sam 23 novembre 2024 - 16:11

Regard sur… Psychologie du développement

La psychologie du développement est une branche de la psychologie. Son objet est de comprendre d’une part, comment l’humain se développe, d’autre part, pourquoi il se développe : comment et pourquoi les processus mentaux, les comportements, les performances et capacités changent (se développent ou se perdent) au cours de sa vie humaine. Cette discipline embrasse tous les aspects du développement psychologique (aspects cognitifs, langagiers, affectifs et sociaux) et tous les âges du développement humain, du développement prénatal à la mort.

La psychologie du développement a vu sa définition changer et évoluer au cours des décennies. Elle est plus théorique et moins appliquée que d’autres branches de la psychologie qui s’intéressent spécifiquement aux problèmes liés à un âge ou une période de la vie en particulier (ainsi, elle se distingue de la psychologie de l’enfant).

La discipline s’est construite au début du xxe siècle (histoire de la psychologie). Les approches des théoriciens fondateurs de la psychologie qui ont influencé ou fondé la psychologie du développement (Skinner, Piaget, Bandura, Freud, Erikson, Vygotsky, Eleanor Gibson) ont été très différentes et parfois même opposées. Les approches actuelles continuent de différer en fonction des types de processus ou de pathologies qu’elles étudient et en fonction des méthodes qu’elles utilisent, qui vont des observations cliniques individuelles aux modélisations informatiques, en passant par l’imagerie cérébrale.

Trois générations, la Havane, Cuba.

La discipline est très productive, ayant de nombreux champs de recherche, journaux et sociétés dans le monde entier. Les thèmes d’étude et les méthodes de la psychologie du développement ne cessent de se multiplier et se diversifier.

Les principaux débats et controverses de la discipline portent sur les périodes critiques ou périodes sensibles ; les interactions et l’importance respective de l’inné et de l’acquis ; les stades et leur modélisation (sérielles ou dynamiques). C’est une discipline hétérogène dans ses théories qui ne sont pas toutes intégrées entre elles.

La psychologie du développement est liée à de nombreux autres champs de la psychologie, à la fois pour les concepts qu’elle emprunte (psychologie cognitive, psychodynamique, béhaviorisme, psychologie humaniste, psychologie interculturelle, psychologie sociale, etc.), les thèmes dont elle traite (développement psychomoteur du nourrisson, psychologie de l’enfant, psychogérontologie, psychopathologie, etc.), et les méthodes qu’elle utilise (psychologie expérimentale, éthologie, psychanalyse, neurosciences cognitives, imagerie cérébrale, épidémiologie, etc.).

Histoire de la discipline et définitions actuelles

Antécédents philosophiques

Tandis que de nombreuses sources historiques indiquent que l’enfant a été généralement traité différemment de l’adulte, l’intérêt pour le développement de l’enfant et l’idée que le développement de l’enfant influence ou détermine le reste du développement humain, ne semble émerger qu’au xviiie siècle dans la littérature occidentale. De Condillac (1714-1780) écrit que le bébé naît sans connaissances et en acquiert au cours de son enfance par apprentissage. Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) jouera un grand rôle dans l’intérêt naissant pour l’enfance. Son livre Émile, ou De l’éducation, publié en 1762, influence durablement de nombreux pédagogues de l’époque en France et en Angleterre. Des monographies apparaissent alors, dans lesquels les auteurs expliquent ce qu’ils observent chez l’enfant, sans que cela relève d’une démarche scientifique.

Début de l’intérêt scientifique pour le développement de l’enfant

Premier livre de psychologie du développement de l’enfant, William Thierry Preyer (1882).

Charles Darwin fut le premier à reconnaître l’importance de l’enfance sur l’ensemble du développement humain ultérieur. Dans la perspective évolutionniste qui émerge alors, l’intérêt pour la psychologie de l’individu en développement va prendre son essor. Directement inspiré par la théorie de l’évolution, Ernst Haeckel développe la théorie de la récapitulation selon laquelle l’ontogenèse (développement de l’humain en tant qu’individu, de sa conception à sa mort) est une courte et rapide récapitulation de la phylogenèse (évolution des espèces). Sa théorie dont l’universalité a été invalidée, reste discutée et son principe (utiliser les connaissances en ontogenèse pour mieux comprendre la phylogenèse et vice versa) est utilisée comme modèle d’interprétation théorique dans plusieurs champs de la psychologie du développement (en particulier le développement de la perception, l’acquisition du langage, le développement de la pensée abstraite) ainsi qu’en neurosciences pour mieux comprendre le développement du cerveau humain (discipline du neurodéveloppement).

