(Les « éditos » de Christian Roblin paraissent le 1er et le 15 de chaque mois.)
J’adore le 1er août, délice de cœur d’été. Il me souvient que naguère encore on enseignait qu’amour, délice et orgue changeaient de genre avec le nombre – en brandissant une sacro-sainte et lourde bible belge, Le bon usage de Maurice Grevisse, ce gigantesque tableau de la langue française fourmillant de citations et de réponses nuancées : amours, délices et orgues se féminisaient au pluriel.
Du reste, ces exceptions ont immémorialement enchanté cette saison splendide et permissive où, sous les effets combinés de la température et de l’oisiveté, l’on se promène volontiers à moitié nu, Amours ardentes aux flammes passagères, délices raffinées mêlées de chauds parfums, grandes orgues de la Nature déchaînant les c(h)œurs… C’est ainsi que je me plais à espérer qu’une telle curiosité transgenre connaisse un regain de faveur, bref, revienne à la mode, au milieu des refrains de l’époque, diversement inspirés.
Bon, d’accord, je dois secouer cette délicieuse torpeur, chasser l’indolence brutale des laisser-aller irréfléchis… et, cependant, garder quelque chose de cette confusion du corps et de l’esprit qui, dans son abandon et son dessaisissement, peut annoncer une clarté, celle d’une unité retrouvée. Il vaut de s’interroger sur une maçonnerie trop cérébrale, disséquant à l’infini dans une non moindre prétention à réunir. L’initiation voudrait être une voie de réalisation. Elle bégaie souvent, sur le chemin. Sa respiration gagnerait à passer davantage par le corps, à écouter l’être profond qui est une âme-matière vivante, le point unifié de son origine, cette chair habitée par l’émotion et la pensée, qui appartient au monde.
On en discerne l’orientation, ne serait-ce que par la pratique des pas, la position d’ordre requise pour la prise de parole en loge et, plus largement, la posture physique en position assise, qui prédispose à l’écoute et à la méditation, c’est-à-dire à l’accueil de l’instant présent, sans volonté de tout contrôler par la raison. Il me semble que la gymnastique du corps et celle de l’esprit se conjuguent alors, dans une forme de repos et de recentrement. La parole puise ainsi sa source dans cette énergie consciente et adapte son flux à cette économie. Une toute récente étude du directeur de publication de ce site propose une approche méthodique des réalités en cause, à la fois sur le plan symbolique et dans une perspective concrète, à la confluence de la tradition maçonnique, d’origine occidentale, et de spiritualités extrême-orientales, explorées jusque dans l’alimentation et les arts martiaux[1].
Si l’on voulait, en conclusion, résumer l’objectif des différentes disciplines qui nous occupent, on pourrait sans doute, d’une façon plus délibérée donc plus active, s’en rapporter à Juvénal qui, dans sa dixième Satire, se déprenant des vaines implorations constamment adressées aux Dieux, ne retenait qu’une prière reposant sur l’antique croyance du lien mystérieux et surnaturel régissant la santé physique et mentale – qu’il exprima dans une formule lapidaire demeurée célèbre : Mens sana in corpore sano. En effet, le poète satirique, démuni face au sort que réservaient les puissances célestes à chaque individu au plan sanitaire, en était réduit à murmurer des orémus, tandis que nos contemporains savent que leur santé dépend aussi largement d’une hygiène de vie appropriée, de sorte que ce qui jadis n’était qu’espoir devient largement effort aujourd’hui. Pour nous, à la lumière de l’évolution de nos connaissances, grâce aussi bien à des exercices physiques et spirituels qu’à des principes d‘action et à des règles de vie, l’invocation se double, désormais, d’une injonction autrement efficace : « Un esprit sain dans un corps sain ».
[1] Franck Fouqueray, Les clés d’une nouvelle franc-maçonnerie par le corps : ‟Entrez dans les mystères d’une pratique peu connue″, Montesson : éditions Numérilivre, mai 2023, 202 p., 22 €.
Addendum en date du 27 septembre 2023 :
On complétera utilement la précédente recommandation de lecture, de la référence suivante concernant les quatre éléments (Terre, Air, Eau, Feu) :
Franck Fouqueray, Comment gérer les 4 nourritures maçonniques ?, Paris : éditions Dervy (coll. : Les outils maçonniques du XXIe siècle), septembre 2023, 100 p., 9,90 €, ouvrage qui fait rigoureusement suite au précédent, quoique paraissant chez un autre éditeur mais seulement quelque quatre mois plus tard, et dont celui-ci termine ainsi la présentation :
” Et si l’avenir passait par l’évolution des rituels et de la pratique en intégrant des éléments manquants (méditation et respect du corps : équilibre de l’alimentation, de l’hydratation et de la respiration) ?
La franc-maçonnerie saura-t-elle négocier ce nouveau virage qui lui permettra de conserver sa légitimité ? C’est justement ce que cet ouvrage propose.”