Et si apprendre et comprendre relevait d’une question de regard sur les activités humaines !
La franc-maçonnerie est précisément une société de pensée qui, avec ses quelque 4 millions de maçons et maçonnes répartis en loges sur la planète, observe et interprète les « choses de la vie » jusqu’à contribuer à leur transformation, si nécessaire. En soi, un grand, très grand pari à tenir sur les possibilités actives de l’intelligence de ses membres ! Et qui dit observation et interprétation, dit questionnement et quête de sens.
A l’échelon individuel, l’initié (e) comme tout Homme, a besoin de réponses à ses « pourquoi », qui le caractérisent. Comme il a besoin de pain et d’eau, de se soigner, de se protéger et de se reproduire, il, elle, est aussi en demande de récits, fussent-ils légendaires, et d’explications du monde, aussi diverses soient-elles. En ce début de 21ème siècle, les médias lui fournissent largement ces dernières parmi les innovations !
Des foyers de sens
Ce même initié, cette même initiée, sont ainsi témoins des grands bouleversements de notre époque. Qu’il s’agisse de l’implantation et de la pénétration mondiales du numérique, professionnel et domestique qui supprime le temps et les distances ou de la substitution progressive de l’essence par l’électricité pour tous les véhicules routiers. Qu’il s’agisse du réchauffement climatique et d’une prise de conscience écologique qui partant, nous impose une bonne utilisation de l’eau (dont nous consommons individuellement 150 litres par jour en moyenne) ce trésor liquide à préserver.
Par ailleurs s’impose avec bonheur mais non sans résistance encore d’une certaine gente masculine, l’égalité « hommes-femmes ». Un avènement qui donne enfin à celles-ci accès au pouvoir et avec lui le partage des tâches, des avantages et des responsabilités. Cette parité se traduit en maçonnerie par, à la fois, non seulement l’existence de loges féminines mais la mixité possible de celles qui le souhaitent. Sans omettre l’accès aux degrés subliminaux des rites, jusque-là, il faut bien le dire, réservé aux hommes.
S’ajoutent à ces « foyers de sens », celui de l’allongement de la vie. Associé à l’accroissement démographique, ce phénomène n’est pas sans bouleverser le fonctionnement social et sociétal avec la prolongation nécessaire de la durée des « carrières » et des parcours professionnels individuels. A preuve, les conflits qui en résultent entre les instances gouvernementales et syndicales. Les premières, tenantes du financement – et arguant le principe de réalité – désirent imposer un temps de travail supplémentaire, les secondes, avançant la pénibilité liée à l’âge – une réalité aussi – veulent obtenir la diminution des annuités de labeur.
Enfin, l’initié (e) n’est pas indifférent aux grands problèmes continentaux. Notamment aux désirs d’élargissement de territoires des grandes puissances. La tentative hégémonique de la Russie qui veut annexer l’Ukraine par la force guerrière est un exemple de ce nationalisme néfaste, aux retentissements humains et économiques mondiaux. Dès lors, plus que jamais, la paix menacée et les libertés fondamentales demandent à être défendues. La France, – consciente du danger en tant que partie intégrante de cette Europe agressée – est sur ses gardes. Elle multiplie ses efforts de conciliation entre les belligérants.
A côté de cette guerre dont l’agresseur veut taire le nom, surgissent maintenant des problèmes sociétaux qui interrogent et atteignent l’Homme au plus profond de son être. De l’identité sexuelle mise en cause par la théorie du genre à l’euthanasie qui, au-delà des croyances individuelles, « profanise » la sacralité de la vie. Autant de graves violences anthropologiques à même d’aboutir, dans leur déroulement, à une forme de déshumanisation. Le sacré est précisément une manière de respecter et d’honorer l’Homme, mais encore le mystère de l’univers. Il n’est pas une création pour seulement croire mais aussi pour ressentir, éprouver, vivre une spiritualité dite « laïque » afin de se démarquer du « religieux ».
La loge, un ilot d’humanitude
Que pouvons-nous faire, nous francs-maçons et franc-maçonnes, soldats aux mains nues, devant ce funeste « enfièvrement » planétaire, devant cette sorte de « dégradation » soudaine des « ressentis humains » ?
« Tu veux un monde meilleur, plus fraternel, plus juste ? Eh bien, commence à le faire. Qui t’en empêche ? Fais-le en toi et autour de toi. Fais-le avec ceux qui le veulent. Fais-le en petit, et il grandira… » nous répond Carl Jung (citation également attribuée à Lanza del Vasto, philosophe français d’origine italienne).
Ce monde, l’initié (e) peut – toutes proportions gardées – participer à son édification en loge. Avec les pierres symboliques à la disposition des frères et des sœurs qui y sont réunis pour trouver du sens. Tentons leur inventaire : Le rituel d’abord, dont l’ordonnancement, désarme, apaise, concentre, régule, discipline le corps, réjouit le cœur et nourrit l’âme. La « culture maçonnique » ensuite, qui s’exprime au fil des planches et des échanges oraux. Elle existe, ne nous le cachons pas, parce que la maçonnerie est une grande emprunteuse !