L’émergence d’un champ d’étude spécifique sur le développement de l’enfant est traditionnellement attribué à la publication du livre de Wilhlem ou William Preyer, physiologiste allemand, Die Seele des Kindes. Beobachtungen über die geistige Entwicklung des Menschen in den ersten Lebensjahren (publié en 1882, traduit en français sous le titre de L’âme de l’enfant). Preyer y décrit méthodiquement le développement de sa fille de sa naissance à l’âge de deux ans et demi. Il y décrit des procédures d’observations systématiques et se montre impressionné par la curiosité démontrée par les nourrissons.

Les premiers journaux scientifiques entièrement dédiés à la psychologie du développement de l’enfant apparaissent dans les années 1890 : L’Année Psychologique, fondée par Alfred Binet en 1894, et Pedagogical Seminary fondé par G. Stanley Hall aux États-Unis en 1891. Les premières chaires universitaires sur le sujet sont mises en place à la Sorbonne et à l’université Clark.

Le terme utilisé pour désigner la psychologie du développement de l’enfant (terme totalement abandonné ensuite) à la fin du xixe siècle est « Paedoskopie ».

La psychologie du développement au début du xxe siècle

Le mouvement amorcé au xixe siècle s’amplifie rapidement. Le début du xxe siècle voit l’émergence de nombreuses théories pédagogiques sous l’impulsion de personnalités comme Alfred Binet en France, Édouard Claparède en Suisse, Ovide Decroly en Belgique, Maria Montessori en Italie. En 1901, Ellen K. S. Key écrit un livre précurseur sur l’éducation et les relations parent-enfant « Barnets århundrade » en 1900 (traduit en français, « Le siècle de l’enfant »). Montessori dira de Key qu’elle avait prédit que le xxe siècle serait le siècle de l’enfant.

La psychologie devient une discipline des sciences humaines à la fin du xixe siècle (voir article détaillé Histoire de la psychologie). Les différents courants théoriques qui détermineront plus tard les courants de la psychologie contemporaine émergent avec Freud (la psychanalyse), Pavlov (le béhaviorisme), puis, avant la Seconde Guerre Mondiale, Piaget (le cognitivisme) et Skinner (le béhaviorisme).

Au début du xxe siècle, la représentation du développement de l’enfant est une représentation continue et régulière du développement, où pour chaque âge correspond un niveau de développement. On retrouve cette approche chez Alfred Binet (modèle du développement de l’intelligence) ou Arnold Gesell (développement général). Par la suite, la notion de stade va émerger. Cette notion de stade fait écho à un grand mouvement de pensée, le structuralisme, qui traverse, à partir des années cinquante, toutes les Sciences humaines et qui conçoit l’organisation du monde et des sociétés en termes de structures. La psychanalyse (avec Lacan), l’ethnologie (avec Lévi-Strauss), la philosophie (avec Barthes, Althusser, Foucault, Derrida, etc.), la sociologie et la psychologie en sont affectées.

Les représentations continues du développement (influencées par les théories évolutionnistes de l’époque) commencent à être remises en cause : Le développement de l’enfant semble en effet discontinu. Certes, les enfants progressent à mesure qu’ils maturent (différences observables sur différentes tranches d’âge), mais certaines performances semblent stagner pendant de longues périodes avant de poursuivre leur développement, et d’autres semblent même disparaître, donnant l’impression que les enfants régressent. Les modèles en échelle de développement (cf. Binet, ou Gesell) sont remplacés par des modèles en paliers, étapes ou stades. On parle de régressions possibles, de déstabilisations avant une nouvelle réorganisation des activités de l’enfant. La perspective diachronique (échelle continue du développement) devient une perspective synchronique (schéma de paliers, de stades).

