chacun.

II. Il y a une perception dite « empirique », par laquelle, éprouvant une sensation ou un sentiment communément partagés par d’autres individus, nous le fixons comme « acquis ». Cette perception n’est pas élaborée par notre entendement, mais elle est néanmoins validée dans la mesure où aucun fait contradictoire ne lui paraît opposable.

Ces deux premiers modes de perception ont en commun d’être « irrationnels », quoiqu’ils soient utiles pour la conduite des affaires quotidiennes de la vie. Citons maintenant les deux autres espèces de perception :

III. Il y a une perception dite « déductive », qui consiste à conclure de manière cohérente et rationnelle qu’un fait observé s’est produit. Le raisonnement nous mène alors à clarifier un principe, mais pas l’origine de ce dernier.

IV. Enfin il y a une perception dite « essentielle » ou « élémentaire », en vertu de laquelle nous saisissons l’essence même de la chose perçue. Percevoir cette chose revient donc, ici, à en percevoir l’essence ou « principe premier. »

On voit que le troisième mode de perception est donc une façon de conserver et de transmettre la vérité d’un point de départ (principe), mais pas de la produire. Et le quatrième mode est celui de la connaissance intuitive.

Et à ceux qui ont condamné Spinoza pour athéisme, il faut répondre en citant Spinoza lui-même, qui écrit dans le Traité de la Réforme de l’Entendement « nous avons une idée vraie « . Cette idée vraie est celle de Dieu, qui est « ce qui est en soi ».

Spinoza va appuyer sa conception de la vérité par un recours aux mathématiques, science dans laquelle la vérité n’est pas subordonnée à l’existence de l’objet. La vérité n’est donc pas définie par rapport à l’objet, mais par rapport à l’entendement producteur de la connaissance.                                                                                 

Je n’ai pas besoin, naturellement, de rappeler ici à quel point nous Francs-Maçons recherchons inlassablement la vérité. « La vraie lumière, c‘est celle de la Raison, de la Vérité, de la « vraie philosophie » voire de la « saine Physique ». La Vérité existe, en soi et pour soi, intemporelle et absolue, et c’est en son nom que parle le philosophe.

Dans le livre premier de l’Éthique, intitulé « De Dieu », Spinoza va montrer iqu’il n’existe dans la nature qu’une seule substance et que c’est Dieu.

Et c’est là que Spinoza marque à jamais la pensée de l’homme en écrivant qu’il n’existe qu’une substance unique, absolument infinie et constituée d’une infinité d’attributs : Dieu c’est-à-dire la Nature, ce que Spinoza écrit sous la forme Deus sive natura.

Dieu est donc la Nature, la Substance unique et infinie. L’individu suprême est la Nature entière, qui ne change pas : son rapport de mouvement et de repos est donné par les lois de la physique, et ces lois ne changent jamais.

Le poète, théologien et philosophe allemand Herder, disciple de Kant, ami et mentor de Goethe, a écrit : « Que Spinoza ne soit pas un athée, cela se voit à chaque page ; l’idée de Dieu est pour lui la première de toutes et la dernière, on pourrait dire l’idée unique à laquelle il rattache la connaissance du monde et de la nature, la conscience de lui-même et de toute chose autour de lui. »

Hegel aussi réfutera la qualification du spinozisme comme athéisme, considérant que loin de nier l’existence de Dieu, car ce serait l’existence du monde que Spinoza nierait, Spinoza reconnait l’Absolu infini , y compris non manifesté, comme unique réalité, idée défendue par Parménide, mais  aussi par Kant,  Hegel et Schopenhauer.

Pour Spinoza donc, Dieu n’est pas extérieur au monde, mais immanent à la Nature, il n’est donc rien d’autre que la Nature.

