L’état de la science des préjugés et stéréotypes est résumé, ainsi que les moyens de lutte associés.
Nous l’avons promis : nous laissons nos préjugés à la porte de nos lieux de travail. Mû par une bouffée d’optimisme, je dirais même que nous n’y arrivons pas si mal. Nous le savons bien : rien de plus clivant que les préjugés, alors que nous cherchons l’union. Alors nous les tenons sévèrement à l’œil , notre méthode et nos rituels sont aussi conçus pour nous aider en cela. Et quand tout se passe bien, nous obtenons le plaisir d’être ensemble sans crainte, même s’il y a des visiteurs peu connus venus de bien loin. Mais tout cela nécessite que la Raison soit aux commandes pour nous tous.
La Raison, c’est le Système 2 de Kahneman, analytique, en recherche de la vérité, méticuleux,…mais sec comme un coup de trique et gros consommateur d’attention et d’énergie. Car il y a aussi le Système 1, intuitif, rapide, automatique, coloré de tous les sentiments. C’est ce système qui domine, parce qu’on n’a tout simplement pas assez de combustible pour garder l’autre au pouvoir. En plus, c’est dans le système 1 que les envies prennent naissance ; les envies sont à la base de l’élaboration du narratif qui nous anime , et que le surpuissant biais de confirmation cherchera toujours à privilégier.
Hélas donc, les préjugés sont indissociables de notre pensée intuitive.
Sommes-nous définitivement démunis face aux préjugés ?
Sylvain Delouvée et Jean-Baptiste Légal ont fait un état des lieux des connaissances scientifiques associées : « Stéréotypes, préjugés et discrimination », déjà en 2e édition.
La brique sous-jacente aux préjugés, et obligatoirement présente, ce sont les stéréotypes. Ceux-ci peuvent être positifs ou négatifs. Leur existence provient de notre nécessité de classer les informations qui nous tombent dessus en avalanche continuelle depuis l’enfance. Les informations sont classées par catégories, que nous avons choisies au préalable. Les stéréotypes sont des simplifications de la réalité et s’accompagnent d’une tendance à exagérer les ressemblances entre les membres de la catégorie qui fait l’objet du stéréotype. Le stéréotype est stocké dans notre mémoire, et c’est lors de son activation par un élément présent que le préjugé peut s’exprimer.
Beaucoup d’équipes de psys se sont depuis la dernière guerre mondiale penchés sur les mécanismes associés. Ils ont aussi développé des outils de mesure, mesures directes ou indirectes, ayant observé à quel point les cultures ( le politiquement correct ) peuvent fausser les tests. Ils ont aussi remarqué que la distance joue un important rôle . À l’intérieur du groupe dont on fait partie les détails sont pris en compte, dans des groupes autres ils sont comme écrasés. Exemple (inventé !) : dans notre maçonnerie française chacun conserve son identité intacte, chez les anglo-saxons ils font tous pareil et récitent par cœur. Bien sûr, nos « lointains », nous les connaissons moins bien que nos proches, cela facilite cette homogénéisation fallacieuse. En plus, nous complétons sans vergogne nos informations par des stéréotypes. Et nous transmettons tout joyeusement à nos enfants. Certaines études montrent que dès l’âge de 3-4 ans, les enfants ont conscience des différences ethniques, et dès 5-6 ans, ils disposent d’une connaissance des stéréotypes raciaux.
Dans les grands narratifs collectifs, les mythes ont une influence certaine. Il existe des mythes négatifs qui accentuent la hiérarchie sociale (racisme, sexisme, nationalisme, etc.) et des mythes qui atténuent cette même hiérarchie sociale (universalisme, multiculturalisme etc.). Plus les individus sont en accord avec le maintien de la hiérarchie sociale, plus ils expriment des attitudes racistes, sexistes et conservatrices. On retrouve bien là le clivage entre ceux qui croient au progrès humain et ceux qui préfèrent et justifient le statu quo…clivage aussi présent chez les maçons !
L’orientation à la dominance sociale permettrait également de prédire des comportements discriminatoires et pas uniquement des attitudes. Le système social se maintient et se perpétue grâce aux stéréotypes sociaux. Autrement dit, les stéréotypes seraient des outils de justification du système. Ombre du biais de confirmation : les stéréotypes guident notre jugement pour que ce dernier corresponde à nos croyances. Inutile de vous détailler les conséquences délétères des préjugés : sentiment d’injustice des discriminés, dévalorisation de soi, repli sur son groupe, conflits entre groupes, populisme, guerres larvées puis ouvertes…une ressemblance avec ce que nous vivons actuellement ?
Alors un petit passage en revue des moyens de lutte contre les stéréotypes et les préjugés s’impose.
