ven 22 novembre 2024 - 14:11

Lieu symbolique : Saline royale d’Arc-et-Senans

La Saline royale d’Arc-et-Senans est une ancienne saline du XVIIIe siècle en activité jusqu’en 1895, construite à Arc-et-Senans dans le Doubs, en région Bourgogne-Franche-Comté.

Blason d’Arc-et-Senans.

Implantée près de la forêt de Chaux – un des plus vastes massifs de feuillus de France, à l’est de Dole, et abritant toujours de Bons Cousins Charbonniers –, elle porte aussi le nom de Saline royale de Chaux.

Claude-Nicolas Ledoux (v. 1780) par Antoine-François Callet (détail) Musée Carnavalet, Paris.

Elle compte parmi les plus importantes salines d’Europe de son époque, et a été construite par l’architecte des Lumières Claude-Nicolas Ledoux (1736 – 1806) sous le règne de Louis XV pour transformer la saumure, extraite aux salines de Salins-les-Bains transférée jusqu’à Arc-et-Senans par un saumoduc de 21 km.

Arc-et-Senans, le palais de l’or blanc

Cette saline est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1982.

Salins-les-Bains

Au XVIIIe siècle, la grande saline de Salins-les-Bains devient trop exiguë, on confie à Claude-Nicolas Ledoux, inspecteur des salines, le soin de réaliser une extension qui recevrait la saumure de Salins.

Exemple de conduite de saumure à Salins-les-Bains. Le saumoduc est fait d’éléments cylindriques en troncs de sapin dont le centre est évidé.

Selon un plan semi-circulaire et une architecture audacieuse, il échafaude une cité idéale, entre palais et usines.

La maison du directeur.

Ce fleuron d’architecture industrielle dû à Claude-Nicolas Ledoux, l’un des précurseurs du style néoclassique, permettait de vivre en autarcie, les bâtiments comprenant les ateliers de travail et les habitations des ouvriers.

Tous les édifices sont symboliquement tournés vers la fastueuse et monumentale maison du directeur, reconnaissable aux colonnes doriques de son péristyle, dignes d’une villa italienne, et de son « oculus ». Ledoux voyait dans ce plan en hémicycle une « forme pure comme celle que décrit le soleil dans sa course […] imitant l’harmonie universelle du monde ».

La maison du directeur.

Le 21 mars dernier, nous fêtions l’anniversaire de la naissance, en 1736, de Claude-Nicolas Ledoux architecte, utopiste et Franc-Maçon ?

Claude-Nicolas Ledoux est un architecte, urbaniste et utopiste français.

Il est le fils d’un modeste marchand champenois. Sa mère, Françoise Dominos, et sa marraine, Françoise Piloy, l’initièrent au dessin, ainsi qu’il le rapporte lui-même. La protection de l’abbé de Sassenage lui permit d’obtenir une bourse et d’étudier à Paris au collège de Beauvais (1749-1753), où il découvrit les littératures anciennes. Il fut ensuite employé chez un graveur et étudia l’architecture sous la direction de l’encyclopédiste et théoricien de l’architecture français Jacques-François Blondel (1705-1774), qui le tenait en haute estime. En 1773, il fut membre de l’Académie royale d’architecture – créée en 1671 par Louis XIV, roi de France.

Médaille commémorative de la fondation, en 1671, de l’Académie royale d’architecture.

Les œuvres de jeunesse (1762-1770)

En 1762, le jeune Ledoux créa pour le café Godeau, rue Saint-Honoré, fréquenté par des officiers, l’époustouflant décor conservé depuis 1969 au musée Carnavalet : sur les murs, il dressa, en guise de pilastres, des faisceaux de piques sommés de casques, entre lesquels il fit alterner des miroirs avec de larges panneaux ornés de trophées d’armes, d’un dessin original et hardi. À Paris, Ledoux se fit connaître en 1766 avec l’Hôtel d’Hallwyll, dans le quartier du Marais.

La maturité

Sa réputation s’affirmant, Ledoux commença à construire des édifices beaucoup plus ambitieux, comme l’hôtel de Montmorency du boulevard des Capucines à la chaussée d’Antin, qui comportait en façade un ordre ionique sur un soubassement rustique et un toit à l’italienne orné des statues de huit connétables. Mais, constatant l’appauvrissement relatif de la noblesse, il cherchait à se rapprocher des milieux de la finance, aux moyens beaucoup plus considérables.