« L’activité mentale ne se développe pas sur un seul et même plan par une sorte d’accroissement continu. Elle évolue de système en système. Leur structure étant différente, il s’ensuit qu’il n’y a pas de résultat qui puisse se transmettre tel quel de l’un à l’autre. »

Ces stades sont, pour certains auteurs, généraux lorsque l’individu entier est pris en compte (perspective synthétique avec Wallon) ou spéciaux (ou locaux) lorsqu’une seule sphère du développement est étudiée (par exemple Piaget s’intéresse uniquement au développement de la cognition, ou de l’intelligence).

Débuts de la recherche sur l’adolescence

Au début du xxe siècle, le passage de l’enfance à l’âge adulte se fait de plus en plus tard sous l’effet de changements sociaux et politiques. Les enfants passent désormais de plus en plus de temps à l’école et en formation. L’âge de la puberté n’est plus l’âge de l’entrée dans la vie professionnelle et dans la vie adulte. Ainsi au début du xxe siècle, le terme « adolescence » est introduit par le psychologue Stanley Hall, lors de la publication de son ouvrage Adolescence: Its Psychology and Its Relations to Physiology, Anthropology, Sociology, Sex, Crime and Religion (en 1904). Hall fut le premier président de l’American Psychological Association (APA) en 1892 et ses écrits eurent une grande influence sur les éducateurs de l’époque.

Débuts des recherches sur les âges de la vie adulte et le cycle complet de vie

Couple âgé, BrașovRoumanie – photo wikimedia

La psychologie du développement donne une large place à l’enfance puisque c’est la période de la vie où prennent place les principaux changement, ainsi que de très nombreux apprentissages et acquisitions de nouvelles habiletés. L’intérêt pour l’âge adulte est arrivé ensuite. L’étude du développement psychologique humain après l’enfance a débuté quelques décennies après les premières recherches sur le développement psychologique de l’enfant. Hall, mentionné ci-dessus pour ses écrits sur l’adolescence, a été un des premiers psychologues à s’intéresser au vieillissement. Il publie Senescence : The last Half of Life en 1922 alors qu’il a 78 ans. Aux États-Unis, le premier centre de recherche universitaire sur le vieillissement ouvre ses portes en 1928, à l’Université Standford, en Californie.

Le développement pendant l’âge adulte chez les jeunes adultes est étudié en 1930 à l’université de Harvard qui met en place la première étude longitudinale du genre étudiant ses étudiants de 18 ans à l’âge mûr. Dans les années 1950, les psychologues Bernice Neugarten et Warner Schaie étudient le développement humain chez les adultes dits d’âge mûr. Cette nouvelle discipline consacrée à l’étude du vieillissement humain prend pour nom la gérontologie. Désormais, la psychologie du développement ne se définit plus seulement par des modèles d’acquisition d’habileté, de gain, mais porte aussi sur les pertes. Durant le développement, une personne peut faire simultanément des gains dans un domaine mais subir des pertes dans un autre domaine.

Au début du xxe siècle, la psychologie du développement se différencie ainsi de la psychologie de l’enfant. Les psychologues, chercheurs et théoriciens, commencent à décrire le développement humain qui se poursuit tout au long de la vie (les auteurs anglophones utilisant l’expression lifespan development). De grandes études longitudinales allant de l’enfance jusqu’au vieillissement, se mettent en place dans de nombreux pays. L’une des premières étude longitudinale de grande envergure (sur une très large cohorte) est menée en 1921 à l’Université de Standford, sous la direction de Lewis M. Terman10. Cette étude, la Terman Study of the Gifted est (à la date de 2003) l’étude longitudinale la plus longue jamais entreprise au niveau international.

La psychologie du développement contemporaine (fin du xxe siècle et début du xxie siècle)

En 2009, Papalia et al., dans un manuel universitaire, définissent la psychologie du développement humain comme « l’étude scientifique des processus responsables des changements qui interviennent ou non tout au long de la vie des individus ». Cette définition réfère aux changements ainsi qu’à la stabilité au cours du développement. Le développement est défini comme “un processus dynamique, cohérent et organisé qui a une fonction adaptative”.

