ven 22 novembre 2024 - 13:11

Ma future planche ? Que des idées creuses, plates et banales ! Alors ? La glossolalie !

Le plus souvent quand je me mets à bosser sur une planche qui m’a été commandée, je me retrouve dans la position habituelle que je crois ordinaire pour la plupart d’entre nous : je recherche des idées-clefs, des parties, des liaisons, mon point de vue… bref je mène un travail où l’intelligence, le raisonnement et la mémoire sont requis. Et c’est ainsi que je me retrouve, dans une bonne partie de ma future intervention, à des idées que je trouve souvent intelligentes, mais qui ne reflètent que mes points de vue rationnels.

Ce faisant, c’est ainsi que j’ai appris en 25 ans d’initiation : idées claires en charpente d’un raisonnement solide. C’est ainsi, pense-ton, que nous progressons : l’élargissement de nos positions et avis intellectuels. Et ça marche bien : les colonnes se mettent à intervenir, sans le genre : « De mon côté, je pense que… » ou « Le raisonnement est solide mais, pour moi… », « Voici comment j’aurais articulé… » ou bien encore : « Ça me fait penser à ce que disait le Chevalier de Ramsay… ».

            Mais les temps ont changé depuis quelques décennies ; ils modèlent désormais nos pratiques d’interventions. Si tu admets que, selon ma devise, la Franc-maçonnerie est « Une spiritualité pour agir » alors les méthodes anciennes sont beaucoup trop intellectuelles. Les bonnes planches sont bien sûr assises sur l’intellect mais point trop n’en faut. Et en voici la raison. Depuis les années 1960, les chercheurs ont largement établi que le nombre et la qualité des pensées exprimées en soi ou devant d’autres, était le fruit très clair de la variété et de la richesse des émotions. En deux mots,, plus tes émotions sont nombreuses, plus tes idées le seront ! Les experts le démontrent depuis des lustres : le QI, quotient intellectuel est déterminé par le QE, quotient émotionnel ; en quantité, en qualité, en originalité et en authenticité.

            Or, si nous, Maçons, voulons cheminer vers « la spiritualité pour agir », il va de soi que nos anciennes méthodes de préparation de planches sont désuètes et réclament une révision : faire la part belle aux émotions comme bases de notre préparation. Nos idées, viendront au fur et à mesure, pour aboutir à une planche ouverte, sincère, en appel aux émotions des autres, sous la capuche des inévitables raisonnements, démonstrations et autres connaissances.

            La méthode que je pratique souvent quand je suis sec, s’appelle « la glossolalie ». C’est est trouble mental : La glossolalie[1] est le fait de parler ou de prier à haute voix dans une langue … Le Robert y voit aussi : « Langage personnel inventé par certains malades mentaux ou dans un but ludique ». Moi sans honte d’emprunter une trouvaille qui relève d’un traitement, je me suis adonné à mettre au point l’autre visée de la glossolalie : « la joie ludique et féconde de parler spontanément un langage émotionnel qui, bien entendu ramasse une grande variété et qualités desdites émotions ». Entendue ainsi, la glossolalie va t’aider à être beaucoup plus toi-même pour ton bénéfice de celui des autres. Puisque, rappelle-toi la richesse du QI dépend de celle du QE ! La force de ta planche résidera alors dans la transmission de ce que tu as, non point appris au cours des tenues et de tes lectures. La transmission, celle avec laquelle tu vas toucher les colonnes, a d’autant plus de force que les Sœurs et les Frères ressentent à l’écoute de tes propos, non point un exposé mais surtout ton ressenti. Et c’est alors que la communication, la vraie, celle de la mise en relation des êtres, peut s’établir. Car sous les raisonnements que tu articules, chacun(e) éveille ses propres émotions. Le phénomène est clair, le QI sollicite le QE. De multiples expériences le démontrent mais, certainement, ta propre introspection l’avait deviné. Voici un des chemins, en tenue, lors d’une planche, de notre fraternité : les alliances, ou/et rejets que tu délivres des émotions croisées, qui gisent sous les mots sérieux, posés et intelligents, que tu enchaînes

Voici donc la présentation de la méthode, avec quelques exemples, nécessairement en nombre limité ; et évidemment, sujets à caution. Cet exemple s’appuie sur la chronologie de la méthode, sans commentaires trop intellectuels, bien sûr !

            Imagine que le sujet de la planche qui m’est demandé soit : « Le plateau de Secrétaire, forces et faiblesses » Les exemples que je vais te proposer peuvent te plaire ou te fâcher. Ce ne sont que les miens et je te demande, en l’occurrence, de ne prêter attention qu’à la forme de l’exemple et non à son contenu.

            Je te propose de dérouler cinq moments chronologiques, assortis du bref exemple, de « Le plateau de Secrétaire, forces et faiblesses ».