Vue aérienne.

La Saline royale d’Arc-et-Senans

Construite entre 1774 et 1779, la Saline royale d’Arc-et-Senans, dans le Doubs, dont les plans furent approuvés par Louis XV et par Trudaine, est le chef-d’œuvre de Ledoux. On peut y accéder par une route rectiligne tracée à travers la forêt de Chaux. L’entrée, précédée par un péristyle d’ordre dorique, dont les proportions massives, d’allure archaïsante, sont copiées de Paestum, est logée dans une grotte qui donne l’impression de pénétrer dans une mine de sel. L’alliance des colonnes, motif archétypal du néoclassicisme, et de la grotte ornée de concrétions, qui évoque les créations de la Renaissance, marque l’opposition, mais aussi l’articulation, entre les forces élémentaires de la nature et le génie organisateur de l’homme, qui traduit les réflexions du XVIIIe siècle – on pense notamment à Jean-Jacques Rousseau – sur le rapport entre la technique et la nature.

Panorama

L’entrée donne sur un vaste espace semi-circulaire entouré de dix bâtiments qui s’ordonnent sur la demi-circonférence et son diamètre. Sur la partie circulaire, on trouve la tonnellerie, la forge et les deux bâtiments d’habitation pour les ouvriers ; sur la partie rectiligne les ateliers d’extraction du sel, ou bernes, alternent avec des bâtiments administratifs dont, au centre, le pavillon du directeur, qui contenait à l’origine la direction et la chapelle.

Plan du premier projet proposé par Ledoux en avril 1774 et refusé par le roi. Planche 12 de « L’architecture considérée sous le rapport de l’art, des mœurs et de la législation », Paris, 1804.

La signification de ce plan est ambivalente : le cercle, figure parfaite, évoque l’harmonie de la Cité idéale, lieu de la concorde dans le travail commun, mais il rappelle aussi les théories contemporaines de l’organisation et de la surveillance, particulièrement le « panoptisme » de Jeremy Bentham.

La saline peine à entrer dans une phase de production industrielle et rentable, en raison de la concurrence des marais salants. Devenue obsolète avec l’apparition de nouvelles technologies, elle ferme ses portes en 1895. Le rêve d’achèvement d’une manufacture, conçue à la fois comme une demeure royale et une nouvelle ville, prend fin.

L'”ordre industriel”

Ledoux invente un nouveau style de colonne !

À Arc-et-Senans, Claude Nicolas Ledoux invente pour sa saline un “ordre industriel” jamais vu, fait de cylindres et de panneaux carrés superposés. Pour son usine d’un nouveau genre, bâtie au siècle des Lumières, qui n’hésite pas à remettre en cause les idées anciennes, il veut un ordre nouveau !
Ces surprenantes colonnes sont peut-être aussi une réponse au roi Louis XV qui avait refusé son premier projet de saline sous prétexte qu’il comptait “trop de colonnes”, ces dernières devant alors rester réservées aux temples et aux palais, et non aux usines !

Brigadier des Fermes du Roi.jpg

Il est aussi l’architecte du théâtre de Besançon et de la Ferme générale.

Rotonde de la Villette à Paris, ancien pavillon du mur des Fermiers généraux.

En 1782, les fermiers généraux proposèrent au roi Louis XVI d’enfermer Paris dans un nouveau mur d’enceinte, en faisant percer des ouvertures exclusivement destinées à l’introduction des marchandises nécessaires à la consommation des habitants de la capitale. Le projet fut accepté et le mur fut érigé. La fonction fiscale du mur le rendit très impopulaire, et suscita cet alexandrin anonyme : « Le mur murant Paris rend Paris murmurant. »

Barrière de Chartres, rotonde du parc Monceau.

Les passages ménagés dans l’enceinte s’appelaient des barrières. La plupart des barrières étaient munies de bâtiments, ou bureaux d’octroi, appelés « propylées » par leur concepteur, l’architecte Claude Nicolas Ledoux.

L’utopiste

Autour de la saline royale, Ledoux formalisa ses conceptions innovantes d’un urbanisme et d’une architecture destinés à rendre la société meilleure, d’une Cité idéale chargée de symboles et de significations. Il est considéré, avec Étienne-Louis Boullée et ses projets de Cénotaphe de Newton ou de basilique, comme l’un des précurseurs du courant utopiste.