La plupart des scientifiques concentrent leurs recherches désormais sur des thèmes beaucoup plus spécifiques que leurs précurseurs (par exemple plutôt que l’étude de l’acquisition du langage dans son entier et du nourrisson à l’adulte, les chercheurs étudient l’acquisition de la syntaxe, ou la prosodie, et autres spécificités). Le défi que les chercheurs doivent relever dans les années qui viennent est de comprendre comment ces différentes fonctions se coordonnent, et transforment les activités et les niveaux cognitif et conatif des enfants.

La compréhension du développement intègre désormais le contexte d’apparition des comportements et/ou des conduites et des caractéristiques du milieu environnant dans lequel l’individu évolue. Cette approche s’accompagne d’un intérêt pour les différences individuelles. Bien que beaucoup de processus (ou stratégies) de développement soient universels, leur actualisation dépend de variables culturelles, sociales et environnementales. L’étude des différences individuelles renseigne donc également sur des phénomènes universaux, communs à toutes les cultures ou types d’environnement (chez l’enfant par exemple, le style parental).

La psychologie du développement du début des années 2000 s’intéresse aux changements quantitatifs (mesurables, par exemple : “nombre de mots de vocabulaire”) et qualitatifs (référant à la nature de la personne, par exemple : l’évolution de l’attachement chez l’enfant ; l’orientation vers une nouvelle carrière chez l’adulte). Ces changements touchent à tous les domaines du développement humain : développement physique (par exemple la surdité influence l’acquisition du langage ; les changements hormonaux de l’adolescence influencent l’estime de soi ; les modifications physiques accompagnant le vieillissement influencent les performances mnésiques) ; développement cognitif (perception, apprentissage, mémoire, langage, raisonnement, etc.) ; et développement affectif et social, ou socio-affectif (émotions, personnalité, relations aux autres). Tous ces aspects sont connectés, bien qu’ils aient souvent été étudiés séparément par les nombreux chercheurs en psychologie du développement afin de travailler sur des hypothèses pouvant être testées expérimentalement.

Changements d’appellation de la discipline et différence avec la psychologie de l’enfant

L’expression psychologie génétique a été utilisée dans un sens analogue, mais cette terminologie tombe en désuétude. Outre certaines différences conceptuelles, les termes de psychologie génétique ont été abandonnés, afin d’éviter l’équivoque du terme génétique, qui, dans ce domaine, était lié au concept de genèse, c’est-à-dire au processus de croissance de l’individu, et non pas aux gènes, supports admis de l’hérédité biologique.

La psychologie du développement (ou psychologie développementale) prend ses racines, historiquement, dans la psychologie de l’enfant, étudiant par exemple l’acquisition du langage ou la manière dont l’enfant apprend à compter. Cependant, elle s’en distingue désormais. On parle de psychologie de l’enfant lorsque le sujet d’étude est étudié en soi, et non pour comprendre et modéliser les processus de développement dans leur ensemble. La psychologie de l’enfant cherche à comprendre le fonctionnement de celui-ci à des différents âges, avec ses réussites, ses échecs, ses envies, ses besoins, et bien d’autres aspects qui représentent l’enfant en tant qu’individu, dans une perspective synthétique. La psychologie du développement a une approche analytique : il s’agit d’observer et de modéliser les changements à travers les âges, et pour cela, la plupart des chercheurs actuels étudient le développement de processus ou habiletés très spécifiques, pour parvenir à une analyse fine et détaillée des processus en cause.

Les grandes étapes du développement psychologique

Les périodes du développement humain sont toujours données de manière approximative. Elles ne peuvent être définies de manière absolue car les étapes du développement psychomoteur et psychologique varient beaucoup en fonction des individus et des populations étudiées. Cependant, les différentes disciplines des neurosciences et de la psychologie s’accordent pour catégoriser les grandes étapes du développement humain qui correspondent aux périodes suivantes (les âges peuvent varier légèrement selon les auteurs et les organisations) :

