Nous les maçons visons l’universalisme humain. Nous n’en sommes pas loin, mais les derniers obstacles seront ardus.
Nous les maçons sommes tendus vers l’universalisme : nous souhaitons être le centre de l’union. Le marchepied qui devrait nous aider puissamment à monter vers cet idéal s’appelle fraternité. Nous observons quelques frémissements positifs çà et là : la solidarité qui se manifeste lors des événements naturels douloureux, par exemple.
Mais bien sûr, il y a aussi de grosses nappes de pessimisme qui viennent refroidir les enthousiasmes. Dans le nombre il y a de nombreux aquoibonistes, convaincus que la nature humaine est désespérément prisonnière de ses démons.
Ignorance, fanatisme, hypocrisie, ça vous rappelle quelque chose ?
Une difficulté à s’améliorer, comme individus mais aussi comme collectivité humaine, vient de ce que notre capital génétique compte pour la moitié de notre intelligence et de nos comportements. Et ce capital génétique se modifie infiniment plus lentement que nos technologies et nos sociétés. Nous avons donc des réactions inadaptées dans plein de situations : sapiens se promène avec une grande partie du génome de son ancêtre du paléolithique .
Les religions, auxquelles on peut reprocher deux trois trucs, ont tout de même essayé de contribuer à l’œuvre civilisatrice qui a permis la réduction des taux de violences entre humains. Ne nions cependant pas que ces avancées sont fragiles et qu’il reste toujours beaucoup de chemin à parcourir, entre autres du fait de notre génome archaïque.
« Aime ton prochain comme toi-même », lit-on dans le nouveau testament.
Extraordinaire : il faut non seulement défendre sa petite famille et son clan, mais un cercle plus grand . Agrandir le cercle de l’empathie, voilà un super moyen de progresser ! Côté maçons, commençons par les sœurs et frères , puis rayonnons par l’exemple.
Les psys et sociologues se sont penchés sur la question. Résultat des courses : oui, sans grands efforts on devient attentifs à son prochain, et on peut même agrandir le cercle.
Mais, patatras, ze bad news arrive. Il y a comme un vase communiquant d’empathie, façon je gagne, tu perds. Il y a une forte corrélation entre l’intensité de l’empathie et la ressemblance avec nous des personnes qui vont déclencher notre compassion. C’est presque comme si l’amour tendre vers une personne ou groupe devait être « compensé » par une indifférence voire une haine envers d’autres !
Les psys ont nommé ce phénomène l’altruisme paroissial.
Mais ne sombrons pas tout de suite dans la dépression. En effet, notre altruisme paroissial a évolué au cours du temps : au lieu d’être limités à un cercle d’empathie restreint, nous arrivons depuis quelques siècles à s’identifier à une nation qui est un très grand groupe, au point même de pouvoir se sacrifier ! A l’échelon nation nous arrivons plus ou moins à accepter une règle commune. Il ne nous reste qu’un degré à gravir, un dernier élargissement à réussir pour atteindre l’universalité ! Il s’agit de passer de l’échelon nation à l’échelon « humanité » ( et pourquoi pas « vie » ? ) .
Quels sont alors les obstacles restants pour y parvenir ? Bon, déjà, il faut se rappeler que l’échelon nation a fait couler des fleuves de sang au 20e siècle . C’est bien l’altruisme paroissial qui faisait clamer « Gott mit uns ! » Après la dernière guerre mondiale nous avons rêvé de tordre le cou définitivement au racisme.
Force est de constater que la bête rôde toujours, avec des variantes diverses mais toujours clivantes.
Supposons qu’on arrive à agrandir le cercle d’empathie jusqu’à englober de manière stable toute l’humanité. Le souci est alors qu’on n’a plus le droit de mettre aucun humain ou groupe dans la position du bouc émissaire. Analysons où nous en sommes. D’abord, de nombreux pays vivent dans des dictatures. Cela donne un air de cohérence à leur démarche, mais bien sûr cet aspect n’est que superficiel, obtenu par la contrainte des populations. Et si nous regardons les pays démocratiques, tous subissent des ingérences des anti-démocrates visant à les affaiblir. Ils sont de plus tiraillés de l’intérieur par des minorités actives jouant de leur statut de victimes ( parfois justifié ) .
A propos des grandes nations démocratiques, il faut signaler qu’elles se comportent comme des entités complexes . Chaque humain est un individu certes, mais l’ensemble de la société, tout en étant contraint par les limites de l’humain, se comporte comme un organisme vivant autonome, vie matérialisée par les millions de micro-décisions prises par chacun des membres. C’est de cette manière que vit une colonie de fourmis : tout se passe comme si la colonie prenait ses décisions après réflexion. Ce que nous devons retenir ici, c’est que l’humanité dans sa globalité se comporterait d’une certaine façon, qui n’est pas forcément ce qu’un gouvernement déciderait…
Bref, l’universalisme, on y est presque, mais on ne sait pas quand on y arrivera.
S’il y a nécessité d’accélérer, par exemple pour cause d’urgence climatique, ce ne sera possible que si la souffrance devient forte.
Nos maîtres vénérés qui autrefois formaient la chaîne d’union avaient raison de proclamer le cheminement est plus important que l’atteinte du but.
De plus, les psys comme Thierry Ripoll concluent que le cerveau humain est mal équipé pour gérer un état stable : depuis le néolithique nous avons appris à aimer la compétition, et à accepter l’inégalité qui va de pair avec la compétition. Qui plus est, il a été montré que la compétition pour le droit de transmettre ses gènes est bénéfique à la survie de l’espèce. C’est sans doute pour ces raisons que nous craignons l’ennui plus que tout. Cela nous rappelle le Meilleur des Mondes : le « sauvage », élevé dans le romantisme de Shakespeare, est flamboyant et animé, alors que les « civilisés » se traînent et se voient administrer des psychotropes dès qu’un peu d’émotion les étreint.
Allez, arrêtons de gémir et espérons : on observe que la cadence des changements civilisationnels a beaucoup crû !