ven 22 novembre 2024 - 17:11

Qu’est-ce qu’aimer ?

Prêcher l’amour entre les hommes ! Il est impossible d’aimer sur commande ! Ni de donner l’ordre à quelqu’un d’aimer ! L’amour – cet élan vers l’autre – n’est pas une affaire de volonté, encore moins de devoir. Il serait ainsi de l’ordre mystérieux du désir !

Nous n’avons pas de « centre de l’amour » dans le cerveau, comme nous avons un centre de la toux ou de la respiration. Dès lors, si l’amour n’est ni vertu ni contrainte, d’où vient cette disposition à la bienveillance. Ce choix serait-ce un idéal ?

Il n’est pas inutile de s‘interroger sur le « mécanisme de l’amour ». Qu’est-ce qu’aimer ? L’image d’une création mutuelle, en somme d’un repas partagé : « l’art des mets » ! De fait, au-delà du jeu de mot facile, il est bon de remonter à la source : le petit d’homme que chacun, chacune de nous a été, naît dans « un monde de liens ». Pendant sa gestation qui élabore son architecture, il est lié à l’organisme maternel. Ainsi se forme un couple fonctionnel et non deux unités indépendantes. Jusqu’au moment où sa naissance au monde l’individualise. Et qu’il distingue sa maman, son papa et les autres, de l’extérieur. On peut comprendre que cet être, devenu enfant, adolescent, puis adulte, caresse inconsciemment, « l’idée folle » de reformer le couple initial.

Vient ici, pour le franc-maçon, la franc-maçonne, la représentation du symbolon, les deux morceaux de la même pierre coupée en deux et rapprochée, qui forment ainsi le symbole. Dans la pièce « le banquet de Platon », son auteur Aristophane introduit le mythe de l’être double : Imaginons. A l’origine, hommes et femmes ne sont pas séparés. Ils sont accolés, heureux de l’être. Conscients de leur force commune, ils décident d’escalader le ciel et d’attaquer les dieux pour prendre leur place. Pour les punir de leur suffisance, Zeus les coupe en deux, dans le sens de la hauteur. De la sorte, chaque nouvelle créature, amputée de l’autre, porte à la fois le deuil et l’espoir de s’y « ressouder ». Ce mythe répond ainsi à la question posée : Aimer, c’est désirer retrouver son intégrité originelle. Et c’est donc s’aimer en même temps.

Notre inconscient est marqué à jamais par le lait, véritable dieu liquide, offert par le sein maternel ou le biberon. Une satisfaction inoubliable qui renvoie à cet être fantasmé blotti en nous. Ce qui fait dire à la psychanalyse, que chacun n’aime que soi, plus exactement, cette partie de soi, en un temps gratifiée, et que Freud, nomme le « stade oral ».

Du désir au plaisir

L’amour n’est donc pas complétude mais frustration ! En ce qu’il est désir et que le désir, c’est l’attente, le manque. Un désir qu’il faut entretenir, c’est la fameuse « libido » dudit Sigmund Freud : il englobe sous ce vocable, l’ensemble des désirs, pas seulement le désir sexuel. Apparaît donc ici, une notion d’énergie à préserver, à prolonger. Le manque, ce sont aussi nos manques, qui font dire au psychanalyste Jacques Lacan : « L’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ».

En effet, aimer véritablement, c’est se présenter avec ses forces mais aussi avec ses faiblesses. C’est offrir ses manques. Un « vide » que l’autre n’accepte pas forcément ! L’amour partagé ne peut donc être que la rencontre de deux « acceptations ». Le désir passerait ainsi par le plaisir retenu, « retardé », l’assouvissement signifiant sa fin. L’amour ne vaudrait donc que par le manque précité et non sa satisfaction !

Pour assurer notre survie, nous devons pratiquer une forme d’égoïsme obligatoire, à même d’assurer notre fonctionnement corporel. Nos sollicitations organiques font de nous des « êtres de désirs » sans cesse en demande. Nos trois besoins fondamentaux nous le rappellent avec la faim, la soif et la sexualité. Auxquels les anthropologues ajoutent « le besoin de récits » (mythes, fables, histoires, légendes).

Si nous pouvons assouvir, dans une relative indépendance, faim, soif et récits, en revanche, la pulsion hormonale, c’est à dire le besoin, la fonction sexuelle de reproduction et de perpétuation, impliquent d’évidence, que nous communiquions. C’est bien cette dépendance qui est « attractive » et nous incite aussi à l’approche et à l’amour d’autrui.