  • La vie prénatale, avant la naissance (vie embryonnaire, fœtus) ; et la période périnatale (de quelques semaines avant la naissance à quelques jours après)
  • Le nouveau-né (de la naissance à environ un mois) et le nourrisson (de 1 mois à environ 1 an, âge de la marche)
  • La petite enfance (de 1 an à environ 5 ou 6 ans, âge qui marque les débuts de la scolarisation qui diffère en fonction des pays); on parle aussi d’enfant d’âge préscolaire (de 3 à 6 ans environ)
  • L’enfant d’âge scolaire (de 5 ou 6 ans à 12 ou 13 ans ; bien que la scolarité ne s’arrête pas à cet âge, on parle ensuite d’adolescence)
  • L’enfance au sens large embrasse la période qui va de la naissance à la puberté (voir psychologie de l’enfant)
  • L’adolescence (de 12 ou 13 ans environ à 18 ans, âge de la majorité sur un plan légal) incluant la pré-adolescence (12 à environ 14 ou 15 ans) puis l’âge de puberté. On peut aussi utiliser des catégories évoquant le niveau scolaire, on parle de niveau d’enseignement secondaire avec l’entrée au collège.
  • L’âge adulte inclut toute la période de vie qui suit l’adolescence.
  • Certains auteurs différencient le jeune adulte (de 18 ans à 40 ans environ) et l’adulte d’âge mûr (40 à 65 ans environ).
  • La personne âgée et le 3e âge (de 60 ans à la mort, selon la définition de l’OMS15); on parle aussi d’adulte d’âge avancé (plus de 65 ans).
  • La mort et le deuil (voir thanatologie et soins palliatifs).

Courants théoriques et disciplines de la psychologie du développement

Tous les grands courants de la psychologie s’intéressent au développement humain : L’approche psychanalytique ou psychodynamique, l’approche béhavioriste (dite aussi comportementaliste), l’approche cognitiviste, l’approche humaniste, l’approche écologique, etc. Le développement psychologique intéresse également la médecine (la pédopsychiatrie ou psychiatrie de l’enfant, la pédiatrie), les sciences de l’éducation, et les neurosciences (voir neuroscience cognitive du développement). Chaque approche est différente parce que chacune pose des questions différentes, le développement étant trop complexe pour être modélisé dans son entier. Aucune de ces approches ou des théories (explosées en détail ci-dessous) ne peut à elle seule expliquer le développement très complexe de l’humain. Pour ces raisons, elles ont donc forcément toutes leurs limites et font ainsi l’objet de débats et de critiques (voir section ci-dessous sur les plus importants débats de la discipline).

Les approches diffèrent également parce qu’elles utilisent des méthodes différentes. Les approches méthodologiques sont différentes parfois pour des raisons théoriques (voir controverses ci-dessous). Mais surtout, les approches méthodologiques sont diverses car chaque question spécifique exige une technique spécifique pour y répondre : par exemple, la mesure de potentiels évoqués, qui est une technique de neuro-imagerie donnant des informations fines sur les changements physiologiques de l’ordre de la milliseconde, ne peut pas fournir des informations sur les émotions subjectives d’un individu comme le ferait une échelle de dépression qui est un questionnaire.

Elles différent enfin parce qu’elles s’intéressent souvent à certaines périodes du développement plutôt qu’à d’autres. Il est rare que les psychologues étudient ou modélisent tout l’empan de vie, ou lifespan. Pour une approche par grandes périodes du développement, nous renvoyons aux articles de psychologie traitant spécifiquement de ces périodes (voir section suivante). La partie qui suit présente les différentes disciplines de la psychologie du développement ainsi que les principales approches théoriques qui ont dominé et dominent encore dans la recherche du début du xxie siècle.

Le développement perceptif et les théories du développement perceptif (E. J. Gibson)

Eleanor Gibson (1993)

Le développement de la perception débute dès la vie intra-utérine. Les recherches expérimentales dans le domaine montrent que le fœtus perçoit la voix de sa mère, certaines mélodies, ou encore certaines odeurs, pour lesquelles il montre des réponses physiologiques différentes (ses battements de cœur montrent une accélération ou un ralentissement) dans des paradigmes d’habituation.

Le développement perceptif est très précoce. Les systèmes sensoriels primaires arrivent à maturation avant tous les autres : les aires cérébrales primaires visuelles et auditives, tout comme les aires motrices, arrivent à maturité bien avant les aires associatives et les aires cérébrales dédiées aux hautes fonctions cérébrales.