Ainsi s’invitent les sciences humaines, dont la philosophie, porteuse de sagesses, tant grecque que romaine et la psychanalyse, tant freudienne que lacanienne, ici exploratrice du langage et non une thérapie. Ainsi vit en loge, une spiritualité, affranchie des religions, qui n’hésite pas à utiliser l’humour pour éviter de se prendre trop au sérieux et faire jaillir le sens. Sont aussi convoquées l’esthétique et le style – propre à chaque loge – lesquels contribuent à l’harmonie intérieure de chaque participant (e), et à l’ambiance générale. Pour obtenir ce fameux « égrégore » – cet esprit collectif ou encore cet agrégat d’énergie – qu’en d’autres lieux, telle l’entreprise, se nomme la « dynamique de groupe ».
Au moment de l’histoire de l’homo sapiens où le génie humain propose le « transhumanisme (l’Homme augmenté, à la vieillesse sans pathologies et à la mort retardée) et met en place l’intelligence artificielle » (l’Homme remplacé par des cerveaux extérieurs autonomes), il est bon que demeurent, ce que j’appellerais des « ilots d’humanitude ». La loge maçonnique en est un, où l’Homme demeure cet Homme, lentement créé et façonné par la seule Nature, en chair et en os, avec ses forces et ses faiblesses, ses qualités et ses défauts !
La loge, ce lieu où s’exerce notre fraternité, demande, non quelque manipulation génétique, mais pourquoi pas, un nouveau regard. Nous y sommes frères et sœurs de hasard. A une fratrie de sang se substitue une fratrie de sens. Chacun, chacune arrive en loge avec son histoire, ses habitudes, sa façon d’être, son aptitude relationnelle, voire son « besoin d’adversaires » pour exister ! Il serait ainsi faux de dire que l’on devient « copains d’enfance » sur le champ !
Faire famille
Si la mythologie regorge d’oppositions et de drames fraternels (Abel et Caïn, Remus et Romulus, Etéocle et Polynice, entre autres), cela ne signifie pas que la sororité en soit exempte ! En maçonnerie comme ailleurs, il n’est d’être qu’en relation. Et la relation est le lieu même du conflit (intérêts divergents, sentiments blessés, désirs opposés, jalousie persistante). La discorde entre le roi actuel d’Angleterre et son frère en est l’illustration !
En ce sens, le conflit est preuve de vie ! Nous avons tous une carte d’identité alors qu’elle devrait être une carte de différences ! Les discordes naissent souvent d’opinions divergentes (au vrai destructrices) là où il conviendrait d’avoir plutôt des idées (à visée constructrices). De fait, nous abordons ici l’altruisme. Il en existe au moins quatre formes : l’élan vers l’autre, par intérêt (pour obtenir), par devoir (au nom de la morale), par amitié (sympathie), par charité (générosité).
Nous l’avons dit, la fraternité maçonnique – centrée elle sur la sympathie précitée – ne va pas de soi immédiatement. Il s’agit d’abord de se jauger, de s’apprivoiser, de se connaître, pour s’apprécier. Ou non, lorsque la jalousie s’en mêle autour de la couleur des tabliers ! Il y a fort à parier que si nous aimions notre frère, notre sœur de loge, comme nous aimons nos enfants, le courant passerait d’emblée ! En clair, si nous regardions l’autre comme nous regardons ceux que nous aimons avec affection, et si cet autre nous regardait de la même façon, l’amour règnerait tout naturellement. Ce qui s’appelle « faire famille ». Certes, en l’absence de « sentiments-parasites » !
Nous revenons ici au sacré, dont l’authentique définition est ce pour qui on se sacrifierait. Ce sacrifice est évidemment en l’occurrence le ou les êtres chers pour lesquels nous donnerions notre vie, s’il le fallait. De la sorte, au lieu de disserter à l’infini pour savoir si la loge est ou pas un lieu sacré, il convient mieux de penser que ses membres sont, eux, effectivement sacrés ! Il en est de même sur le parvis du temple, en observant nos frères et nos sœurs en humanité vaquer dans la Cité. Oui, l’Homme, quel qu’il soit, où qu’il soit, de l’enfant au vieillard, est sacré ! Donc, intouchable, inviolable. Cet aspect de vénération absolue devrait faire partie de l’éducation et de l’instruction, dès le plus jeune âge.
Nous nous retrouvons ainsi, avec cette considération à la fois respectueuse et affectueuse, quand l’œil devient regard… pères et mères fictifs les uns des autres ! La pensée magique peut parfois se convertir en une astucieuse mais précieuse réflexion!
Partant, comment ne pas approuver le philosophe américain William James quand il disait au siècle dernier : « La plus grande révolution, c’est d’avoir découvert qu’en changeant leurs tournures d’esprit, les humains peuvent modifier les conditions extérieures de leur vie ».
Une citation toujours d’actualité.