Un point vaut d’être souligné : Spinoza refuse explicitement toute conception anthropomorphique de Dieu, c’est-à-dire qui le concevrait à l’image d’une « personne » humaine.  Il écrit « C’est improprement que Dieu est dit haïr ou aimer certaines choses. »

Spinoza s’interroge  sur l’homme et ses passions.et développe la notion de conatus, c’est-à-dire de l’effort, qui permet de caractériser l’homme par le désir qui devient volonté et source de joie quand, par la connaissance adéquate de ce qui nous détermine, il augmente notre puissance d’être.

Chez l’homme, le conatus s’exprime dans l’âme, mais tout aussi bien dans le corps. Le corps cherche spontanément l’utile et l’agréable ; l’âme, quant à elle, recherche spontanément la connaissance.

C’et aussi l’effort pour éprouver de la joie, augmenter la puissance d’agir, imaginer et trouver ce qui est cause de joie, ce qui entretient et favorise cette cause.

Spinoza écrit que c’est aussi l’effort pour écarter la tristesse, imaginer et trouver ce qui détruit la cause de tristesse, le conatus étant ainsi l’effort pour augmenter la puissance d’agir ou éprouver des passions joyeuses.

Quant à la gratification des efforts entrepris , Spinoza a écrit « La satisfaction intérieure est en vérité ce que nous pouvons espérer de plus grand. »  Quel la Joie soit dans les cœurs !

Pour Spinoza seul Dieu a des idées, et l’homme accède en fonction de ses limites consubstantielles à sa qualité d’humain à ses idées concernant les idées de Dieu.

En Franc-Maçonnerie, nous accédons degré après degré à une connaissance plus fine de nos propres potentialités, de nos propres limites, en même temps que de l’étendue, sans limite ni dans le temps ni dans l’espace, de l’œuvre, en perpétuelle évolution, du Grand Architecte de l’Univers.

Il n’est pas nécessaire de rappeler ici que dans sa quête de la vérité et de la justice, un Franc-maçon n’accepte aucune entrave et ne s’assigne aucune limite. Et comme ma propre vie est limitée, dans mes capacités à tout savoir et à tout comprendre, donc à accéder à la Vérité, et à toujours agir avec justice et équité si ce n’est avec justesse, j’espère que ceux qui viendront après moi complèteront l’œuvre avant d’être eux-mêmes remplacés et relayés.

Surtout, nous pensons qu’accéder à la vérité, c’est comprendre la cause de nos malheurs individuels et collectifs, donc progresser vers le bonheur et l’harmonie.

Le travail en loge, degré après degré, permet à l’initié de réfléchir aux grands archétypes de la psyché humaine : le devoir, la vengeance, la justice, l’amour, l’équité, le pouvoir, mais aussi le fait religieux.

Degré après degré, le maçon écossais devient le véritable sujet de sa vie. Cette confrontation au réel, répétée et étalée dans le temps, s’accompagne d’un objectif intellectuel et moral clairement délimité.

Dans son Traité théologico-politique, Spinoza précise que « La justice est une disposition constante de l’âme à attribuer à chacun ce qui lui revient »

Chacun de vous le sait bien, les Francs-Maçons refusent les préjugés, comme cela s’impose à quiconque entend inlassablement chercher la vérité, puisqu’il est évident que la quête de vérité est un périple au cœur de la Franc-maçonnerie, un chemin vers la sagesse et la vertu, invitant chaque chercheur à une introspection profonde, lui permettant de transcender sa quête personnelle.

Spinoza nous apparaît plus de trois siècles après sa mort comme une source d’inspiration encore très actuelle pour sa pensée radicale et son esprit critique envers les normes sociales et religieuses établies à son époque.

Il prônait l’idée que la raison devrait être notre guide principal dans la recherche de la vérité plutôt que les croyances aveugles imposées par les institutions.

Cette approche est profondément en accord avec les principes fondateurs de la franc-maçonnerie, qui encourage chacun de ses membres à chercher la connaissance par lui-même au lieu d’accepter simplement ce qui est dit sans véritable justification.