Chez le nourrisson, on peut étudier le développement perceptif en s’appuyant sur sa mémoire et son attention, c’est le principe des paradigmes d’habituation. Ainsi, un adulte (par exemple la personne qui s’occupe habituellement du nourrisson) expose le nourrisson de manière répétée à des stimuli (par exemple, un cercle jaune lui est montré pendant plusieurs minutes par jour sur une période de plusieurs jours). Lors de l’expérimentation finale, l’expérimentateur observe si les réactions du nourrisson sont celles d’une habituation (absence de réaction physiologique particulière, absence d’intérêt) ou celles d’une réaction à une nouveauté (augmentation de la succion, augmentation des battements de cœur, plus longue durée de fixation du stimulus nouveau par rapport au stimulus connu). Dans une telle expérience, Bushnell et al. (1984) ont montré que des nourrissons de 5 semaines et 9 semaines pouvaient ainsi discriminer des couleurs et des formes géométriques. Ce type d’expérience a permis de montrer que, bien que le système sensoriel telle que la vision, soit encore immature à la naissance, les habiletés perceptives du nourrisson sont assez sophistiquées.

La psychologue américaine Eleanor J. Gibson a étudié durant toute sa carrière le développement des systèmes perceptifs des nouveau-nés et des enfants. Elle fut une des pionnières dans la discipline : Son ouvrage de 1969 met en avant le concept d’apprentissage perceptif. Son approche, développée en collaboration avec son mari, le psychologue James J. Gibson, est la Gibsonian ecological theory of development avec pour concept nouveau, le concept d’affordance. Sur le plan méthodologique, elle est connue pour avoir mis au point l’expérience de falaise visuelle. La falaise visuelle est un dispositif expérimental qui permet de donner l’illusion d’une plateforme terminée par un trou, dont l’expérimentateur contrôle les caractéristiques, tout en assurant la sécurité des sujets sur la plateforme. Ce paradigme appliqué à des nourrissons de 6 à 14 mois a permis à Gibson et Walk (1960) de mettre en évidence que beaucoup de nourrissons refusent d’avancer devant ce qui leur apparaît comme un vide (alors qu’en fait ils peuvent sentir avec leurs mains le plexiglas), tandis que d’autres avancent sans paraître perturbés par l’illusion. Le paradigme renseigne les expérimentateurs sur le développement de la perception de la profondeur et de la vision en trois dimensions (ce paradigme a été également utilisé sur des animaux). Ce paradigme expérimental a ouvert un débat sur le caractère inné ou appris de la profondeur, Gibson et Walk concluant que la vision de la profondeur est une perception apprise et non innée .

Le développement des comportements sociaux (béhaviorisme et théorie de l’apprentissage social)

Pour les béhavioristes ou comportementalistes, la psychologie est l’étude observable du comportement animal et humain (behavior est un terme anglais qui signifie comportement). C’est une approche fonctionnelle du comportement : le comportement est fonction (au sens mathématique) d’un stimulus (quelque chose qui dans l’environnement, provoque, augmente ou diminue la réponse). La base du béhaviorisme (ou comportementalisme) repose sur le schéma stimulus-réponse (S-R). Selon les béhavioristes, les comportements innés sont peu nombreux. L’essentiel des comportements humains résulte d’apprentissages. C’est une approche déterministe du développement.

Les béhavioristes ont mis en évidence deux types d’apprentissage :

  • Le conditionnement répondant également appelé conditionnement classique ou pavlovien (du nom du physiologiste russe et prix Nobel, Ivan Pavlov) : un stimulus environnemental (neutre) entraîne une réponse apprise car il a été associé à un stimulus inconditionnel. Pavlov observe ce phénomène en étudiant des chiens. Lorsqu’une cloche (stimulus neutre) sonne quand un expérimentateur entre nourrir les chiens, les chiens salivent à l’arrivée de la nourriture (réponse inconditionnelle) ; et après quelques essais, les chiens salivent lorsque la cloche sonne (qui est au départ un stimulus neutre et devient un stimulus conditionnel).
  • Le conditionnement opérant ou instrumental : la probabilité qu’un comportement se répète diminue ou augmente en fonction de renforcements donnés par l’environnement.
    John B. Watson est le premier béhavioriste à appliquer ces principes au développement des enfants. Ainsi un enfant apprend à aimer ses parents lorsqu’il reçoit d’eux de l’affection (nourriture, chaleur, caresses…). Si un parent effraie son enfant et le fait à plusieurs reprises, l’enfant développe une peur ou angoisse de ce parent, même lorsque ce parent ne montre plus de comportements agressifs. C’est le principe de la réponse conditionnelle (qui est déterminée par des réflexes) du conditionnement répondant ou classique.

