ven 22 novembre 2024 - 06:11

L’extravagance meurtrière de la Franc-maçonnerie et du christianisme

La Tradition, avec une majuscule, est une recherche fréquente chez quelques humains quels que soient le lieu, l’époque, les aspects sociaux. Elle pourrait être l’impression de ne plus être lié à la matérialité et, précisément à sa corporéité. Elle éveillerait la sensation d’un espace indéfini sans lieu, ni temps, sans but précis, et dans le calme et la paix universelle du multivers.

            Pour y parvenir les humains ont mis au point, depuis toujours, des cheminements internes : descendre en soi, externes : vivre la nature. Ce sont les traditions, avec une minuscule.  Ces traditions évoluent sans cesse, en fonction des données du moment et notamment de la représentation que se font les humains d’une époque donnée, d’eux-mêmes. Les traditions, toujours avec une minuscule, sont donc toujours à remettre sur la planche à tracer.

            Les traditions maçonniques n’échappent pas à cette nécessité absolue : l’idée que se faisaient de l’humain James et Théophile est aujourd’hui dépassée ainsi que celles de leurs successeurs. Depuis cent ans environ, les sciences humaines ont renouvelé de fond en comble l’image que nous nous faisons de nous-mêmes. Notre cheminement initiatique maçonnique doit urgemment être repris. Ce fut le discours d’Oswald Wirth, de Daniel Beresniak, mon guide spirituel, de Jean Mourgues et de quelques autres. Ceux qui ne confondaient pas du tout la tradition, avec une minuscule, fourmillante de choix locaux, avec la Tradition, majuscule immuable. Il convient donc de reprendre les traditions du cheminement maçonnique, comme on le ferait pour les autres. Elles sont vieillies, dépassées et bien souvent, ringardes. Daniel B. fut un des principaux chantres pour rénover[1] nos traditions, grâce à ce que nous ont appris les sciences humaines sur les humains. Je développe les métamorphoses concrètes que ces sciences entraînent dans nos rituels, dans mon livre testamentaire : « Plaidoyer pour la survie de la Franc-maçonnerie ».

            Un des points les plus vertigineux à explorer est la violence si typique de l’animal humain. Il ne cesse de mener des guerres, des massacres, des tueries, des écrasements… Sans comparaison avec les autres animaux ! Tout cheminement initiatique vers la Tradition, toujours avec la majuscule, exige donc de faire le point sur cette violence. La Franc-maçonnerie s’y attelle au début du XVIIIe siècle, en relation avec le christianisme. Mais elle a pris son indépendance conceptuelle et rituelle et a bousculé la tradition, cette fois avec la minuscule, religieuse. Au point où, désormais, elles se font face, sans convergence. C’est le but de cet article : quelles sont donc les positions, sur la violence humaine, de la Maçonnerie et du Christianisme ? Alors n’hésitons plus ! Que nous apprennent les sciences humaines sur cette violence, cette chérie qui grouille en nous ? Et quelles conclusions provisoires en tirer dans chaque cas ?

            Freud, dans sa seconde théorie distingue, dans les tréfonds de l’inconscient deux forces qui se combattent, se soutiennent et s’emmêlent : ce sont les pulsions de vie et de mort. Voilà le matelas psychique dès l’embryon, le fœtus, chez les humains et les autres animaux. Aucune morale. Les pulsions fourniront les grandes dualités fondatrices : le soin et la loi, la peur et la sécurité, le vide et le plein, l’autre et soi… Elles sont complémentaires. Aucune n’est plus utile. Dans la pulsion de mort, il y a, entre autres, l’envie forte de la violence, jusqu’à celle de tuer. C’est de cette violence en nous dont il s’agit ici. Ce qui fait obstruction à la « lapidité » de ses envies. Illustrations permanentes, sous de multiples formes : des grognements de colère, aux pleurs et aux gestes « enfuriosés ». Qui tuent avec délectation ou/et embrassent avec amour. L’exemple le plus connu est le complexe d’Œdipe qui raconte la saga d’Hiram. Ce complexe court, dans ses manifestations sensuelles vers 3-5ans. La base : le garçon[2]. Le garçon craint que le père, ou leurs représentants, humains variés, dispositifs sociaux, ne lui vole l’objet de son amour, sa mère. Et cela le rend, symboliquement, furieux et éveille une resucée de la violence tapie dans la pulsion de mort : tuer papa serait la bonne solution. Sachant que le gamin éprouve aussi pour son père de l’attachement. Mais la violence native n’est guère défendue socialement comme une vertu. Alors la violence désirée, exercée symboliquement, a besoin d’être cachée. Du coup, elle est bien souvent simplement justifiée par la bonne conscience, ce paravent hypocrite et trompeur qui sert à toutes les vilenies, y compris et surtout à justifier les guerres. C’est pourquoi la violence et ses affidés, la menace, la tuerie, les atrocités meurtrières sont une urgence à explorer chez les êtres humains. Sans se contenter des laïus hypocrites des échanges grimés en saveur de paix attendue !