1 . Privilégier les contacts intergroupes. Là l’exemple du programme Erasmus de l’Union Européenne vient spontanément à l’esprit. Comment haïr des gens avec lesquels on a comme étudiant partagé des bringues ? On était loin de nos bases, qui du coup ne nous serinaient pas leurs préjugés matin et soir. Les opinions publiques européennes ne s’y sont pas trompées et ont exprimé d’emblée leur opposition lorsque la Commission Européenne a évoqué l’idée de mettre fin au programme. Les études scientifiques ont tout de même montré que pour que ces opérations portent tous leurs fruits il faut respecter quelques conditions, parmi lesquelles :
— les participants des deux groupes doivent avoir un statut égal dans la situation d’interaction ;
— la situation de contact doit favoriser, voire requérir, une coopération pour l’atteinte d’un but commun ;
— la situation de contact doit amener les individus à se considérer comme tels et non comme de simples représentants d’un groupe stéréotypé ;
— les normes sociales à l’intérieur et à l’extérieur de la situation de contact doivent favoriser l’égalité des groupes et une association égalitaire.
2. Les buts communs et la coopération. Ici aussi on comprend intuitivement que faisant équipe en vue d’un but commun, les énergies se muent en partie en ciment d’un nouveau groupe commun. Ne pas oublier cependant d’assurer l’atteinte du but assigné, …pas qu’ils se rejettent la responsabilité de l’échec !
3. L’approche sociocognitive. Un peu plus technique, il s’agit de jouer sur la catégorisation : la défaire, modifier les éléments puis les recombiner afin de faire disparaître quelques frontières gênantes. Astuces ici : l’instauration d’une interdépendance, et/ou la création d’une identité globale.
4. Jouer sur l’information, l’éducation et l’empathie. Rappelons-nous ce mythe qui nous expliquait les conséquences de l’ignorance. Connais-toi toi-même : tes stéréotypes et préjugés, tes biais de raisonnement, etc. et tu réduiras leur influence. Enseigne tout cela aux jeunes. Enfin, l’empathie amène les individus à percevoir que nous partageons tous la même humanité. Ce sentiment diminue la saillance intergroupes et donc les attitudes négatives qui peuvent en découler.
5. La discrimination positive.
Les USA ont abondamment travaillé sur la discrimination raciale via éducation et discrimination positive ( plus de 350 programmes d’intervention visant à « la réconciliation interraciale ») . Les résultats existent mais sont assez dispersés. Il est vrai que pas mal des recherches psychologiques évoquées ici sont postérieures aux programmes qui ont fleuri après l’assassinat de Martin Luther King.
J’espère néanmoins que ce petit florilège vous fera réfléchir et vous reviendra un peu en mémoire lorsqu’une occasion de le pratiquer se présentera.
merci aux lecteurs pour leur contribution !
Et @ mon frère Gilbert : comme tu l’indiques, nos comportements se sont ancrés en nous parce qu’ils présentaient à une époque reculée un avantage adaptatif qui a favorisé notre survie ( ceux qui n’avaient pas le bon réflexe face à un prédateur se sont éteints…) . La pensée magique fait partie de ces automatismes qui apparaît naturellement à l’enfant tentant de comprendre son environnement. A l’âge adulte par contre je plaide pour que l’on réduise volontairement son usage…
fraterbises Patrick
Bonjour Patrick,
Les préjugés sont souvent pluriels et “avancent groupés”! Ils ont généralement mauvaise réputation quand ils sont réduits au domaine de la croyance ( jugement général préalable et sans preuves. Ex : les maçons sont tous des affairistes!) alors que, en tant que “formes d’alerte”, les préjugés devraient donner lieu à trois temps de “fonctionnement” : Opinion, Analyse et Vérification, pour se transformer en une information recevable, à même de générer ensuite un “jugement fiable”.
Non par esprit de contradiction mais de complément d’information et de dialogue, j’ajoute à ta réflexion qu’il y a aussi les “préjugés favorables” à prendre en compte! Le préjugé “brutal” est en soi une “supputation de l’inconnu”.
En ce sens, lorsqu’on va entrer en maçonnerie, “on se fait d’abord de l’extérieur une idée de la maison”, par construction de représentations mentales, puisqu’on ne sait rien de ses us et coutumes, en principe, et de ce qui nous attend! C’est typiquement humain, sans être trop humain! La méfiance est une sauvegarde!
Le préjugé a aussi un rapport avec l’instinct de conservation, voire la prémonition : il peut nous sauver la vie! Bref , pour faire image, le préjugé, c’est “le pas de côté du Compagnon” : Prudence et évitement sont des écarts parfois salutaires! On ne le dit pas assez dans nos rangs, préférant parler de “désobéissance ou de fantaisie passagère”! La culpabilisation latine – depuis deux mille ans – est tenace et traverse le temps!
Pour tout sujet à analyser, la philosophie et la maçonnerie nous l’apprennent : Il convient de passer progressivement du dualisme au ternaire. Du pavé mosaïque au triangle. D’où le principe sain de Hegel : Thèse + Anti-thèse = Synthèse.
Quant à l’universalisme de la maçonnerie, au sens précité, c’est d’après moi, davantage un idéal qu’un préjugé! Il y a encore beaucoup de chemin à faire. Tant mieux! On le sait, le voyage est plus intéressant que l’arrivée!
Bien fraternellement,
Gilbert Garibal
Cette différence entre pensée rapide et pensée lente fait surtout apparaître la nécessité de vérifier ce qui est donné par “intuition” en faisant appel à l’observation et à la lente raison.
👏👏👏👏