Burrhus F. Skinner applique les principes du conditionnement opérant au développement de l’enfant. Dans le conditionnement opérant, un comportement (qui n’est pas un réflexe ou une réponse automatique à un stimulus) est encouragé. Par exemple, si un enfant se met à rire et que ses parents montrent une réponse qui lui est agréable (lui sourient, lui prêtent attention), l’enfant continue à rire et répète son rire pour continuer à provoquer la réponse agréable : on parle de renforcement positif. Si un enfant enfile ses gants avant de sortir jouer dehors, pour éviter d’avoir froid, on parle de renforcement négatif (le comportement évite une sensation désagréable, ici la sensation de douleur due au froid). Le renforcement dit négatif est différent de la punition (infliger une conséquence désagréable pour voir un comportement disparaître). La punition par stimulus (en) peut être négative (au sens mathématique, parce qu’on enlève) quand on enlève un stimulus agréable (on reprend, on prive l’enfant de quelque chose qu’il aime). La punition peut être positive (positive parce qu’on ajoute), lorsqu’on ajoute un stimulus désagréable (réprimander).

De nombreuses études se sont mises en place pour modéliser et augmenter l’efficacité de ce type d’apprentissage. Les questions posées sont celles des durées et fréquences des schémas S-R, la nature du renforcement (ce qui est un renforcement pour une personne peut être vécu comme une punition par une autre, par exemple des éloges publics), et l’efficacité des punitions (beaucoup de théoriciens pensent que la punition n’est pas un bon moyen de modifier le comportement). Les punitions posent aussi des problèmes éthiques.

L’approche béhavioriste a ses points forts et ses limites. Le béhaviorisme est une approche expérimentale et scientifique (objective). Le conditionnement est « un outil puissant, utilisé pour former ou modifier les comportements », qui a donné lieu à des thérapies comportementales ou thérapies cognitivo-comportementales basées sur des approches d’observation objectives des changements de comportements indésirables. Skinner est le psychologue le plus cité au xxe siècle. Cependant, le béhaviorisme du début du xxe siècle ne donne aucune importance au vécu subjectif des personnes durant l’apprentissage. Il sera, dès ses débuts, fortement critiqué à l’extérieur de la discipline (par le courant psychanalytique d’abord). Beaucoup de chercheurs, dit néobéhavioristes (en), s’inspirent des théories du conditionnement mais y ajoutent l’étude de la pensée subjective dont ils reconnaissent l’importance dans l’apprentissage (cf. néobéhaviorisme).

L’apprentissage social ou apprentissage par observation

Telle mère, telle fille (Rotterdam, 2016)

Dans la lignée de l’approche expérimentale et des béhavioristes, Albert Bandura a montré que l’enfant peut apprendre sans renforcements directs et de manière beaucoup plus active que ne le montraient les modèles béhavioristes classiques. Il a décrit l’apprentissage par observation. Dans une de ses premières études, il a démontré (avec Richard Walters) que des enfants observant un comportement agressif ont plus de risques de répéter ce comportement, ou ce modèle (dans son exemple : frapper une poupée) lorsqu’ils l’observent directement mais aussi si le comportement est présenté sur un support médiatique (télévision). Un tel apprentissage s’explique par l’observation simultanée des conditions d’apparition du comportement (stimulus) et des conséquences renforçatrices (au sens béhavioriste). Bandura parle de renforcement par substitution ou renforcement vicariant : si le modèle est récompensé (ou puni) après l’exécution de son comportement, l’observateur aura tendance à reproduire (ou éviter) le comportement. Il s’agit d’un apprentissage social que Bandura nommera la théorie sociale cognitive en 1993. Cette approche est donc néobéhavioriste car elle reconnaît l’importance de la pensée dans l’apprentissage. Ainsi, l’enfant peut choisir ses modèles. Les processus cognitifs en jeu sont la capacité d’attention, l’organisation mentale de l’information sensorielle, et la mémoire. À partir de ses observations et des réactions de l’environnement dans divers contextes lorsque l’enfant imite les comportements (par exemple, s’habiller comme une célébrité qu’il admire), l’enfant forme peu à peu ses jugements et affine sa sélection des modèles. Il développe ainsi son sentiment d’efficacité personnelle. Concept important de la théorie d’apprentissage social, l’efficacité personnelle (self-efficacy en anglais) est, pour un humain, “sa conviction de détenir les capacités nécessaires pour réussir ce qu’il entreprend“.

