La transmission, credo maçonnique, imprègne largement nos symboles et nos métaphores.
Précisément, nous répétons souvent que l’étymologie du mot « Tradition », nous renvoie à cette « transmission ». Dès lors, il est intéressant de se demander ce que « transmettre » veut vraiment dire.
Pour ma part, « transmettre », c’est passer à l’autre, aux autres, ce que j’ai reçu, ce que j’ai appris, ce que j’ai conquis, évidemment en termes de valeurs que je juge positives. C’est donc partager de bonne foi ce que je sais. C’est aussi échanger en même temps, donc c’est recevoir de l’autre. Au final, « Transmettre » revient ainsi à enrichir, à m’enrichir, autrement dit à élargir ma pensée, en l’élargissant au monde.
De mon point de vue toutefois, il y a des nuances à prendre en compte dans l’acte de transmission. Sur le plan personnel, nous sommes à même de transmettre à notre descendance, les pratiques et principes de vie que nos parents et formateurs nous ont appris. Sur le plan maçonnique, nous transmettons de la même façon, en atelier et dans le monde profane, les valeurs reçues de nos aînés. Cela ne signifie pas que nous devons transmettre des idées et des outils figés. Car la vie humaine est escortée par une notion qui lui est spécifique et qui s’appelle le progrès, certes avec ses bons et moins bons côtés. Le couteau Laguiole qui est commercialisé aujourd’hui n’est plus celui fabriqué il y a un siècle, mais c’est toujours un Laguiole. Pareillement pour le maillet et le ciseau, composés avec de nouveaux matériaux.
Dans cet esprit de progression, de changement, la vertu de tolérance, synonyme de l’indulgence des temps passés, n’a plus le même sens de nos jours, assombris par le phénomène d’une violence accrue. De la sorte la tolérance se trouve limitée aujourd’hui par l’intolérable, en soi progrès de la raison. Celle-ci doit nous conduire à savoir dire oui et savoir dire non, avec prudence et mesure, aux actes de nos semblables.
De la sorte, « transmettre » ne veut pas dire uniquement « reproduire » mais également « produire ». Non seulement des objets nouveaux, mais également des idées, des raisonnements, des concepts neufs. Le tout en franc-maçonnerie, dans un double but :
1.Nous enrichir spirituellement, au sens de la vie de l’esprit,
2.Mieux vivre ensemble, dans le sillon respectable et respecté, des expériences anciennes.
Transmettre » ne signifie pas non plus créer une opposition entre conservateurs et progressistes, ce qui signifierait l’échec total de la démarche !
Il convient que le passé de l’Art Royal qui est la colonne vertébrale de notre édifice commun, ne soit considéré, ni comme un vestige fébrilement entretenu ni comme une relique, mais bien, ici et maintenant, dans notre actualité, comme l’articulation vivante, donc la force motrice de nos recherches. Transmettre », c’est donc « améliorer », « créer », « inventer », « innover », dans le sillage fondateur. C’est tout le sens qui s’ouvre à notre réflexion, donc, entre autres, à la rédaction de nos planches.
Ainsi, cette conception de la transmission, au fil de nos travaux, devrait nous permettre, tout en offrant une part de nous-mêmes à nos ateliers, d’instruire et de nous instruire entre nous, donc en même temps « apprendre deux fois ». Et puis enfin, « Transmettre », dans l’idée de continuité temporelle que ce verbe sous-tend, c’est aussi penser à demain, aux Frères qui nous succéderont, pour transmettre à leur tour, savoir et connaissance.
Autrement dit, la transmission responsable implique bel et bien, ce que j’appellerai un « devoir d’avenir ». En n’oubliant jamais toutefois, que « devoir » ne signifie pas « obligation » et encore moins « obligation de résultat ». Autrement dit il n’y a de transmetteur que s’il y a un récepteur. Soit la volonté, l’envie d’autrui de recevoir !
Il s’agit donc d’avoir conscience à la fois de la valeur de ce que l’on espère transmettre et du bénéfice que peut en retirer le dit récepteur présumé ! Une attitude mentale qui exclut toute idée de pouvoir mais demande tout au contraire bienveillance, patience et humilité ! En laissant ainsi à notre semblable, la liberté de refuser.
Au vrai, avant de prétendre transmettre – que ce soit une idée, une méthode ou un savoir-faire, il faut d’abord vouloir et tenter d’être, en toute modestie un passeur de DÉSIR. Le moteur même de la vie !