            En bref, deux conceptions de la violence, du meurtre ; celles de la Franc-maçonnerie et celle du christianisme. Les comparer, ce qui est encore inédit, c’est démontrer que les deux mouvements sont radicalement opposés. Malgré les fondateurs chrétiens et les milliers de pages qui ne cessent d’être écrites sur cette  « filiation » religieuse. Le GADLU, soit Dieu, n’est-ce pas ? Et bien pas du tout !, selon mon analyse. C’est en fait pour moi, une opposition radicale. Commençons par la doctrine du christianisme.

            La Franc-maçonnerie, qui est une véritable psychagogie[3], met la violence en scène et ses baumes décents et forts. J’ai bien sûr évoqué Hiram. Or, face à la doctrine et pratique maçonnique, un tout autre traitement de la violence régit depuis 2000 ans, 3 milliards environ de croyants. C’est proprement effrayant dès que l’on pèse la doctrine meurtrière de cette religion qui se pare des beaux atours d’amour. Il ne s’agit plus du complexe d’Œdipe mais d’un autre, je le nommerai le complexe de Lycurgue[4]. C’est une conspiration mondiale et à travers les siècles, taboue mais puissante, car elle permet la délectation dans ses pulsions meurtrières, en toute impunité sociale. Voire avec la bénédiction des servants, le clergé, qui nous prosterne devant l’horrible croix.

            Un psychanalyste italien a levé le lièvre : Franco Fornari[5]. Il a évoqué, en biais et en loucedé, les relations violentes du père vis-à-vis de son fils mais son message, discret, n’a pas dépassé ses propres recherches et réflexions dans le domaine analytique. Qui oserait ? Il a étudié la guerre de près en relation avec la mère mais en faisant comprendre, entre les lignes, que le mâle est prêt à tuer l’enfant si ce dernier menace la mère. Scandale insupportable enfoui dans les oubliettes des censures de la honte et du déni social. Et ce malgré la tradition gréco-romaine de l’infanticide, qui touchait les filles et aussi les nouveau-nés mal formés, ceux des fruits adultérins. Le père ou un magistrat déposait la corbeille, en pleine exposition, dans un passage. La plupart du temps, le nouveau-né mourait dans l’indifférence générale. L’infanticide fut interdit par le christianisme en 374. Pourtant, Dieu le Père se livra à l’horreur, dans l’accord et la liesse générale, de l’infanticide avec Jésus âgé de 36 ans ; avec une cruauté sans égale. Sous ses ordres, d’abord la flagellation, puis le chemin de croix, enfin la crucifixion, torture extrême sans la moindre compassion de Dieu le Père. Sous les encouragements, lazzi et ricanements de la foule. Dans un coin une mère, Marie, dont tout le monde se fiche, sauf Jean. Le pauvre Jésus, déchiqueté, souffla cette parole révélatrice de sa compréhension de cet infanticide, en murmurant « `Mon dieu, mon dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Sans réponse. Cette suite d’horreurs a été cachée profondément et personne, jusqu’à aujourd’hui, n’ose évoquer la jouissance à savourer la violence ; ce qui est si banal pourtant. Il suffit de regarder les films qui ravissent par leur brutalité et leur cruauté. Ou les faits divers du genre : une petite fille de 9 ans a été violée. La télévision passe des dizaines de minutes là-dessus ; car cela fait savourer notre envie de cruauté et de tuerie. Mais ce n’est pas bien de prendre ce plaisir innommable ! Alors, il faut trouver des parades pour réfuter en soi ce désir inacceptable aux tamis de notre morale. La chrétienté a trouvé une réponse qui nous satisfaits croyants ou pas ! C’est l’Amour majuscule et la compassion qui nous pousse à « plaindre » les victimes et à disposer des bouquets de fleurs devant les tombes. Car Dieu le Père, c’est bien connu, est Tout Amour.