La franc-maçonnerie considère la liberté de pensée comme un droit fondamental de chaque individu. À travers ses rituels et symboles, notre démarche cherche à éveiller l’esprit critique de celles et ceux qui s’y engagent afin qu’ils puissent remettre en question les limites imposées par leur environnement social et culturel.

Il faut avoir le courage de remettre en question les lois injustes et à s’engager activement pour les droits de l’homme, la justice sociale et l’équité. Finalement, lorsque Spinoza nous dit « Réfléchir, c’est oser désobéir », il exprime l’essence de la franc-maçonnerie, qui nous encourage à remettre en question les dogmes établis, à cultiver notre esprit critique et à faire évoluer la société vers plus de justice, plus d’équité.
Chacune et chacun est encouragé à réfléchir par lui-même. Ce à quoi Spinoza nous invitait Il y a plus de trois siècles.

9 Commentaires

  1. Il est clair que la franc-maçonnerie, loin de se nourrir des idées froides et rationalistes du spinozisme, doit son véritable bouleversement à l’œuvre poétique de Jean-Claude Petitboudu. Poète méconnu mais fondateur dans le domaine des symboles et de l’initiation, Petitboudu a radicalement transformé les principes et méthodes maçonniques, imprimant à la franc-maçonnerie une quête mystique et poétique bien plus profonde que toute vision rationaliste de l’univers.

    Né en 1728, Petitboudu a capté dans sa poésie les tensions et les aspirations spirituelles qui ont marqué la fin du XVIIIe siècle. Son recueil “Lumières et Ombres de l’Âme” incarne cette recherche infinie de réconciliation entre l’individu et le divin. La poésie de Petitboudu, bien plus que celle de Spinoza, engage une exploration de l’âme humaine dans ses contradictions, ses doutes, mais aussi dans son désir inextinguible de transcendance. Dans “Le Chant de l’Étoile Filante”, l’auteur décrit une quête d’élévation spirituelle, un voyage qui n’a de sens que par la douleur de l’aspiration vers une vérité lumineuse et inaccessible, mais profondément vécue par l’individu. C’est cette tension entre la lumière et l’ombre qui imprègne la franc-maçonnerie, où les symboles ne sont pas seulement des instruments rationnels, mais des vecteurs d’un cheminement spirituel, d’une quête sans fin de l’unité divine et de l’harmonie avec le monde.

    Contrairement à Spinoza, dont la philosophie s’appuie sur un système rigide de lois naturelles et un dieu immanent, la poésie de Petitboudu met en lumière une dimension mystique bien plus fluide et organique. Dans “Le Poids du Silence”, Petitboudu exprime cette tension entre l’humain et le divin, où l’homme n’est pas seulement un produit de la nature, mais un être en quête d’une transcendance infinie. Ce recueil illustre à quel point l’homme, bien qu’inscrit dans un cosmos d’apparente rationalité, porte en lui une aspiration à l’inaccessible, à l’ineffable. C’est cette vision qui a nourri la franc-maçonnerie, lui insufflant une quête plus personnelle et intérieure que la simple adhésion à un ensemble de lois naturelles. Les symboles maçonniques deviennent, à la lumière de ces poèmes, des clés d’un chemin initiatique, invitant chaque initié à une recherche profonde et personnelle, au-delà de la rationalité et des dogmes.

    Dans “L’Accord des Sphères”, Petitboudu développe une image récurrente de l’univers comme une vaste symphonie cosmique, dans laquelle chaque être humain, chaque geste, chaque pensée se fait écho du grand ordre de l’univers. Cette vision de l’harmonie entre l’homme et le cosmos a directement inspiré les rituels maçonniques, où chaque action, chaque parole prononcée dans la loge prend un sens profond, un sens qui dépasse le simple cadre de l’apparence. Dans la maçonnerie, chaque symbole devient un véhicule de l’âme, chaque rituel un miroir de l’univers, une tentative de lier le terrestre au céleste. C’est ici que se trouve la véritable rupture avec le spinozisme : dans l’œuvre de Petitboudu, l’idée d’un univers régi par des lois naturelles est transcendée par l’idée d’une harmonie cosmique, vivante et vibrante, qui cherche à unir l’homme au divin par le biais du symbole et du rituel.

