dim 24 novembre 2024 - 09:11

Quand les Compagnons nous donnent à admirer leurs chefs-d’œuvre

Du site agoravox.fr – Fergus

Il existe dans la plupart des villes, notamment dans les métropoles régionales, des musées d’un grand intérêt dont certains sont parfois trop méconnus du public. La ville de Tours n’échappe pas à ce constat : à son musée des Beaux-Arts, dont les très belles œuvres picturales et sculpturales valent assurément une visite, s’ajoute un passionnant musée du Compagnonnage. Je vous invite à en pousser la porte…

« Le devoir de chaque compagnon, c’est de transmettre » (Joël Robuchon dit Poitevin La Fidélité).Chefs d’œuvre de charpentiers. Au premier plan, celui des Compagnons du devoir de Liberté de Tours, dénommés « Indiens » (1869)

Visiter ce musée, c’est découvrir (ou redécouvrir) – outre les origines légendaires remontant au roi Salomon et au mythiques Maître Jacques et père Soubise – l’histoire des ouvriers et des artisans qui, à partir du 15e siècle, se sont groupés au sein d’un mouvement de compagnonnage. Avec pour objectifs, rappelle le musée tourangeau, de renforcer la « solidarité entre compagnons », de mettre en place des processus de « perfectionnement professionnel » et, dimension importante dans la philosophie de la démarche, d’être porteur d’une « transmission des valeurs morales ». Ainsi sont nés les Compagnons du Tour de France qui, au fil des siècles, ont compté jusqu’à 30 métiers différents dans leurs rangs.

Après avoir connu son apogée au milieu du 19e siècle, le compagnonnage a subi un déclin lié à l’émergence de l’industrialisation et à la création des syndicats ouvriers. Il n’a pas disparu pour autant et connait un renouveau depuis quelques décennies. Il est même présent désormais dans certaines régions où il était absent autrefois. Le Tour de France, encore pratiqué de nos jours par les grandes associations de compagnonnage, consiste à tourner durant plusieurs années – en général 4 à 7 ans – dans différentes régions à raison d’une ou deux étapes par an afin de s’imprégner des connaissances et des pratiques locales dans le but de parfaire sa professionnalisation et si possible de tendre vers la perfection du geste.

Durant leur Tour de France, les Aspirants (voir ci-dessous) et les compagnons sont accueillis, dans les régions où ils tournent, au sein d’une maison dénommée cayenne,à la fois siège régional, lieu d’hébergement, de formation et de réunion. La cayenne est dirigée par une femme nommée la « Mère » à laquelle Aspirants et Compagnons témoignent le plus grand respect, notamment pour ses qualités de conseil et d’aide dans l’accomplissement des démarches. Ils prennent pension dans la cayenne et sont embauchés, par l’entremise d’un autre personnage d’importance, le rouleur (également nommé rôleur : celui qui distribue les emplois), dans l’une des entreprises locales avec lesquelles a été passé une convention.

La Mère des compagnons maréchaux-ferrants de Marseille en 1910

Pour être reçu comme Aspirant, l’apprenti doit avoir réalisé une première œuvre destinée à montrer son savoir-faire. Il doit aussi avoir démontré des qualités éthiques et morales irréprochables. Lors de la cérémonie d’Adoption, il est doté d’un nom compagnonnique qui, dans les échanges avec ses pairs, prendra désormais le pas sur son patronyme officiel. Ce nom est constitué d’un rappel de l’origine de l’aspirant et de la mention d’une vertu. Au nom compagnonnique s’ajoutent les attributs spécifiques du compagnonnage : la canne et la gourde, symboliques de l’itinérance de ceux qui s’apprêtent à « voyager la France », ainsi que, sous forme de ruban ou d’écharpe, la couleur frappée des symboles du métier exercé.

Inscrit au Patrimoine Mondial de l’Unesco

Au terme de quelques années, l’Aspirant peut prétendre au titre de Compagnon. Il doit pour cela présenter un chef d’œuvre destiné à mettre en valeur sa maîtrise des techniques à un jury de Compagnons en vue d’être admis dans leurs rangs au cours d’une cérémonie de Réception riche en symboles. Ce sont près de 400 de ces chefs-d’œuvre qui peuvent être admirés dans le musée de Tours. Ils sont signés, entre autres, par le bottier Languedoc la Franchise, le chaudronnier Provençal la Clé des Cœurs et le ferronnier Bourguignon le Vainqueur, ou bien encore le maréchal-ferrant Tourangeau Cœur fidèle, le menuisier Avignonnais La Vertu et le pâtissier Solognot le Consciencieux.

Les hospices de Beaune en pâte à nouilles de Georges Bouché, dit Bourguignon le Disciple Sainte-Baume (1976)

Une mention particulière, car très émouvante, au chef d’œuvre réalisé par Marcel Constantin, dit Angoumois la Fidélité. Dénommé « L’échelle » par son auteur, cet « Escalier à quatre départs et quatre arrivées » a été réalisé en 1943 dans le stalag disciplinaire où était détenu ce Compagnon. Durant 7 mois, il a travaillé des matériaux récupérés sur des wagons endommagés avec des outils de fortune. C’est le commandant allemand du camp qui a fait rapatrier ce remarquable escalier en France par le biais de la Croix-Rouge. Exposé au Grand Palais, ce chef d’œuvre a été restitué à son créateur en 1945 après qu’il ait été libéré de sa captivité. Il en a fait don au musée de Tours en 2004.

Contrairement à une idée reçue, la Franc-Maçonnerie n’est pas issue du Compagnonnage. Bien que certains symboles de métier soient communs, ce sont des associations distinctes, la franc-maçonnerie – née en Angleterre au 17e siècle – étant de nature initiatique, philosophique et philanthropique. Au-delà de l’usage de rites très codifiés lors des cérémonies, il existe cependant un point commun : la fraternité revendiquée. Sans doute faut-il voir là l’explication du fait qu’il y a eu, et c’est encore le cas, des Compagnons francs-maçons. À noter enfin que de nombreux Compagnons bénéficient également, ce dont nul ne s’en étonnera eu égard à leur grand talent, du titre de Meilleur Ouvrier de France (MOF).

Le musée du Compagnonnage est situé au cœur du vieux Tours, dans une agglomération qui présente une étonnante et spectaculaire particularité : elle est coupée en deux de manière parfaitement rectiligne sur une longueur de 7 kilomètres par l’ancienne « route royale d’Espagne ». C’est sur cet axe, désormais colonisé par les voies du tramway, qu’est implantée – au n°8 de la rue Nationale – l’entrée de ce musée. Récemment installé dans un bâtiment moderne, l’accueil donne accès à une boutique et à deux salles d’exposition d’un grand intérêt didactique dont l’une, la plus grande, occupe l’ancien dortoir des clercs bénédictins de l’abbaye Saint-Julien*.

Depuis novembre 2010, le Compagnonnage est inscrit par l’Unesco sur la liste représentative du Patrimoine culturel immatériel de l’Humanité. Outre le musée de Tours, il existe 6 autres espaces dédié au Compagnonnage en France dans les villes d’Arras, Bordeaux, Limoges, Paris, Romanèche-Thorins et Toulouse.

Après qu’un premier espace ait été dédié en 1911 au Compagnonnage, le musée de Tours a été fondé et installé à Saint-Julien en 1968 avant de faire l’objet d’un agrandissement et d’une rénovation en 2022.« L’escalier à quatre départs » de Marcel Constantin, dit Angoumois la Fidélité

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