La vanité, l’un des sept péchés capitaux que l’on associe à l’orgueil et dont il est dit qu’il est le péché le plus grand et donne naissance à tous les autres. Vanité ou orgueil, c’est l’attribution de nos propres mérites considérés comme des dons !
Il est dit aussi de l’orgueil ou de la vanité qu’il s’agit du caractère de ce qui n’a pas de sens, de ce qui est futile.
Le cabinet de réflexion, lieu de méditation du profane avant son initiation, laisse supposer quel va être le sens de l’initiation. Tout est là, tout y est dit mais à cet instant précis, impossible au profane de saisir le sens, les sens, de ce qu’il voit, de ce qu’il lit.
Dans cet espace clos, sous une pâle lumière, objets et sentences avertissent le profane avant ses premiers pas d’initiés. Mais comment comprendre ce jour-là que le franc-maçon en devenir, va apprendre le sens du mot vanité et qu’il va devoir pas à pas apprendre à dépasser la vanité, l’orgueil et de relativiser la légèreté des représentations sociales de la vie profane.
Pour mieux cerner et comprendre le mot Vanités, je m’appuierais sur l’expression artistique et picturale de ce que l’on appelle LES VANITÉS.
Qu’appelle-t-on Vanités dans le monde de l’art ?
- Une nature morte
- Une composition métaphorique
- Un tableau à message
- Une valeur argumentative
- Une remise en question face aux doutes
La vanité, du latin Vanitas, de Vanus, signifie « vide, creux, vain, futile », est une catégorie artistique qui apparaît à la fin du XVIème siècle. Elle s’inscrit dans le genre des Memento Mori, c’est à dire du « Souviens-toi que tu vas mourir ».
Les Vanités : une nature morte
Dans l’Antiquité un genre d’art nouveau voit poindre des tableaux représentant des objets, des fleurs, des fruits qui donnent l’illusion de la réalité. Ces tableaux furent appelés rhyparographie[1]. Au XIVème siècle, Giotto peint des trompes l’œil, un siècle plus tard on verra des natures mortes sous formes de miniatures. Plus tard encore, la nature morte va devenir un véritable style avec des bouquets, des fruits, des cuivres…
C’est d’Espagne que viendront complexité et austérité dans ces expressions picturales. Le fond est souvent noir, la lumière, violente, arrive latéralement et donne un aspect tranchant. Un certain mysticisme rationnel, diront les critiques de l’époque.
Que sont ces natures mortes que les peintres affectionnent ? Diderot les disait « inanimées ». Oui, il s’agit de peintures représentant artistiquement des objets inanimés. Les vanités, seraient donc de simples natures mortes ? Pas vraiment. Elles représentent des objets porteurs d’un sens particulier avec un message rappelant à l’homme son passage éphémère sur cette terre. Ni naturalistes, ni expressionnistes, elles expriment « l’insoutenable légèreté de l’être [2]», donc, de la vie humaine.
Les natures mortes françaises émergent du groupe de Saint Germain des Près[3], au XVIIe. Des peintures austères influencées par le milieu protestant. Les coupes de fruits, corbeilles ou bouquets, aiguières et tissus font florès.
Les Vanités : une composition métaphorique
La particularité des « Vanités » vient de leur composition et du sens métaphorique des objets tout autant que du caractère éphémère de la vie, comme un crâne, une bulle de savon, une bougie qui se consume. Elle dit à celui qui regarde, que les plaisirs terrestres sont des leurres, des divertissements qui le détournent de la véritable spiritualité. Analogie avec le cabinet de réflexion : bougie, crâne, intériorisation…
Les vanités mettent en scène, des objets représentatifs de la vie quotidienne. On y trouve des éléments allégoriques symbolisant les moments de plaisirs. Certaines de ces créations prendront une tournure érotique qui peut aller jusqu’à l’obscénité. Tous ces objets, très artistiques, ne parlent généralement que de plaisirs futiles, passagers et peu empreints de spiritualité. À la façon de Malherbe qui, dans le poème à son ami Perier à propos de la mort de sa fille : « commun trépas » écrit « Mais elle était du monde où les plus belles choses ont le pire destin ». On peut aussi évoquer Rimbaud qui ne cesse de parler au travers de métaphores de la fragilité de la vie, et de sa fulgurance. Tels sont les messages métaphoriques des « Vanités ». La lumière de ces tableaux ajoute au mystère, un objet reçoit toute la lumière ou presque, le reste est dans l’ombre.
Les Vanités : un message à faire passer.
Quel objectif ont donc Les Vanités ? Amener l’individu à une prise de conscience sur les choses terrestres et tenter de le guider vers un esprit supérieur, une force cosmique, Dieu pour certains. La philosophie maçonnique ne cesse de le prôner avec cette petite phrase qui revient à chaque tenue : nous avons laissé nos métaux à la porte du temple. Les vanités mettent cette sentence en peinture pour nous rappeler que les choses matérielles ne doivent pas devenir le but de la vie, le but de notre vie puisque celle-ci est éphémère.
Ces tableaux nous disent que la mort est tout simplement la fin de notre histoire ici et maintenant, la fin d’une histoire personnelle. La mort fait partie de la vie.