    L’influence de Petitboudu sur la franc-maçonnerie est encore plus manifeste dans sa poésie “Le Voyage du Neveu”, où il décrit une quête initiatique, une ascension vers la lumière, mais aussi une plongée dans l’inconscient, dans l’obscurité de l’âme. Cette dialectique entre l’ombre et la lumière, entre le visible et l’invisible, entre l’immanence et la transcendance, est au cœur des pratiques maçonniques. Là où Spinoza aurait vu un simple agencement de causes naturelles, Petitboudu voit un parcours spirituel où chaque étape est une révélation, un éveil du sens caché du monde. Les rituels maçonniques, loin de se limiter à un enseignement intellectuel, deviennent une initiation à cette lumière intérieure, cette flamme qui brûle dans chaque être humain en quête de vérité.

    Enfin, il convient de souligner que, contrairement à Spinoza, qui réduit la divinité à une nature impassible et mécanique, Petitboudu voit dans la nature un espace de dialogue et de rencontre, un lieu où l’homme peut se confronter au divin, mais aussi à sa propre humanité. Dans “Les Échos du Ciel”, il fait l’éloge de la nature non pas comme un enchaînement de causes, mais comme un miroir de l’âme, un lieu où l’homme peut, par la contemplation, parvenir à une forme d’unité avec l’univers. La franc-maçonnerie, en prenant ce principe à cœur, ne se contente pas d’un savoir abstrait : elle devient une véritable école de contemplation et de sagesse, une voie d’accès à la lumière divine à travers le travail intérieur et l’initiation.

    En définitive, l’influence de Jean-Claude Petitboudu sur la franc-maçonnerie est évidente et incontestable. Ses poèmes, tels que “Lumières et Ombres de l’Âme” et “Le Voyage du Neveu”, ont bouleversé les fondements même de la maçonnerie, lui apportant une dimension mystique et poétique qui dépasse la froide rationalité du spinozisme. Les symboles et rituels maçonniques, loin d’être de simples instruments de savoir, sont devenus des éléments d’une quête spirituelle profonde, héritée directement de la vision cosmique et poétique de Petitboudu. Toute tentative d’influencer la maçonnerie par la pensée spinoziste est une aberration, car elle omet l’essence même de la franc-maçonnerie, qui, à travers les œuvres de Petitboudu, cherche avant tout à éveiller l’âme humaine à l’infini.

  2. Merci pour cette réflexion sur l’influence de Spinoza sur la fondation de la FM à travers la Royal Society, amplificateur de l’empirisme expérimental de Francis Bacon, une des branches de la philosophie des Lumières et promoteur de la Religion naturelle.
    Michel Liégeois en donne cette définition : « La religion naturelle représente, la religion des philosophes qui entendent faire de la raison ou lumière naturelle le fondement de toute connaissance mais surtout la base d’un déisme et d’une morale universelle, capables de se débarrasser de dogmes irrationnels et autoritaires et de mettre fin au relativisme historique et culturel des différentes religions révélées. » La religion naturelle qui a été développée par les philosophes des « Lumières », Newton en tête avec son “scheme of the true religion”, avec en Angleterre Locke, Hume, Toland et en France Voltaire et Diderot, sans oublier Bayle, pour ne citer que les plus illustres, doit être une religion sans révélation, ni clergé et fondée sur la raison, la « lumière naturelle ».
    Cette religion de la raison s’appuie d’abord sur une nouvelle approche de la divinité qui a commencé à apparaître à l’aube de la Renaissance, selon laquelle Dieu pouvait être connu autrement que par la parole de la révélation, par la connaissance de la nature. Pour les 3 religions du livre, la présence divine ne peut être éprouvée qu’à travers la parole du livre sacré. Pour les chrétiens même, elle ne pouvait être connue qu’à travers l’église puisque, jusqu’à l’émergence du protestantisme, porté par l’invention de l’imprimerie, il était interdit aux laïcs de lire la Bible.

