Franc-maçonneries et religions en France aujourd’hui est le cinquième ouvrage publié dans cette belle collection Étienne Dolet (1509-1546) – humaniste côtoyant des figures telles que Clément Marot et Rabelais, écrivain, poète et imprimeur mort sur le bûcher à Paris.
Les Éditions de La Tarente ont maintes fois raison d’écrire les termes franc-maçonneries et religions au pluriel. Et de souligner aussi l’importance et la pertinence du contenu pour le lecteur en rehaussant le titre du mot aujourd’hui, marquant ainsi une prise de position et une analyse dans le temps présent. L’ouvrage abordant des questions, des défis ou des réalités qui sont immédiatement pertinents pour le maçon du XXIe siècle.
Initialement tenu le 11 février 2014 à Paris, ce colloque du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), auquel nous avons eu le bonheur de participer, était intitulé « Franc-Maçonnerie et Religion en France au 20ème siècle ». Un colloque où la séance de la matinée était consacrée à « La franc-maçonnerie : religion de substitution ? Ésotérisme maçonnique, antimaçonnisme » et celle de l’après-midi à « La franc-maçonnerie face au catholicisme, au protestantisme et à l’islam ».
Une riche et belle journée d’étude fort passionnante organisée avec le soutien du Groupe Société Religions Laïcités (GSRL/CNRS/EPHE), du Laboratoire d’études sur les monothéismes (LEM/CNRS/EPHE), du Centre de la Méditerranée Moderne et Contemporaine (Université de Nice Sophia Antipolis) et de l’Institut Universitaire de France.
Nous attendions tous les actes. Grâce à La Tarente, et pour notre plus grand profit et plaisir, ils sont enfin publiés.
Nous y retrouvons de belles plumes connues et reconnues. Des auteurs qui sont historiens (Pierre-Yves Beaurepaire, Jean-Pierre Laurant, Jean-Marie Mercier), anthropologue (Thierry Zarcone), sociologues (Franck Frégosi, Jean-Paul Willaime) et spécialistes de science religieuse et d’histoire des courants de pensée ésotériques (Jean-Pierre Brach, Emmanuel Kreis, Jérôme Rousse-Lacordaire).
Trois parties structurent l’ouvrage. La première traite de la France catholique. Nous y trouvons les contributions de Jean-Pierre Laurant (École pratique des hautes études – CNRS-GSRL) sur « Le fait religieux dans les revues maçonniques françaises au XXe siècle », un sujet qui débute avec la Constitution civile du clergé de 1971 et analyse des revues généralistes mais aussi de recherche, portées par des personnalités telles Oswald Wirth (Le Symbolisme), Marius Lepage, Jean Baylot (Villard de Honnecourt) ou René Désaguliers (Renaissance Traditionnelle) ; de Jérôme Rousse-Lacordaire, dominicain, théologien et historien, sur « Les récentes positions de l’Eglise catholique à l’égard de la franc-maçonnerie » et étudie, depuis le XVIIIe siècle, nous comprenons pourquoi l’Église catholique a exprimé des réserves et parfois une opposition ferme à la franc-maçonnerie, principalement en raison de la perception que les principes maçonniques de relativisme moral, de complot et de secret qui étaient en contradiction avec les enseignements catholiques ; et de Jean-Pierre Brach (École pratique des hautes études – LEM) sur « Les rapports entre franc-maçonnerie et religion dans les articles de René Guénon publiés dans la revue La Gnose (1910-1912) ». À cette époque, Guénon était engagé dans une quête spirituelle intense, cherchant à dévoiler les vérités universelles cachées derrière les traditions religieuses et initiatiques, y compris la franc-maçonnerie.
Puis, la seconde partie s’attache à analyser les rapports avec les protestants et les musulmans avec les apports de Jean-Marie Mercier (Université Sophia-Antipolis, Nice) et son « Le protestantisme, l’ami du franc-maçon ? » Gardons à l’esprit que le développement de la franc-maçonnerie spéculative en Europe, notamment dans les pays à majorité protestante comme l’Angleterre et l’Écosse, a coïncidé avec une période de forte influence protestante. Les principes de liberté de conscience, l’importance accordée à la lecture personnelle des Écritures, et une certaine méfiance à l’égard de l’autorité centrale religieuse ont pu trouver un écho dans la franc-maçonnerie, qui promouvait des valeurs de fraternité, de tolérance, et de recherche personnelle de la vérité.