Dès 1775, il avait présenté à Turgot les premières esquisses de la ville de Chaux, dont la saline royale devait former le centre. Le projet, constamment perfectionné, fut gravé à partir de 1780.

Atelier de fabrication en fonctionnement.

Utopiste radical de l’architecture, enseignant à l’École royale des beaux-arts, il crée un singulier ordre architectonique, une nouvelle colonne formée d’une alternance de pierres cylindriques et cubiques superposées à l’effet plastique saisissant. L’époque est alors au retour à l’antique, à la distinction et au dépouillement, au goût pour le style « rustique ».

Equerre Compas

Le Franc-Maçon

Certains écrivent : « Une large place est consacrée à la franc-maçonnerie en Franche-Comté, notamment à la Loge Sincérité, fondée en 1764 par l’intendant Charles-André de Lacoré. Elle compte parmi ses initiés de nombreuses personnalités : Claude-Nicolas Ledoux, Choderlos de Laclos, initiateur des loges d’exception, Luc Breton, Jean Wyrsch… »

Projet initial

Rappelons que l’histoire de la Franc-Maçonnerie à Besançon débute à partir du XVIIIe siècle, lors de la création de la plus ancienne Loge de la ville, la Loge Sincérité. Son ancienneté, son influence sur la Franc-Maçonnerie au XVIIIe siècle et sa contribution à la survivance d’un système maçonnique particulier, le Rite Écossais Rectifié, en fait encore aujourd’hui une Loge d’exception. Elle ne sera pas la seule institution franc-maçonne de la ville ; en effet, au cours des siècles les Loges Parfaite Union et Constante Amitié s’ajoutent à la Loge Sincérité, avant que toutes ne fusionnent pour former la loge « Sincérité, Parfaite Union et Constante Amitié Réunies » (SPUCAR).

Carte générale des environs de la Saline de Chaux. Planche 14 de « L’architecture considérée sous le rapport de l’art, des mœurs et de la législation », Paris, 1804.

D’autres déclarent : « Initié dans la franc-maçonnerie mystique, Ledoux participait, avec son ami William Beckford (le maire de Londres ?) à de mystérieuses cérémonies. La Loge féminine de La Candeur se réunissait dans l’hôtel qu’il avait construit, rue des Petites-Écuries, pour Mme d’Espinchal. »

« Grotte » sous le péristyle du bâtiment d’entrée.

Toujours est-il que son appartenance à la maçonnerie n’est toujours pas attestée, malgré le fait que nous trouvions dans le fichier Bossu de la BnF, 27 fiches correspondants à des Ledoux, orthographiés de plusieurs manières (Le doux, Ledoulx, Ledoux, etc.). Celle de notre Claude-Nicolas ne laisse apparaître aucune appartenance à l’Art Royal.

Vue du bâtiment de graduation de la Saline de Chaux. Planche 9 de « L’architecture considérée sous le rapport de l’art, des mœurs et de la législation », Paris, 1804.

Sa fiche ne fait nullement mention de son appartenance à une Loge ou à sa date de réception, contrairement aux autres fiches. De plus, ni le « Ligou » – si ce n’est un Léon Ledoux (1862-1932) sans rapport avec l’architecte, ni le « Saunier » n’en font mention. Alors, l’appartenance maçonnique de Claude-Nicolas Ledoux n’est-elle qu’une légende faisant plaisir aux maçons ? Mais quand la légende est plus belle que l’histoire…

Des Racines et des Ailes : La monumentale saline royale d’Arc-et-Senans

Sources : Wikipédia ; Libération.fr/culture/le grain de sel royal de Ledoux par Jean-Pierre Perrin ; geneanet ; Wikimedia Commons ; Détours de France ; https://passerelles.essentiels.bnf.fr/

Maison du directeur – Photographie prise par Patrick Giraud.

1 COMMENTAIRE

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, fut le directeur de la rédaction de 450.fm de sa création jusqu'en septembre 2024. Il est chroniqueur littéraire, membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

Articles en relation avec ce sujet

Titre du document

Abonnez-vous à la Newsletter

DERNIERS ARTICLES