« Vanités, tout est vanité », voilà une raison impérieuse et incontestable qui devrait pousser les êtres humains à se retourner vers l’universalité, vers une puissance cosmique, religieuse, en franc maçonnerie nous parlerons du Grand Architecte de l’Univers. Quel que soit le mode choisi, le but : tenter de rechercher la spiritualité qui aide à se dépasser et à ne pas s’en laisser conter par des idoles humaines, par de fausses images, par l’orgueil par la vanité…
Victor Hugo l’a fort bien dit :
Quoi ! Hauteur de nos tours, splendeur de nos palais,
Napoléon, César, Mahomet, Périclés,
Rien qui ne tombe et ne s’efface !
Mystérieux abime où l’esprit se confond !
À quelques pieds sous terre un silence profond
Et tant de bruit de surface
Des tableaux à valeur argumentative
N’oublions pas que ces symboles se voulaient, alors, empreints de religieux. L’observateur devait comprendre que pour dépasser la crainte de la mort il fallait se tourner vers autre chose que vers les satisfactions matérielles. Le crâne, tel celui du cabinet de réflexion, se trouve dans quasiment tous ces tableaux. Il renvoie au crâne d’Adam, traditionnellement représenté au pied de la croix dans les images de la passion du Christ, afin de rappeler que la mort est un châtiment infligé par Dieu aux hommes pour le péché originel.
L’éphémère beauté de la vie terrestre face à l’éternité céleste ne doit pas devenir un objectif ni un but de vie. Georges de La Tour nous renvoie fort bien la sensation de ce passage terrestre au travers de Marie-Madeleine. Marie-Madeleine, courtisane pour ne pas dire prostituée, pardonnée, se trouve dans ce tableau, absorbée dans une rêverie méditative. Rarement personnage, était représenté dans les Vanités.
Une chandelle qui brûle devant des livres entassés, sa main appuyée sur un crâne, symbolise de la vanité des choses de ce monde. Un regard intériorisé telle une réflexion simple et directe de cette femme méditant sur sa jeunesse et sa beauté qui elles aussi ne sont que passagères. Deux éléments éphémères de la vie d’un être humain, de la fulgurance des choses terrestres face à l’éternité des choses spirituelles. Aucun accessoire ne vient brouiller cette image. Marie-Madeleine est dépouillée de tout signes extérieurs. Elle semble concentrée dans une profonde méditation, face à ces objets.
Ces peintures ont souvent une valeur argumentative bien plus forte que les mots.
Les Vanités : une remise en question
Si l’on tente de mettre en concordance l’art pictural des œuvres dites Vanités et le cabinet de réflexion, il est clair que bien des similitudes apparaissent quant au message à transmettre. À savoir : observer, analyser, méditer, réfléchir.
Le testament philosophique demandé à la profane ne représente rien moins que l’abandon de ses métaux, le désir d’une vie plus spirituelle et l’espoir de laisser derrière elle un message empreint d’humanité et de bienveillance. La mort, très présente dans les Vanités se trouve aussi dans le cabinet de réflexion pour donner conscience à la future initiée qu’elle va devoir laisser derrière elle les futilités de la vie profane et s’engager sur un nouveau chemin.
Chemin qui conduit vers la Lumière, vers la Vérité sachant que ni la Lumière, ni la Vérité ne sont accessibles à l’être humain. Pourtant l’initiée ne perdra jamais espoir, elle avancera sur le chemin, pas à pas, en espérant toujours soulever un peu plus le coin du voile pour renaître à une nouvelle vie empreinte de spiritualité.
« Vanité des vanités, tout est vanité ! Quel intérêt a l’homme à toute la peine qu’il prend sous le soleil ?»
(L’Ecclésiaste).
Ah ! Qui que vous soyez, vous qui m’avez fait naître,
Qu’on vous nomme hasard, force, matière ou dieux,
Accomplissez en moi, qui n’en suis pas le maître,
Les destins sans refuge, aussi vains qu’odieux.
Faites, faites de moi tout ce que bon vous semble,
Ouvriers inconnus de l’infini malheur,
Je viens de vous maudire, et voyez si je tremble,
Prenez ou me laissez mon souffle et ma chaleur !
Et si je dois fournir aux avides racines
De quoi changer mon être en mille êtres divers,
Dans l’éternel retour des fins aux origines,
Je m’abandonne en proie aux lois de l’univers.
René François Sully Prudhomme. 1875
[1] Représentation artistique et picturale de scènes obscènes ou mortifères
[2] Milan Kundera, « L’insoutenable légèreté de l’être »
[3] Le faubourg St Germain devient au XVIIe le lieu où se retrouvent les artistes, les peintres, les écrivains. Ils se réunissent dans des cafés et notamment au Procope.
Vanité des vanités dit Qohéleth. Vanité des vanités, tout n’est que vanité. Mais, le dernier paragraphe du texte précédent l’Ecclésiaste, à savoir la fin du Cantique des cantiques, dit aussi : L’amour est aussi fort que la mort.
Les vanités sont donc des tableaux du XVIIIe siècle, sur lesquels se retrouvent quelques symboles communs : le crâne, le sablier, une nature morte. La beauté immobile, dans un contact presque sensuel de la mort ressentie en artiste, comme une plénitude de tact et de goût, annonce l’agonie triomphante. C’est alors fixer notre pensée sur le macabre stérilisé et enjolivé, et nous détourner de l’usure de nos glandes, de la puanteur et des immondices de notre dissolution.