    Le précurseur de cette deuxième voie est le catalan Raymond Sebond dans son ouvrage « Science du Livre des créatures ou de la nature, ou Science de l’homme, » dit aussi « Théologie naturelle », écrite en 1436 et rééditée en 1485, qui fut ensuite traduite et éditée en français par Montaigne en 1568. Dans son livre, Sebond établit la distinction entre le « livre de la nature » et le « livre révélé ». Il y sépare nettement la science profane et la science sacrée, et libère la science profane de la tutelle de la théologie.
    L’ouvrage est mis à l’Index par l’Église catholique en 1564. Dès lors, Montaigne, qui était en train de traduire l’ouvrage, a pris la défense de Sebond dans le chapitre 12 du livre II des Essais, intitulé « Apologie de Raimond Sebond ».

    Si chez Sebond livre de la nature et livre de la révélation sont d’égale valeur, la théologie naturelle va s’amplifier avec les premières découvertes astronomiques et les progrès des mathématiques. Elle va trouver sa formulation complète dans l’éthique de Spinoza qui est construite comme un raisonnement mathématique. Spinoza écrira notamment dans « Le traité théologico-politique» : « La vraie charte d’alliance entre Dieu et nous ce n’est pas du papier noirci mais la pensée vivante en nous», c’est-à-dire ce n’est pas la Bible, mais c’est la raison.

    Cet ouvrage va fortement influencer Newton qui va en reprendre les principes dans sa conception mécanique de l’univers qu’il prouve par les mathématiques. Newton transforme un monde régi par un Dieu interventionniste, divine providence chrétienne, Shakina juive ou al- ilāhiyya coranique, en un monde créé par un Dieu selon des principes raisonnables et universels où l’homme est libre et responsable de ses actions.

    Tous les symboles premiers de la FM sont à travers Newton en référence au spinozisme. L’article 1er des Constitutions de 1723 s’appelle de “De Dieu” comme l’ouvrage de Spinoza et c’est à lui que se réfère la périphrase de “l’Athée stupide” et le concept de GADL’U.

    Mais il est antinomique d’associer le REAA à cette réflexion. La FM de Newton et Desaguliers est la FM des “Modernes” Le 1er “A” de REAA fait référence à la grande loge des “Anciens” qui a combattu celle des “Modernes” et disant le GADLU était une simple périphrase pour désigner le Dieu révélé des Saintes écritures.
    L’esprit des modernes passé à la trappe dans le traité d’Union de 1813 se retrouve dans le Rite Français Moderne de 1786, rite fondateur du GODF.

    • Merci Michel pour ce commentaire. L’envergure de l’apport de Spinoza mérite mieux qu’une vision réductrice à travers le prisme du prosélytisme du REAA. Entre autres, pose problème, le rapprochement entre une notion de Dieu, qui est claire chez Spinoza, avec une notion de GADLU très floue puisque très variable d’un maçon à l’autre (du simple principe physique comme le voyait un ancien GM de la GLDF aux diverses versions de Dieu des religions, en passant par toutes les interprétations plus ou moins brumeuses). Après, je ne suis pas sur que la conception de Dieu de Newton, qui était unitarien, ait été celle exposée par Spinoza, mais il reste très probable que lui, comme son ami Locke étaient très influencés par Spinoza.