            J’ai évoqué la torture de Jésus ? Venons-en au traitement de la violence par notre Franc -maçonnerie. Elle a cherché et trouve une autre réponse, sans ce voile de pudeur honteux.

            Hiram Abi est poursuivi par trois « mauvais compagnons » ; il y a donc reconnaissance de la violence humaine ; en filigrane, celle des jeunes vis-à-vis de l’ancien qui est, dans le cas du rituel,  « Hiram mon père ». Les trois fils ont une violence croissante : ils ne visent pas a priori le meurtre, ils veulent remplacer Hiram en sachant les mots. Le désir de tuer vient à la troisième demande non aboutie. C’est là que les mauvais compagnons tuent, avec le maillet, leur père symbolique. Mais ils ont honte, comme les fils bien souvent, dans leur envie de tuer leur père. Ils l’enterrent. A comprendre comme un refus d’avouer leur violence. Mais la société refuse cet aboutissement du complexe ; d’où la recherche du cadavre pour bien faire comprendre l’interdit dans l’exécution de l’Œdipe. On ne parle plus à ce degré des trois compagnons qui sont là pour apprendre que le passage à l’acte est interdit par la société. Il est retrouvé et relevé par l’Expert. Je préfèrerais que ce soit l’Hospitalier : le premier vise à l’application du rite, le second délivre le message d’amour. Voilà la leçon : l’amour de l’humanité, posé comme modèle et devoir, peut nous sauver des excès meurtriers parricides. C’est parce que les autres ne le font pas que je ne le ferai pas. Parce qu’ils m’apprennent à transformer l’envie de meurtre en amour ; ou plutôt à mêler les deux : j’ai envie de tuer papa mais je suis, en même temps attaché à lui. En bref, la Franc-maçonnerie met en scène l’Œdipe, à une virgule près.

            Quelles conséquences sur la gestion de la violence innée, dans les deux traditions ? Pour les croyants, elle est condamnable. Pour ce faire , elle est maquillée sous le voile épais, gras et omniprésent de l’amour divin. Dieu est tout amour mais nous l’avons vu ; il est en fait mu par le complexe de Lycurgue : le père tue le fils. Mais dans les atroces épreuves que tout le monde connaît et accepte puisque, c’est le Tout Amour qui le souhaite. Chacun(e) est rassuré(e)sur la violence qui s’agite sans cesse dans ses tréfonds. Et la doctrine lui prête les moyens hypocrites de la planquer sous la vertu. C’est par amour que Dieu le Père tue atrocement son fils.

            Dans la Franc-maçonnerie, la chanson est bien différente. Oui, la violence existe et les initiés(es) le reconnaissent. Mais elle n’est aucunement liée à l’intention de faire mal. C’est un moyen pour devenir le chef à la place du chef. Comment se sortir de cette impasse, parce qu’il faut bien que cette tuerie soit légitimée ? C’est le relèvement d’Hiram qui nous fournit la réponse : suivre les lois de la société et de la nature. C’est la meute tout entière, via l’Hospitalier, qui clame : « Oui, tu es mort, oui tu es vivant désormais : la meute te soutient ! Et, en cela, tu as besoin d’un baiser et non d’une torture ».

            En bref, le discours larmoyant parfois et régénérant d’autres fois est bien celui de l’amour présent dans les deux doctrines mais dans un accouchement eschatologique opposé. L’ hypocrisie ou le face à face avec la réalité. Dans le christianisme l’hypocrisie dédouane sans effort le croyant. En Franc-maçonnerie, la violence et le secours sont mêlés.

            Et les deux conceptions de l’humain vont servir de socle à l’imaginaire du cherchant quel que soit son bord : Les chrétiens choisissent le plus atroce : la croix du supplice. Elle est partout, des églises aux chambres à coucher. Elle est dressée dans les processions et brandies dans les ovations religieuses. La croix n’échappe à aucun des milliards de chrétiens, fussent-ils tièdes dans leurs convictions religieuses. L’instrument le plus atroce de la torture de ce pauvre Jésus, la croix, est sacralisé. Le grand symbole ! N’est-ce pas grâce à l’amour du Père ? Ainsi l’horreur de la torture christique est noyée, engloutie dans le « tout amour » du père. Il nous dédouane, hypocritement, de notre pulsion meurtrière.