Le texte de Thierry Zarcone (CNRS-GSRL – École pratique des hautes études) avec « L’islam interroge les frères maçons » clôt ce chapitre en nous éclairant sur la figure emblématique de la résistance algérienne contre la colonisation française au XIXe siècle qu’est l’Émir Abdelkader (1808–1883), soufi, érudit islamique, et franc-maçon, souvent cité dans divers contextes pour sa sagesse, sa tolérance et son humanisme…
Enfin, la dernière partie titrée « L’autre ‘’religion’’ » permet à Pierre-Yves Beaurepaire (Université Nice Sophia Antipolis, Institut Universitaire de France) de parler de « La franc-maçonnerie, Église de la République ? », une expression employée pour désigner la franc-maçonnerie qui a souvent été perçue comme un acteur influent dans la sphère publique et politique, notamment en ce qui concerne les idéaux de laïcité, de liberté, d’égalité et de fraternité qui sont au cœur de la République française ;
puis c’est au tour de Franck Frégosi (CNRS – UMR DRES 7354, Université de Strasbourg et IEP d’Aix-en-Provence) avec « La montée annuelle au mur des Fédérés des francs-maçons du Grand Orient de France » de nous faire comprendre toutes les facettes de cette rituélie – événement symbolique qui témoigne de l’engagement de cette obédience dans les valeurs de la République – qu’est, depuis les années 70, ce pèlerinage laïque et républicain s’inscrivant dans le contexte historique et mémoriel de la Commune de Paris de 1871.
Enfin, Emmanuel Kreis, docteur ès-lettre (EPHE), avec « Laïcisation et politisation : les évolutions de l’antimaçonnisme durant les années 1930 : le cas de la Revue internationale des sociétés secrètes »,
explore la manière dont l’antimaçonnisme, un courant de pensée et un mouvement social opposé à la franc-maçonnerie, a évolué pendant cette période turbulente de l’histoire, marquée par des tensions politiques, économiques et sociales croissantes dans de nombreuses parties du monde.
Cet ouvrage est une œuvre académique multidisciplinaire qui explore les interactions entre la franc-maçonnerie et certaines religions majeures en France. Les contributions de spécialistes en histoire, anthropologie, sociologie et études religieuses offrent une perspective enrichie sur ce sujet si complexe, si débattu qui rencontre encore, dans notre société moderne, de nombreux débats et controverses.
L’éditeur nous offre, à la lecture, une compréhension plus profonde des relations entre les franc-maçonneries et les religions en France. Des explications données dès l’introduction signée de Jean-Pierre Brach et Thierry Zarcone détaillant la spécificité française du paysage maçonnique – avec le catholicisme, le protestantisme, et l’islam. Le lecteur trouvera des réponses à ces justes interrogations. À savoir si la franc-maçonnerie est une “contre-Église” ou encore une nouvelle religion.
La franc-maçonnerie non seulement en tant qu’organisation sociale ou philosophique mais aussi en tant qu’entité ayant une dimension religieuse ou spirituelle, est-elle possiblement en opposition ou en complémentarité avec les religions traditionnelles.
Reconnaissant que les relations entre les franc-maçonneries et les religions sont toujours relativement complexes, ce volume donne des pistes de compréhension quant à l’existence de multiples couches d’interaction, influencées par l’histoire, la culture, la politique et les croyances.
L’intérêt de cet ouvrage est que nous bénéficions de l’avis d’experts, garantissant une exploration approfondie de la thématique. La présence d’auteurs spécialisés dans différents domaines souligne l’importance de cette belle analyse rigoureuse et érudite.
Si en tout début d’ouvrage, nous avons une biographie succinctes des différents intervenants, le livre s’achève avec la postface du sociologue et spécialiste de la sociologie des religions Jean-Paul Willaime, directeur d’études honoraire à l’École pratique des hautes études.
Un ouvrage qui deviendra, nous n’en doutons pas, un classique pour qui veut mieux comprendre encore comment s’est façonnée, dans notre monde contemporain, la relation entre franc-maçonneries et religions. Le cherchant y trouvera son salaire.
Franc-maçonneries et religions en France aujourd’hui
Jean-Pierre Brach-Jean-Pierre Laurant et Thierry Zarcone (dir.)
Les Éditions de la Tarente, Coll. Étienne Dolet, 2023, 232 pages, 25 €
Disponible chez le Troubadour du Livre, de notre ami Philippe Subrini