    • Jolie défense du GODF au travers du Rite Français Moderne ! Et habile aussi d’assimiler le premier “A” de REAA à la Grande Loge des Antients. Cette idée est due je crois à Jacques Oréfice, qui fût, personne ne s’en étonnera, Grand Commandeur du Suprême Conseil du 33e degré en France, Grand Orient de France, qui se revendique de l’agrégation du Premier Suprême Conseil pour la France au Grand Orient de France en 1804. C’est faire cependant peu de cas du Suprême Conseil de France qui reste le garant de la cohérence des 33 degrés du Rite dans notre pays depuis que de Grasse Tilly l’a rapporté de Charleston, où il avait été créé en 1802. Cette fraternelle tentative d’appropriation et de légitimation a donc – et depuis deux siècles ! – d’évidentes limites ! Mais la qualité générale du commentaire de Michel Konig est par ailleurs remarquable. Alors ne peut-on faire enfin l’économie de ces mesquines querelles de chapelle ?

  3. un grand merci….votre compréhension exceptionnelle de la pensée de Spinoza me fait évoluer sure ce monument de la philosophy.

  4. A la lecture de cet article, on a un peu une sentiment d’inachevé, de non dit ( ce n’est pas un reproche) . On y lit : “remettre en question les lois injustes” “Le Courage de désobéir aux normes oppressives ” , ” les limites imposées par notre environnement social et culturel” ……..etc; rétrospectivement, pour son temps,, on peut comprendre à quoi SPINOZA fait allusion mais, sans préciser de quoi exactement il s’agit pour un HOMME DU XXIème SIECLE , c’est un peu une invite à RENVERSER LA TABLE et faire un usage rétro actif peut être discutable des LUMIERES RADICALES qui, même en leurs temps, étaient loin de faire l’unanimité chez les philosophes.
    Merci toutefois à Jean Jacques Zambrowski pour cette belle analyse. Sans rentrer dans les travaux pratiques propres à chacun, je crois que la principale fonction de la FM est d’augmenter le champs de conscience des Maçons et par la même leur discernement.

  5. On présente souvent la FM de REAA comme étant d’inspiration Kantienne. Affirmation que je partage , mais que je module en disant qu’elle puise aussi, et peut-être surtout, dans l’immense apport que Spinoza à offert à la pensée moderne. Deus sive Natura correspond assez précisement à l’idée trés maçonnique de « Un le tout », à mon sens.
    Je remercie donc Baruch de l’éclairage qu’il m’a apporté dans mon parcours!

  6. Bonsoir
    JT Desaguliers ne fut que le troisième GM de la GL de Londres et Westminster. Le premier fut Anthony Sawyer.
    Merci de rectifier.

    • Le premier Grand Maître de la Grande Loge de Londres et de Westminster en 1717 fût en effet Anthony Sayer, sur lequel on ne sait que peu de chose. C’est Georges Payne , membre du corps des commissaires aux impôts qui fait office de Grand Maître à deux reprises en 1718 et 1720 er décida d’écrire lui-même le règlement général de l’obédience, qui est adopté lors de son deuxième mandat, L’intermède entre ces mandats est assumé par Jean Théophile Desaguliers, Puis la grande maîtrise revint au duc de Montagu en 1721, puis à Philip Wharton, en 1723.
      Mais j’ai souhaité mettre en avant le nom de Desaguliers parce qu’il était …Français !

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Jean-Jacques Zambrowski
Jean-Jacques Zambrowski
Jean-Jacques Zambrowski, initié en 1984, a occupé divers plateaux, au GODF puis à la GLDF, dont il a été député puis Grand Chancelier, et Grand- Maître honoris causa. Membre de la Juridiction du Suprême Conseil de France, admis au 33ème degré en 2014, il a présidé divers ateliers, jusqu’au 31°, avant d’adhérer à la GLCS. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur le symbolisme, l’histoire, la spiritualité et la philosophie maçonniques. Médecin, spécialiste hospitalier en médecine interne, enseignant à l’Université Paris-Saclay après avoir complété ses formations en sciences politiques, en économie et en informatique, il est conseiller d’instances publiques et privées du secteur de la santé, tant françaises qu’européennes et internationales.

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