  • Premier temps – La détente : tu t’allonges sur un lit, un canapé On sait, et la démonstration en a été faite, que la fluidité mentale est beaucoup plus élevée et échevelée dans la position allongée. Songe aux rêves vêtus d’imaginaire.
  • Deuxième temps – Le spectacle. Dis et redis trois quatre fois, le thème de la planche, si possible en visualisant. Ainsi imagine le(la) Secrétaire, silencieux(se) ou lecteur(trice) du compte-rendu.
  • Troisième temps – Le laisser-aller. Fais défiler, sans aucune censure, tout ce qui te vient à l’esprit : idées, petits raisonnements et, surtout émotions. Moi, je songerais, par exemple à « droit comme un I… Parle pas assez fort… Ne nous regarde pas et ça me gêne, comme si je ne comptais pas, mais seul le Véné… Et elle ne sourit jamais et je trouve que c’est moins vivant… Mais ce qu’il fait sérieux et ça me plaît… » 

                        Ce faisant, soyons de notre époque, prends ton portable réglé pour enregistrer ce qui défile ainsi dans ta tête. Et sans censure, laisse-toi aller. Et ton téléphone va donc fixer ce qui te vient spontanément. Il arrive parfois qu’une idée, une émotion, une sensation, lors de cette opération en attire une autre. Continue ainsi, loin, autant que possible, de l’université et des connaissances pétries d’érudition. Et tu vas t’en rendre compte, c’est touffu certes, mais authentique : c’est le-la Secrétaire ressenti(e) par toi. Ce sera la base de ta transmission muette et puissante

  • Quatrième temps – L’alchimie. Écoute ce que tu as enregistré. A chaque mot, chaque phrase, lourde ou claire, écris-la. Les phrases seront celles de ta planche. Elles seront plus ou moins repolies à ta lecture de ta vérification finale. Tiens par exemple : « La position droite, à l’Orient force l’attention… Si les colonnes ne sont pas regardées, cela risque d’engendrer de l’ennui… Le plateau en impose, avec, en face l’Orateur… ». Et en faisant cela, mets les unes à côté des autres les phrases qui se ressemblent à quelque titre que ce soit. Souvent une phrase de liaison, de synthèse te saute à l’esprit. Je reprends mon petit exemple : je rapproche sur mon écran « La position droite… » et « le plateau en impose ». Gagné, voici les phrases qui sortent du rapprochement des deux : « Le(la) Secrétaire occupe une position éminente à l’Orient et cela pose quelques questions : A quel titre ? Tradition greffière ou symbolisme. Cette position du plateau n’est-elle pas la vénération du passé?…». Tu continues ainsi : rapproche les idées qui semblent jointes d’une manière ou d’une autre. Rapproche-les. Tu es en train d’écrire tes paragraphes, fournis d’expressions qui laissent luire les émotions issues de la vivacité de ton esprit.
  • Cinquième temps – La mise en forme. La tâche est évidente : la clarté des formulations, les liaisons, le choix des mots… Et la logique aussi, celle qui découle de ton inventaire et ton classement[2]. Avec l’exemple, cela pourrait donner quatre moments de ta planche : 1- Le(la) secrétaire a un curieux droit à la parole sous le prétexte de fixer la mémoire de la tenue précédente. 2 – Il(elle) siège à l’Orient. Quel est le sens de cette place, dans le rituel et pour nous ? 3 – Quels sont les rôles réciproques et mêlés de l’affectif et du rationnel ? Quelle est ma sensation ? 4 – Si j’avais à changer les choses qui touchent le(la) Secrétaire, quelles seraient mes propositions et quelles sensations procureraient-elles ? Et pour finir ton exposé, fais part des trois, quatre mots que tu éprouves et ressens.

            Grace à la glossolalie, ou ce que tu en retiens, les propos de ta planche toucheront beaucoup plus les Sœurs et Frères que les interminables raisonnements, démonstrations, éruditions qui pavent encore trop souvent le sol de notre fraternité. Je le dis sans ambages : le Frère, la Sœur qui planche passe, nécessairement, non par ses neurones mais par son cœur. Et c’est ainsi, entre autres, que notre fraternité s’ancre dans nos affections réciproques. La glossolalie est une méthode nouvelle pour la plupart ; mais elle nous ouvre sur la réalité tangible d’une de nos valeurs fondamentales : la fraternité !


[1] Du grec ancien γλῶσσα / glỗssa, « langue » et λαλέω / laléô, « bavarder »

[2] Pas celui de l’école, par exemple le style rabâché : Intro, développement, conclusion !

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Jacques Fontaine
Jacques Fontaine
Jacques Fontaine est né au Grand Orient de France en 1969.Il se consacre à diffuser, par ses conférences, par un séminaire, l’Atelier des Trois Maillets et par une trentaine d’ouvrages, une Franc-maçonnerie de style français qui devient de plus en plus, chaque jour, « une spiritualité pour agir ». Il s’appuie sur les récentes découvertes en psychologie pour caractériser la voie maçonnique et pour proposer les moyens concrets de sa mise en œuvre. Son message : "Salut à toi ! Tu pourrais bien prendre du plaisir à lire ces Cahiers maçonniques. Et aussi connaître quelques surprises. Notre quête, notre engagement seraient donc un voyage ? Et nous, qui portons le sac à dos, des bagagistes ? Mais il faut des bagagistes pour porter le trésor. Quel est-il ? Ici, je t’engage à aller plus loin, vers cette fabuleuse richesse. J’ai cette audace et cette admiration car je suis un ancien maintenant. Je me présente : c’est en 1969 que je fus initié dans la loge La Bonne Foi, à Saint Germain en Laye, au Rite Français. Je travaille aussi au Rite Opératif de Salomon. J’ai beaucoup voyagé et peu à peu me suis forgé une conviction : nous, Maçons latins, sommes en train d’accoucher d’une Voie maçonnique superbe : une spiritualité pour agir. Annoncée dès le début du XXème siècle. Elle est en train de se déployer et nous en sommes les acteurs plus ou moins conscients mais riches de loyauté.

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