Nous avons besoin d’être mieux que reconnus, considérés. Bref, aimés ! Mais pour recevoir de l’amour, il fait savoir en donner. Le roi Salomon lui-même dit dans ses poèmes, que le sens de la vie, c’est bien d’aimer. L’esprit maçonnique, nous permet précisément de nous approcher de nous aimer, avec notre bon vouloir.

C’est à dire que dans cet espace d’entraînement, ce « gymnase de l’esprit » qu’est la loge, où s’échangent émotions et sentiments, l’amour est bien pour nous, non une obligation, mais une vertu conquise et entretenue à longueur de tenues, par notre travail « d’assouplissement » de ces muscles que sont l’intelligence, et son comble, la bonté. Sachant que l’amour signifiant réciprocité, il ne s’agit pas d’aimer tout le monde !

Aimer, toute une philosophie !

Que serait la pensée maçonnique contemporaine sans la manne philosophique à sa disposition, dans les fonds latins et hellénistes ?! Les philosophes antiques ont répertorié les formes d’amour qui n’ont pas varié à travers le temps. Les Latins en citent trois : L’amour captatif (domination), l’amour oblatif (soumission), l’amour communion (fusion). Les Grecs en décrivent trois également, que mythologie et poésie leur permettent de largement commenter : Eros, Philia et Agapé.

Eros symbolise la force attractive, ce désir même qui assure la reproduction de l’espèce humaine et ses spécificités. Il est ainsi à la fois l’amour-passion, l’amour-possession et l’amour-manque (finalement l’amour de soi à travers l’autre) selon Platon.

Philia (né du verbe philein, aimer) c’est tout à la fois l’amour entre mari et femme, l’amour maternel et paternel, l’amour filial, l’amour fraternel. C’est encore le bonheur d’être, la bienveillance échangée, la confiance mutuelle. C’est enfin l’amour-joie selon Aristote. Spinoza dit plus tard la même chose en affirmant qu’aimer, c’est se réjouir.

Agapé est une troisième forme d’amour, supérieure aux précédentes, selon les Grecs antiques. Avec deux sens : l’Agape, repas pris en commun (partage) et Agapé, qui renvoie à la charité (en latin caritas, amour, qui est aimé, cher). L’agapé-charité, dans sa dimension de compassion, d’amitié spontanée et d’offrande, n’attend pas de retour. C’est là sa supériorité sur les deux autres formes d’amour. Etre amoureux est un état, aimer est un acte dit le philosophe suisse Denis de Rougemont. Il différencie très bien de la sorte, les trois formes grecques d’amour.

Ces trois formes d’amour valorisent la notion de désir, en tant que moteur humain. Notons que philosophe Gilles Deleuze pense que le désir n’est pas forcément manque mais au contraire « production » et « créativité ». De la sorte, il nous renvoie ici, pour exemple au « désir imaginatif » des grands peintres, de Michel-Ange à Picasso. Ou à celui des grands écrivains, de Sophocle à Victor Hugo. Autant de génies qui nous font courir de bibliothèques en musées ! Comme le désir d’échange nous conduit en loge. Remarquons enfin que l’on peut apprécier et aimer des gens en les connaissant mieux. Nous en faisons l’expérience en franc-maçonnerie : Certains frères, certaines sœurs, par tempérament ou timidité sont « réservés ». En les approchant, on découvre qu’ils sont très « aimables » !

1 COMMENTAIRE

  1. Agapè, αγάπη, l’amour désintéressé, est l’un des huit noms avec lesquels les Grecs nomment l’amour (Eros ἔρως érotique, Philia φιλία amical, affectueux, Storgê στοργή familial, Ludos λυδός joueur, Mania μανία obsessionnel, Pragma πρᾶγμα durable, Philautia φιλαυτία amour de soi).
    L’acronyme de «A.G.A.P.E.» ἀγάπη, rassemble des principes de la religion chrétienne et de la philosophie stoïcienne : Agapè amour ; Gnothi connais-toi ; Anecho endure, supporte ; Pistueï: avoir foi, avoir confiance ; Epodos prends de la distance, abstiens-toi.

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Gilbert Garibal
Gilbert Garibal
Gilbert Garibal, docteur en philosophie, psychosociologue et ancien psychanalyste en milieu hospitalier, est spécialisé dans l'écriture d'ouvrages pratiques sur le développement personnel, les faits de société et la franc-maçonnerie ( parus, entre autres, chez Marabout, Hachette, De Vecchi, Dangles, Dervy, Grancher, Numérilivre, Cosmogone), Il a écrit une trentaine d’ouvrages dont une quinzaine sur la franc-maçonnerie. Ses deux livres maçonniques récents sont : Une traversée de l’Art Royal ( Numérilivre - 2022) et La Franc-maçonnerie, une école de vie à découvrir (Cosmogone-2023).

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