            Pour les Francs-maçons, la chanson a des trilles bien moins stridentes dans l’horreur. Les trois mauvais Compagnons qui, hélas, seront exécutés dans un degré suivant, ont un très fort désir œdipien : se mettre à la place du père, en l’occurrence Hiram. Et se dessine, dans le flouté du rituel et de son vécu en soi, l’organisation de la société, la meute humaine. Celle de tous, ou presque des mammifères, sauf en partie, les éléphants et les hyènes. A savoir un mâle dominant, des jeunes mâles jaloux. Et plus nombreux, d’autres moins vindicatifs ; puis la troupe des mâles et des femelles qui élargit le bas de la pyramide. Puis des enfants, les démunis, les rejetés qui forment l’assise pullulante. Cette disposition des individus dans les meutes se nomme l’ « organisation pyramidale ». Les humains n’échappent pas à cette loi de nature, bien entendu. Regardez la société, dans tous ses aspects : économiques, politiques, sociaux, associatifs… Presque partout l’organisation pyramidale régit le capitalisme, le socialisme et la naissance des extrêmes droite et gauche. L’anarchie est reléguée dans l’horizon injouable, n’est-ce pas Frère Léo Campion ? Mais je ne suis pas sûr que toutes les Sœurs vivent comme une évidence, cette organisation pyramidale, si machiste. Même si nos Loges, bien entendu, ne dérogent en aucun cas à cette organisation qui semble aller de soi. J’ai comme l’impression que les femmes ont la richesse intérieure de vivre autrement que dans cette pyramide. Qu’en penses-tu ma Sœur ? Des loges, folles de créativité, s’y essaient.

            C’est pourquoi la Croix du supplice est le symbole de ralliement universel des chrétiens. Mais les Maçons ont choisi le Delta triangulaire pour signifier le bon fonctionnement de l’organisation pyramidale. Croix et delta ; supplice et meute. A chacun(e), bien entendu, de se laisser choisir : la tolérance maçonnique, quand elle est vissée dans les replis de l’inconscient, admet la foi. Mais ne nous y trompons pas, la chrétienté et la Franc-maçonnerie se chahutent dans leurs positions irréfragables. Elles s’égrènent dans leur opposition. Au chrétien maçon de vivre, comme il l’entend et le peut, au nom d’une tolérance qui, parfois, est de pacotille et de carton mou ! Mais que chacun(e) chemine vers la Méditation.

Le christianisme dénie, déguise et dément

La Maçonnerie avoue, accepte et admet.


[1] Refaire vivre ?

[2] Différence pour les filles, car plus complexe. Désolé mes Sœurs mais vous êtes moins simplificatrices !!!

[3] Pédagogie de l’initiation.

[4] Lycurgue est plutôt frappé de folie par Zeus. Il tue son fils, nommé Dryas, le prenant pour un cep de vigne. Il ne recouvre la raison qu’une fois son fils démembré.

[5] 1921-1985

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Jacques Fontaine
Jacques Fontaine
Jacques Fontaine est né au Grand Orient de France en 1969.Il se consacre à diffuser, par ses conférences, par un séminaire, l’Atelier des Trois Maillets et par une trentaine d’ouvrages, une Franc-maçonnerie de style français qui devient de plus en plus, chaque jour, « une spiritualité pour agir ». Il s’appuie sur les récentes découvertes en psychologie pour caractériser la voie maçonnique et pour proposer les moyens concrets de sa mise en œuvre. Son message : "Salut à toi ! Tu pourrais bien prendre du plaisir à lire ces Cahiers maçonniques. Et aussi connaître quelques surprises. Notre quête, notre engagement seraient donc un voyage ? Et nous, qui portons le sac à dos, des bagagistes ? Mais il faut des bagagistes pour porter le trésor. Quel est-il ? Ici, je t’engage à aller plus loin, vers cette fabuleuse richesse. J’ai cette audace et cette admiration car je suis un ancien maintenant. Je me présente : c’est en 1969 que je fus initié dans la loge La Bonne Foi, à Saint Germain en Laye, au Rite Français. Je travaille aussi au Rite Opératif de Salomon. J’ai beaucoup voyagé et peu à peu me suis forgé une conviction : nous, Maçons latins, sommes en train d’accoucher d’une Voie maçonnique superbe : une spiritualité pour agir. Annoncée dès le début du XXème siècle. Elle est en train de se déployer et nous en sommes les acteurs plus ou moins conscients mais riches de loyauté.

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