Au début du xxie siècle, la vaste majorité des chercheurs considère l’apprentissage, non plus comme un simple conditionnement, mais, comme l’a fait Bandura, comme un processus complexe où la cognition intervient dans un contexte social et culturel qui contribue à la diversité des apprentissages. Les recherches et théories de Bandura ont eu une influence énorme sur de nombreux champs de la psychologie et sur l’éducation. Ses recherches ont permis de mieux comprendre l’acquisition de pratiques sociales, culturelles et politiques, l’acquisition du langage, l’acquisition des comportements reliés au genre, le développement du sens moral, entre autres.

Modèle béhavioriste de développement

Le courant béhavioriste a considéré qu’il y avait une continuité phylogénétique et ontogénétique du comportement : l’étude de l’animal et celle de l’homme ne pouvaient être disjointes. Dans les modèles de Skinner ou de Bandura, le développement humain en tant que tel n’est pas modélisé. Sidney W. Bijou (en) (1984) fut un des pionniers des psychologues développementaux s’appuyant sur les recherches béhavioristes. Il a travaillé à des méthodes éducatives et des thérapies de l’enfant qui avaient pour principe de renforcer les comportements souhaitables (par compliment, embrassade, bonbon, par exemple) et d’ignorer (plutôt que de punir) les comportements posant problème. Il a proposé un modèle théorique béhavioriste du développement de l’enfant comportant trois phases principales :

  • la phase des fondations : de la naissance à 2 ans. L’enfant est sous la contrainte de son immaturité organique. Mais, en fonction de ses apprentissages progressifs, il explore son environnement. Des comportements opérants élémentaires se mettent en place (i. e., contractions de l’estomac – pleurs – préparation du biberon – prise du biberon – satiété ; puis, à force de répétition, l’enfant comprend que ses pleurs font intervenir l’adulte) ;
  • la phase dite de base : de 2 à 6 ans. Le développement organique s’opère et permet à l’enfant d’interagir plus facilement avec son environnement physique et familial. Les bases des répertoires comportementaux (habileté motrice, intelligence, langage, personnalité) sont mises en place et se développeront jusqu’à l’âge adulte ;
  • le stade social : de 6 ans à l’âge adulte. Il permet l’évolution des répertoires comportementaux de la phase précédente. L’enfant sort de son milieu familial et son environnement social s’en trouve modifié (école, centre de vacances, amis, etc.).

Le développement cognitif

La psychologie cognitive s’intéresse surtout au développement de l’intelligence et des processus cognitifs (la perception, la mémoire, le langage, le raisonnement, etc.) qui sont inférés par l’observation des comportements. Parmi les grands théoriciens de cette branche, les plus cités sont Jean Piaget, qui a jeté les fondements d’une théorie sur le développement de l’intelligence (voir Histoire de la psychologie cognitive), et Lev Vygotsky, qui a observé le développement de l’intelligence chez l’enfant en interaction avec son contexte socioculturel. Par ailleurs, une autre approche s’est également développée, la théorie du traitement de l’information, rendant compte de processus spécifiques, comme la rétention d’information, ou la reconnaissance des visages ou du langage. À la fin du xxe siècle, d’autres théories ont émergé.

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Guillaume Schumacher
Guillaume Schumacher
Guillaume SCHUMACHER a été initié au GODF à l’Orient d’Épinal. Il participe également, quand il le peut, aux Imaginales Maçonnique & Ésotériques d'Épinal organisées aussi par son atelier. Avant d'être spéculatif, il était opératif. Aujourd'hui, il sert la nation dans le monde civil. Passionné de sport et de lecture ésotérique, il se veut humaniste avec un esprit libre et un esprit laïc.

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